Sommaire

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Un État/deux États

Pour les sionistes, la Palestine était une “terre sans peuple pour un peuple sans terre” 1 et le peuple autochtone n’existait pas. En votant le plan de partage le 29 novembre 1947, l’ONU a donné plus de la moitié de la Palestine aux colons qui ne formaient qu’un peu plus du tiers de la population. L’idée de “deux États” existait, mais particulièrement injuste. Les sionistes et la dynastie hachémite 2 s’étaient entendus pour se partager la Palestine 3 et, après la guerre de 1948-49, il n’y aura pas d’État palestinien. La Cisjordanie et Jérusalem-Est seront annexés par la Jordanie. Gaza sera sous protectorat égyptien.

Ce déni de l’existence, des droits et de la dignité des Palestinien·nes se prolongera après cette guerre. Immédiatement après avoir dirigé un nettoyage ethnique prémédité, David Ben Gourion déclarera : “nous n’avons expulsé personne, les Arabes sont partis d’eux-mêmes”.

Avec la conquête de toute la Palestine historique en 1967 et le début de la colonisation de ce qui n’avait pas été conquis en 1948, la volonté de faire disparaître la Palestine devient claire. En Israël, le mot “palestinien” n’existe pas et il est toujours question que ces “Arabes” se dissolvent dans le Proche-Orient.

Oslo ou la grande illusion

Une seule chose a été signée à Oslo en septembre 1993 : la “coopération sécuritaire”, c’est-à-dire l’obligation pour l’occupé d’assurer la sécurité de l’occupant. Et cette signature a définitivement transformé l’Autorité Palestinienne en une entité collaboratrice.

Les questions clés pour la Palestine, à savoir l’occupation, la colonisation, l’État palestinien, Jérusalem, les prisonnier·es, le droit au retour des réfugié·es…, on en a parlé et rien n’a été signé. Pendant les 26 mois qui séparent la signature des accords d’Oslo de l’assassinat de Yitzhak Rabin, ce dernier installe 60 000 nouveaux et nouvelles colons et envoie l’armée israélienne à Hébron pour les protéger. De quelle paix s’agissait-il ? Il y avait environ une centaine de milliers de colons installés dans les territoires occupés en 1993. On approche aujourd’hui les 900 000.

La “communauté internationale” va jouer un rôle détestable. Elle va prétendre qu’il existe un “processus de paix” alors que le rouleau compresseur colonial se développe. Les “négociations” 4 qui sont autant de demandes de capitulation des Palestinien·nes sur leurs droits vont se multiplier.

Charles Enderlin raconte dans Le Rêve brisé comment Ehud Barak et Bill Clinton essaieront de pousser Yasser Arafat à la capitulation à Camp David. Quand Arafat refuse de signer, Clinton lui explique “qu’il est un homme mort” et “qu’on lui fera porter la responsabilité de l’échec”. Et Barak déclare : “nous avons fait des offres généreuses qu’Arafat a refusées. Nous n’avons plus de partenaire pour la paix”. Ces fameuses “offres généreuses” consistaient à faire du village d’Abu Dis la capitale palestinienne, l’occupant gardant Jérusalem et les principales colonies. Et bien sûr, il n’était pas question de retour des réfugié·es.

Depuis 20 ans, on est dans l’hypocrisie la plus totale. Officiellement, l’ONU, l’Union Européenne et même les États-Unis défendent la “solution à deux États”. Israël est contre, multiplie les nouvelles colonies et institutionnalise l’occupation. Et la “communauté internationale” protège l’occupant, criminalise le soutien à la Palestine et même, en plein génocide à Gaza, arme les génocidaires.

Deux États ? Pas possible !

Quand on franchit la “ligne verte” 5, on se demande instantanément “où est la Palestine” ? On voit partout les colonies, le mur et les “routes de contournement” 6. Toutes les grandes villes palestiniennes et la plupart des villages sont encerclées. Le Monde Diplomatique avait publié il y a quelques années une carte de l’Archipel palestinien, pour souligner que les territoires palestiniens n’ont aucune unité ou continuité territoriale. L’archipel est devenu quelques tâches isolées.

Interrogé sur la viabilité de deux États en 2007, Victor Batarseh, maire FPLP 7 de Bethléem, avait montré la situation dans sa ville : il y avait autrefois une belle forêt entre Jérusalem et Bethléem. Il y a aujourd’hui la gigantesque colonie de Har ‘Homa dont les immeubles arrivent devant la mairie de Bethléem. “L’État palestinien, vous le mettez où ?”

Il y a eu dans l’histoire des évacuations de colons israéliens et israéliennes : une dizaine de milliers au moment de l’évacuation du Sinaï après la paix avec l’Égypte (1978-1979) et environ 8 000 lors de l’évacuation des colonies de Gaza (2005) décidée par Ariel Sharon. Les colons en Cisjordanie et à Jérusalem-Est sont des centaines de milliers. Parmi eux et elles, il y a beaucoup de membres de l’extrême droite religieuse et iels sont armé·es. Il n’y a aucune possibilité réaliste de les évacuer sans très grande violence.

Les économies de Gaza et de la Cisjordanie ont été détruites par l’impossibilité de produire ou de commercer normalement, par la transformation de ces territoires en marchés captifs obligés de consommer des produits israéliens souvent de mauvaise qualité. Des dizaines de milliers de Palestinien·nes ont été dans le passé des travailleur/euses immigré·es en Israël, précaires et sous-payé·es et surtout licencié·es régulièrement selon le bon vouloir de l’occupant.

Bref penser que ce qui reste de la Palestine puisse se transformer en État viable, c’est du rêve.

Deux États ? Pas souhaitable !

L’idéologie sioniste est au départ une théorie de la séparation, affirmant que Juif/ves et non Juif/ves ne peuvent pas vivre ensemble, ni dans le pays d’origine, ni dans le futur État juif. La séparation a mené au colonialisme de peuplement, au concept meurtrier d’État ethniquement pur et à présent au fascisme. Deux États, ça signifie le maintien de l’État juif. Un État qui n’est pas celui de tou·tes ses citoyen·nes est un État d’apartheid et n’est pas légitime.

Il y a entre Méditerranée et Jourdain sensiblement sept millions de Juif/ves israélien·nes et sept millions de Palestinien·nes. Les premier·es ont tout : la puissance militaire, la richesse, les droits. Les second·es ont été fragmenté·es en plusieurs sous-statuts de domination différents et iels n’ont rien. Même en admettant que l’évacuation des colons soit possible, au nom de quoi donnerait-on 78 % du territoire aux un·es et 22 % aux autres 8 ?

La principale raison pour laquelle la “solution à deux États” est totalement injuste, c’est la question des réfugié·es. Le crime fondateur de cette guerre, c’est l’expulsion préméditée des Palestinien·nes en 1948. Leurs descendant·es sont aujourd’hui plus de dix millions. Près de six millions de Palestinien·nes ont la carte de l’UNRWA, l’office des Nations Unis qui prend en charge les réfugié·es. On comprend bien que la “solution à deux États” les sacrifie. Aucune paix juste ne peut oublier le droit au retour des Palestinien·nes que l’ONU a reconnu 9. Les réfugié.es constituent aujourd’hui 75 % de la population de Gaza et 35 % de la population en Cisjordanie, leur retour concerne bien sûr l’Israël dans ses frontières d’avant 1967. Et même si seulement la moitié des réfugié·es font valoir leur droit au retour, le maintien d’un État juif n’a plus aucun sens.

Dans le livre Chroniques de Gaza 10, les rares Gazaoui·es qui se disent favorables aux deux États disent en gros : “Le monde est injuste, ils vont nous donner un morceau de désert qu’ils appelleront État palestinien et nous serons tellement faibles que nous serons obligés d’accepter”. “Et les réfugié·es ?” “Les réfugié·es, c’est une cause sacrée. Tant que le droit au retour ne sera pas reconnu, la lutte pour l’obtenir continuera”.

Un État ?

Une partie des Juif/ves arrivé·es en Palestine avant 1948 sont venu·es parce qu’iels ne savaient pas où aller et iels n’avaient pas pour projet d’expulser les Palestinien·nes. Il existait pendant le mandat britannique (de 1920 à 1948) un courant “binationaliste”. En 1944, en plein génocide nazi, dans une élection interne au Yichouv 11, une liste pour un État binational, conduite par le philosophe Martin Buber (1878-1965) obtient 45 % des voix. Mais ce courant disparaîtra dès le début des combats en 1948.

Au moment du vote du plan de partage, le “Haut Comité Arabe” qui rassemble tous les courants politiques palestiniens, propose à l’ONU une Palestine de tou·tes ses citoyen·nes. Le plan prévoit que la Palestine accueillera les réfugié·es juif/ves. Comme l’explique Élias Sanbar 12 dans le film Le Char et l’Olivier 13, pour Ben Gourion, cette proposition est un cauchemar et elle sera enterrée.

L’OLP 14 se prononcera assez vite pour “Un seul État laïque et démocratique”. Cette position sera abandonnée en 1988 à la Conférence d’Alger où l’OLP reconnaîtra Israël dans ses frontières d’avant 1967. Yasser Arafat sera critiqué par plusieurs partis politiques de gauche (dont le FPLP) et par des personnalités comme l’écrivain Edward Saïd (1935-2003). Cet abandon permettra la signature des accords d’Oslo.

En Israël, l’organisation d’extrême gauche Matzpen 15, aura aussi comme perspective l’État laïque et démocratique.

Un seul État, c’est sûrement le plus juste. Mais il est clair qu’il n’existe aucun rapport de force dans la région pour imposer une telle solution et surtout une solution reposant sur le “vivre ensemble dans l’égalité des droits”.

Quand on interroge les Palestinien·nes qui sont favorables à “un seul État”, dans leur vision c’est un pays qui s’appellerait Palestine, avec drapeau palestinien et dans lequel les Juif/ves israélien·nes qui accepteraient l’égalité resteraient.

L’ONU, une solution ?

Tous les Palestinien·nes s’insurgent sur le fait qu’on ne leur applique pas le droit international.

Le droit international, ce n’est pas feu la Société des Nations et ce n’est pas l’ONU. La Société des Nations en 1920 avait donné à l’Empire Britannique le mandat sur la Palestine en expliquant que les Palestinien·nes n’étaient pas assez “mûrs” pour être indépendant·es et qu’il fallait les guider vers la maturité.

L’ONU a violé le droit international à plusieurs reprises. Le vote du plan de partage en 1947 a été obtenu en achetant le vote de plusieurs pays. L’ONU n’avait aucun droit sur ce territoire. Dans les six mois qui séparent le vote du plan de partage de la déclaration d’indépendance d’Israël (14 mai 1948), la quasi-totalité des 400 000 Palestinien·nes vivant dans l’État juif octroyé aux sionistes par le plan de partage, ont été expulsé·es. L’ONU est responsable de la moitié de la Nakba 16.

L’ONU vote en 1948 la résolution 194 sur le retour des réfugié·es palestinien·nes. Réponse d’Israël : l’interdiction de ce retour, la confiscation des terres et des biens de ceux et celles qui ont été chassé·es, la destruction de centaines de villages et l’effacement des traces de la Palestine. Israël sera pourtant admis à l’ONU avec la mention “respecte le droit international”.

Plus récemment, en 2019, la CESAO 17 demande aux juristes Richard Falk et Virginia Tilley, un rapport sur la situation en Palestine/Israël. La conclusion de ce rapport est sans appel : Israël pratique une politique d’apartheid, tel que ce concept est internationalement défini. Le Secrétaire Général de l’ONU, Antonio Gutteres interdira la publication du rapport.

Même si aujourd’hui les dirigeants israéliens qualifient l’ONU “d’organisation antisémite” et même si une très grande majorité des pays membres de l’ONU ont reconnu l’État palestinien, ce n’est pas de l’ONU que viendra la solution.

Le droit international

Il est constitué essentiellement de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 qui complète la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.

Que dit ce droit international pour la Palestine ?

D’abord la liberté : fin de l’occupation et de la colonisation, destruction du mur qui balafre la Cisjordanie, fin du blocus de Gaza, libération des prisonnier·es palestinien·nes 18.

Ensuite l’égalité des droits pour tou·tes les habitant·es de la région, quelles que soient leurs origines, leur identité réelle ou supposée, leur religion ou leur non-religion.

Enfin la justice : le crime fondateur de cette guerre ayant été un nettoyage ethnique prémédité, c’est le droit au retour des réfugié·es palestinien·nes. C’est aussi le jugement des criminels de guerre.

L’appel palestinien au BDS 19 ne se prononce pas sur un ou deux États. Il se base sur ces trois points. En même temps, on comprend bien que le retour des réfugié·es est contradictoire avec la solution à deux États.

L’application de ce droit, c’est la garantie pour les Juif/ves israélien·nes de rester, exactement comme la fin de l’apartheid a permis aux Blanc·hes Sud-africain·es de rester. Il est clair que l’idée qu’Israël pourra éternellement s’imposer par la force et la violence est à la fois criminelle et absurde.

Les dirigeants néo-libéraux ou néo-conservateurs se trouvent devant un dilemme : jusqu’à présent, ils prétendaient défendre le droit et la démocratie face à la Russie, l’Iran, la Syrie, la Chine… Ces pays occidentaux, depuis octobre 2023, sont plus que complices d’un génocide. Laisser faire Nétanyahou, c’est achever toute idée de droit international, c’est retourner à la loi de la jungle, c’est achever de détruire les institutions internationales.

Cette guerre se joue sur deux plans. D’un côté, empêcher la destruction de la société palestinienne et de l’autre, obliger les complices d’Israël à cesser de soutenir cet État, à le sanctionner. Il est fondamental d’imposer le fait que toute négociation devra se faire sur la base du droit international et uniquement sur cette base.

Ce droit signifie clairement la fin de l’État juif et du sionisme.

Il n’y a pas d’alternative au “vivre ensemble dans l’égalité des droits” ni là-bas, ni ici.

De la Mer au Jourdain, l’égalité des droits !

Pierre Stambul

  1. C’est l’écrivain britannique Israël Zangwill, un des premiers sionistes, qui prononce cette phrase en 1901. ↩︎
  2. La future Jordanie. ↩︎
  3. L’historien israélien Avi Shlaïm raconte cette connivence et les deux rencontres entre Golda Meïr et le roi de Jordanie Abdallah 1er. ↩︎
  4. Ces négociations se dérouleront à Taba, Camp David, Annapolis… ↩︎
  5. Il s’agit de la frontière internationalement reconnue, c’est-à-dire la ligne d’armistice de la guerre de 1948-49 séparant Israël de la Cisjordanie. ↩︎
  6. Ce sont des routes interdites aux Palestinien·nes et réservées aux colons. ↩︎
  7. Front Populaire de libération de la Palestine, un des partis de la gauche palestinienne. ↩︎
  8. La Cisjordanie et Gaza représentent en superficie 22 % de la Palestine historique. ↩︎
  9. C’est la résolution 194 votée le 11 décembre 1948. ↩︎
  10. Sarah Katz et Pierre Stambul, 2016. ↩︎
  11. Le terme désigne l’ensemble des Juifs vivant en Palestine avant 1948. ↩︎
  12. Historien palestinien et ancien ambassadeur à l’UNESCO. ↩︎
  13. Film de Roland Nurier (2018). ↩︎
  14. Organisation de Libération de la Palestine créée en 1964. ↩︎
  15. Le mot signifie “boussole” en hébreu. Mais l’association ne regroupait que quelques dizaines de membres. ↩︎
  16. (16) Ce mot arabe signifie la catastrophe, c’est-à-dire l’expulsion de la majorité des Palestinien·nes en 1948. ↩︎
  17. Commission Économique et Sociale pour l’Asie Occidentale. ↩︎
  18. Près de 900 000 Palestinien·nes ont connu la prison depuis 1967. ↩︎
  19. Boycott, Désinvestissement, Sanctions contre l’État d’Israël. L’appel date de 2005. ↩︎