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À l’école de la Commune de Paris

L’histoire est écrite par les vainqueurs : le “roman national” attribue à Jules Ferry tout le mérite de la création d’une école laïque, gratuite et obligatoire, quand la Commune de Paris en avait posé les jalons dès le printemps 1871. Certes, elle a manqué de temps et de moyens, notamment financiers, pour appliquer l’ensemble des mesures préconisées, mais le livre de Jean-François Dupeyron, enseignant-chercheur en philosophie de l’éducation à l’université de Bordeaux, dévoile et rappelle l’impulsion donnée par la Commune en matière d’innovation scolaire.

Loin de s’en tenir à quelques figures célèbres comme Édouard Vaillant ou Louise Michel, l’auteur a cherché au contraire à retrouver la trace des anonymes, la foule des sans grades qui ont contribué à l’émergence éphémère d’une “autre école”, découvrant les identités imprécises et effacées de la mémoire collective grâce au travail de recherche patient et inlassable du Maitron, Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et du mouvement social. Il est noté que les membres élus de la Commune étaient majoritairement des ouvriers, dont les professions sont énumérées : chapelier, typographe, tourneur, teinturier, mouleur, cordonnier, ciseleur… Pour un Varlin, relieur, dont le nom est passé à la postérité, combien d’inconnus ! De plus, s’inspirant de Jacques Rancière, Jean-François Dupeyron met en scène des moments singuliers qui montrent le surgissement d’une “école nouvelle”, présente au Journal Officiel du 2 avril 1871 par l’intervention d’une association populaire républicaine composée paritairement (bien avant que la parité n’apparaisse dans nos institutions !) de trois femmes et de trois hommes. Or Le concept “d’éducation nouvelle” n’est pas lié à la Commune, l’histoire l’associe à des expériences très postérieures. Cette Société de l’Éducation Nouvelle, réclame, outre une école dégagée de toute emprise religieuse, “l’instruction rationnelle, intégrale, qui deviendra le meilleur apprentissage possible de la vie privée, de la vie professionnelle et de la vie politique et sociale […] gratuite et complète pour tous les enfants des deux sexes […] obligatoire en ce sens qu’elle devienne un droit à la portée de tout enfant”. L’auteur souligne que la Commune entendit la requête, en favorisant les initiatives des différentes mairies d’arrondissement, plutôt qu’en imposant d’en haut des décrets d’ordre ministériel, dans un esprit plus autogestionnaire que centralisateur. Une décennie plus tard, l’école de la IIIe République s’affranchit certes de la tutelle religieuse mais la scolarisation de masse ne fut pas vraiment émancipatrice ; elle fonctionna plutôt, selon l’analyse de Michel Foucault, comme une “machine à apprendre mais aussi à surveiller, à hiérarchiser, à récompenser”. Outre son caractère abstrait et la valorisation de l’obéissance, cette école très patriote permit de préparer les esprits à l’union sacrée de 1914. Au catéchisme catholique succédait un catéchisme républicain asséné d’en haut. Bien différentes furent les propositions de la Commune.

La petite enfance

La petite enfance ne fut pas oubliée. Maria Verdure, militante républicaine très active et fille d’un instituteur révoqué sous l’Empire, développa un projet de crèche municipale laïque permettant aux mères (y compris à celles qu’on désignait alors par l’expression “filles-mères”) de se libérer pour d’autres activités. En voici quelques principes : “priorité donnée à l’allaitement maternel ; dissémination des locaux dans les quartiers ouvriers ; importance des salles de jeux ; contact avec la nature (jardin, volière) ; autogestion de la crèche par les usagers et rotation des tâches ; usage exclusif de couleurs gaies pour les habits des personnes en charge des enfants”.

La laïcisation mais pas seulement

La laïcisation de l’enseignement est attestée par de nombreux textes recensés dans les communes des différents arrondissements, même si l’application des mesures fut inégale, et si le départ du personnel religieux suscita parfois de violentes résistances. Quant aux contenus proposés, ils étaient extrêmement riches, puisqu’aux matières scientifiques et littéraires s’ajoutait l’éducation physique, grâce à la formation d’un corps de gymnastes pédagogues. En outre, le manifeste de la fédération des artistes entendait promouvoir l’art à l’école : “Le comité [des artistes] surveille l’enseignement du dessin et du modelage dans les écoles primaires et professionnelles communales […] il favorise l’introduction des méthodes attrayantes et logiques […]. Il provoque et encourage la construction de vastes salles pour l’enseignement supérieur, pour des conférences sur l’esthétique, l’histoire et la philosophie de l’art”. L’éducation se devait d’être “intégrale”, c’est-à-dire générale et professionnelle, polytechnique. Il fallut recruter de nombreux/euses enseignant·es, puiser dans le vivier de ceux et celles qui avaient été révoqué·es par l’Empire. Les candidat·es formulaient des propositions, par exemple étudier au moins une langue étrangère ou soigner l’instruction des jeunes filles. Autre dimension, celle de “l’école atelier” centrée sur le travail, qui permettrait l’acquisition d’un métier sous la responsabilité de maîtres d’apprentissage. L’auteur de l’ouvrage souligne que l’égale importance des différents domaines scolaires et la stimulation de la créativité des élèves sont loin d’être acquises, cent-cinquante ans après la Commune. Pour Jean-François Dupeyron, “la pente pédagogique de la Commune en tournant le dos à la fois à l’enseignement religieux et à ce que Vallès dénonçait comme le « bagne universitaire », allait vers le projet de proposer aux couches populaires [et au-delà] une expérience démopédique, c’est-à-dire une auto-éducation sociale et morale démontrant la puissance d’agir et d’apprendre propre au peuple. Malgré sa généralité, la formule « méthode expérimentale et scientifique » portait donc la promesse d’une exploration pédagogique révolutionnaire, dans laquelle l’instruction n’était pas qu’un moyen de savoir, mais devenait un moyen de faire en commun et de vivre en commun”.

Côté féminisme, notons une mesure d’avant-garde prise par la Commune, à savoir le premier décret établissant l’égalité des salaires entre les femmes et les hommes dans l’enseignement primaire.

Par ailleurs, le chercheur souligne que Ferdinand Buisson, considéré comme le père de l’école laïque, fut actif durant la Commune, dirigeant un orphelinat destiné aux enfants de combattant·es tombé·es au front, et puisant son inspiration chez des penseurs révolutionnaires.

Les suites

L’histoire d’une autre école ne serait pas complète si elle n’évoquait pas le foisonnement d’initiatives pédagogiques qui a précédé la brève effervescence scolaire de la Commune de Paris. Instituteurs et institutrices démis·es de leurs fonctions (ou, comme Louise Michel, refusant de prêter serment) sous l’Empire avaient créé des “écoles libres”, et étaient prêt·es à œuvrer à la transformation de l’enseignement dans un cadre communaliste. Quant aux suites, elles ont existé sous une forme embryonnaire plutôt que pleinement accomplie, avec les cours du soir des Bourses du Travail, ou les projets d’“école rouge”  associant transformation scolaire et sociale à la CGT. L’héritage s’est transmis avec la création de l’École Émancipée, mais une partie du courant socialiste a pensé possible de réformer l’école de l’intérieur.

En conclusion, si l’héritage de la Commune semble bien dilué, sinon invisible aujourd’hui, s’il manque d’ancrage type “banlieue rouge”, il existe, affirme Jean-François Dupeyron dans les formes variées et inventives de lutte sociale et politique relevant de la thématique contemporaine du Commun. Et en effet, durant les cinquante dernières années, de Mai 1968 aux Gilets jaunes, ont fleuri les inscriptions les textes et les propos se réclamant de la Commune de Paris, qui, décidément, n’est pas morte.

Marie-Noëlle Hopital

  • À l’école de la Commune de Paris, l’histoire d’une autre école, Jean-François Dupeyron, éditions Raison et Passions, 2020, 306 p., 20 €.
  • À commander à l’EDMP (8 impasse Crozatier, Paris 12, didier.mainchin@gmail.com).