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Défendons nos camarades italien·nes menacé·es d’extradition

Giorgio Pietrostefani (de Lotta Continua), Giovanni Almonti, Enzo Calvitti, Roberto Cappelli, Narciso Manenti, Marina Petrella et Sergio Tornaghi (des Brigades Rouges) vivaient en France sans se cacher, parfois depuis quatre décennies. Dans une des très rares bonnes actions de son “règne”, Mitterrand leur avait accordé l’asile à condition qu’ils/elles renoncent à la lutte armée.

La menace d’extradition vers l’Italie (trois autres  “extradables” sont rentré.es dans la clandestinité) est une ignominie de plus dans le cadre de la dérive sécuritaire sans fin à l’œuvre aujourd’hui.

Italie rouge et Italie brune

L’Italie rouge, ce sont des théoriciens révolutionnaires comme Antonio Gramsci, une résistance au fascisme devenue hégémonique au moment de la chute de Mussolini, des chansons comme Bella Ciao, Avanti popolo, La Lega, Gorizia…, c’est un parti communiste, très vite dissident du modèle soviétique et tenté par la social-démocratie, parti qui obtiendra régulièrement 30 à 35 % des voix et gouvernera plusieurs régions.

C’est une extrême gauche qui, beaucoup plus qu’en France, s’implantera fortement dans le monde ouvrier et animera des grèves très puissantes.

L’État italien est faible et la police comme les services secrets sont largement infiltrés par les fascistes à la fin des années 60. Les dirigeants états-uniens veulent à tout prix endiguer le mouvement ouvrier italien.

Dans ces années de plomb, la stratégie de la tension va produire un nombre considérable d’attentats meurtriers impunis :

  • – 20 blessés à Milan en avril 1969 ;
  • – huit trains qui explosent les 8 et 9 août 1969 ;
  • – 17 mort·es Piazza Fontana à Milan le 12 décembre 1969 (les deux organisateurs identifiés, membres du groupe “Ordine Nuovo”, ont bénéficié de la prescription) ;
  • – six mort·es le 22 juillet 1970 dans le train Palerme-Turin ;
  • – la tentative de coup d’État du prince Borghese avec la participation d’une partie de l’armée et des services secrets les 7-8 décembre 1970…

Il faudrait ajouter l’attentat néofasciste de Gorizia le 31 mai 1972, celui de Brescia (huit mort·es le 28 mai 1974) dont les auteurs seront acquittés, l’attentat contre le train Italicus (12 mort·es le 4 août 1974) dont les auteurs seront également acquittés et surtout l’attentat de la gare de Bologne (85 mort·es le 2 août 1980).

Dans ce dernier cas la loge P2, qui a infiltré l’entièreté de l’appareil d’État et une partie des médias, est impliquée. Son fondateur, Licio Gelli, compromis dans plusieurs meurtres ou scandales, mourra dans son lit à 96 ans après avoir reçu de nombreuses décorations.

Le passage d’une partie de l’extrême gauche à la lutte armée n’a pas été, au début, le fruit d’une stratégie délibérée. Le groupe Lotta Continua est accusé d’avoir tué le commissaire Calabresi en 1972 (il y a 49 ans !). Ce commissaire était accusé d’avoir défenestré l’anarchiste Giuseppe Pinelli après l’attentat de la Piazza Fontana et d’avoir trafiqué l’enquête sur la mort de l’éditeur d’extrême gauche Feltrinelli pour masquer la responsabilité des fascistes.

Les Brigades Rouges commenceront avec la “propagande armée” pour appuyer les luttes ouvrières. Elles détruiront des véhicules de contremaîtres ou séquestreront des cadres. Face à la stratégie de la tension, elles pensent que leur lutte va déclencher l’insurrection.

Avec la propagande armée, ils vont d’abord s’en prendre aux jambes des ennemis de classe. Puis ils passeront aux assassinats politiques. On leur impute 84 assassinats.

C’est l’assassinat d’Aldo Moro, dirigeant historique de la Démocratie Chrétienne, qui marquera leur apogée et marquera le début de leur défaite. Les dirigeants de la Démocratie Chrétienne ont abandonné Aldo Moro, partisan d’un “compromis historique” avec le Parti Communiste, mais sa mort portera un grave coup à la popularité des Brigades Rouges.

La répression

On est à une période où les appareils des pays dits démocratiques utilisent tous les moyens pour liquider les formes d’opposition armée. Le FBI entreprendra la liquidation physique des Black Panthers aux États-Unis, La Grande-Bretagne de Thatcher laissera mourir en prison Bobby Sands et d’autres grévistes de la faim de l’IRA, l’Allemagne Fédérale liquidera en prison les dirigeant·es de la Fraction Armée Rouge, Andreas Baader et Ulrike Meinhof, en faisant passer ces morts pour des suicides. En Espagne, le gouvernement organisera le GAL (Groupe Antiterroriste de Libération) qui assassinera des dizaines de militant·es basques. La France infligera des années d’isolation aux détenu·es d’Action Directe et elle maintient toujours en prison Georges Ibrahim Abdallah depuis 37 ans.

L’Italie utilisera massivement les “repenti·es”. Très souvent les auteurs d’attentats échapperont à la condamnation en dénonçant leurs ancien·nes camarades qui, eux/elles, refusaient de collaborer avec la police.

Il ne s’agit pas, en écrivant ces lignes, de porter un jugement sur la lutte armée, mais juste de dire qu’elle a été combattue par les différents gouvernements à coup d’énormes violations des droits fondamentaux.

En France, les communard·es ont été amnistié·es en 1880, soit neuf ans après les faits. En Italie, 49 ans après l’exécution du commissaire Calabresi, Giorgio Pietrostefani est menacé d’extradition alors que la quasi-totalité des auteurs d’attentats fascistes n’ont pas été poursuivis. Il y a une claire volonté de ne jamais pardonner et de criminaliser ceux et celles qui ont cru pouvoir renverser le capitalisme, la bourgeoisie a eu trop peur.

La traque

Les militant·es italien·nes qui échapperont aux arrestations partiront à l’étranger. La France de l’époque Mitterrand leur assurera l’impunité en échange d’un abandon de la lutte armée. Beaucoup y referont leur vie. Celles et ceux qui sont menacé·es de finir leurs jours en prison ont aujourd’hui plus de 60, voire plus de 70 ans. Ils/elles ont en France des conjoint·es et des enfants.

La parole de la France ne vaut décidément pas grand-chose.

Paolo Persichetti avait été acquitté par la justice italienne, puis poursuivi à nouveau pour une histoire de délais judiciaires. En France, il était doctorant à l’université de Saint-Denis. Il a été extradé en 2002 et a fait 12 ans de prison en Italie.

Cesare Battisti a pu vivre 14 ans en France où il est devenu écrivain. En 2004, il s’est réfugié au Brésil pour échapper à l’extradition. C’est Fred Vargas qui s’est régulièrement engagée pour le défendre. Lula a refusé de l’extrader vers l’Italie. Quand Bolsonaro est arrivé au pouvoir, Battisti s’est réfugié en Bolivie. C’est à Santa Cruz qu’il a été arrêté (sous la présidence d’Evo Morales !) et extradé en Italie. Là-bas, il a “avoué” tout ce dont on l’accusait et “affirmé” avoir trompé tou·tes ses soutiens. Pas de nouveau procès, c’est la perpétuité avec (peut-être) la promesse de pouvoir sortir un jour.

Ancienne des Brigades Rouges et condamnée à perpétuité en Italie, mère d’une fille née en prison, Marina Petrella a failli être extradée en 2007-2008. Au dernier moment, Sarkozy avait renoncé à cette extradition. Elle ne se cachait pas, elle est à nouveau arrêtée.

Criminalisation, politique sécuritaire, terrorisme

En Italie, il n’y a pas grand-chose à attendre des différents partis politiques. Après la défaite des groupes armés, l’Italie a connu l’opération “Mains Propres” qui a emporté la Démocratie Chrétienne et le Parti Socialiste et l’auto-sabordage du Parti Communiste qui a abandonné toute référence au socialisme ou à la laïcité et s’est converti au libéralisme décomplexé. Tout ceci a permis à des personnages comme Berlusconi ou Salvini d’accéder au pouvoir. Aujourd’hui l’Italie connaît l’Union Nationale sous la houlette de Mario Draghi, le banquier qui a contribué à mettre à genoux la Grèce quand il dirigeait la BCE (Banque Centrale Européenne). Tous les partis de cette coalition sont d’accord pour criminaliser éternellement celles et ceux qui ont pris les armes. Dans la société italienne, seul le journal Il Manifesto est pour l’amnistie.

En France, dans la course à l’échalote que se livrent Macronistes et Républicains pour appliquer avant l’heure le programme de Le Pen, ces partis rivalisent d’imagination sur les mesures liberticides à prendre.

Il s’agit aussi de disqualifier et de criminaliser la “gauche” en l’assimilant au terrorisme. La France aligne sa conduite sur celle de Bolsonaro. On notera aussi que nos chers gouvernants qui refusent de libérer Georges Ibrahim Abdallah et veulent extrader nos camarades italien·nes, ne font rien pour traduire en justice la vingtaine de génocidaires rwandais connus qui vivent en France.

Des rassemblements ont eu lieu pour empêcher cette forfaiture. Quelques partis ou associations ont protesté. On ne doit pas laisser faire.

Il y a 50 ans, on criait : “Libérez nos camarades”. C’est toujours d’actualité.

Pierre Stambul