Un appel à la gève par une intersyndicale au plein cœur de l’été ce n’est pas banal ! C’est ce qui s’est passé à la Protection Judiciaire de la Jeunesse le 14 août. Notre camarade Claude Marill, retraité du SNPES PJJ/FSU s’est entretenu avec Stéphane Viry, co-secrétaire général du SNPES/PJJ.
L’Émancipation : Un appel à la grève un 14 août relève d’une situation insolite. Quelles sont les motivations d’un tel appel dans un contexte de vacance de pouvoir ?
Stéphane Viry : Les personnels de la PJJ ont été pris de court par la décision brutale de la Direction de la PJJ de supprimer des postes dont 144 en Île-de-France et ce dans une situation de déficit chronique de postes à l’échelle nationale. Dans les faits, ce sont près de cinq cents postes qui, bien que promis, ne seront pas renouvelés nationalement. Toutes les inter-régions sont concernées par ces coupes sombres dont évidemment le 93, mais aussi l’Alsace, le Nord, et des départements plus ruraux comme la Côte-d’Or, le Maine-et-Loire.
La décision prise par la direction de la PJJ ne répond pas à celle de notre ministre de tutelle Dupont Moretti, lequel avait promis de mettre trois millions “sur la table” pour renouveler les contrats, mais à Bruno Lemaire, ministre des Finances en charge de réduire les dépenses de l’État. Cette décision cynique éclaire sur l’esprit de notre gouvernement démissionnaire ! Et de la direction de la PJJ. Bruno Lemaire décide donc de mettre à mettre à mal une institution qui se trouve déjà au bord de l’asphyxie, pourtant en charge de l’Enfance en danger, et de jeter sur “le carreau” les personnels. En Île-de-France, le 1er septembre ce sont 1500 enfants qui seront en attente d’une prise en charge sachant par ailleurs que sur la Seine-Saint-Denis et certaines unités parisiennes une mesure éducative prise par le juge pour enfants est exécutée, dans le meilleur des cas, dans un intervalle de six à douze mois.
Les personnels dans un premier temps sidéré·es se sont rapidement ressaisi·es au sein d’une intersyndicale regroupant la FSU, la CGT, l’UNSA CFDT (FO refusant de s’y joindre, et Sud se trouve quasi absent), laquelle a appelé à cesser le travail ce 14/08/24. La grève a été suivie de façon différenciée selon les régions. À hauteur de 35 % dans le 75, et ce malgré de nombreux départs en vacances. Rendez-vous a été pris pour une forte mobilisation à la rentrée.
Notons qu’il faut remonter à 1953, en pleine guerre d’Indochine pour qu’un gouvernement de Centre droit, procède à de telles attaques budgétaires contre la Fonction publique, laquelle avait alors aussi riposté par la grève un 14 août ! (En plein congés payés !)
L’Émancipation : Ces restrictions budgétaires drastiques, occasionnant la suppression de près de 500 postes, ne participent-elles pas d’une volonté de l’État de restreindre le suivi et les activités éducatives des jeunes afin de subvertir la finalité éducative de nos missions en faveur d’une incitation au contrôle social ?
S. V. : Cette optique politique est clairement affirmée dans les faits. “Éloigner, Surveiller, Punir” comme le déclinait Michel Foucault. Aujourd’hui credo de nos actuels ministres “responsables” de la Justice et des Finances, lesquels ignorent ce que sont les missions de d’éducation et de prévention qui constituent notre profession. L’illustration la plus claire relève de la mise en place de Centres éducatifs fermés, ou encore de Centres éducatifs renforcés, lesquels vont à l’encontre de notre éthique professionnelle, de surcroît d’un coût excessif pour des prises en charge contre-productives.
Ajoutons à cela l’absence de démocratie institutionnelle à la PJJ qui répond d’abord aux injonctions du ministère des Finances, faisant ainsi fi de sa subordination à son ministre de tutelle, ce qui renforce la dynamique de contrôle social.
Par ailleurs les multiples réformes de l’Ordonnance 45 qui ont occasionné la mutation de l’Éducation surveillée aujourd’hui nommée Protection Judiciaire de la Jeunesse (le 30/01/2020) ont limité le travail d’investigation et donc de prévention de nos missions éducatives. Désormais la PJJ n’assume que celles relevant du pénal, abandonnant à l’ASE la prise en charge des enfants considérés en situation de danger… laquelle n’est guère assumée par cette institution, parent pauvre du Conseil régional peu doté pour assurer le financement de l’Aide sociale à l’enfance.
Ainsi nous pouvons penser que les organisations criminelles, tels les marchands de drogues ou de proxénétisme sont très actives sur le “marché de l’emploi” de cette jeunesse en déshérence dans les quartiers populaires.
Les brigades policières ajoutent au désastre par leurs incessants contrôles au faciès et leurs violences arbitraires auprès des jeunes.
Nous sommes dans un régime de contrôle social, de répression, de privatisation de libertés et d’abandon de la jeunesse en danger.
L’Émancipation : Quel avenir pour notre institution ? Assistons-nous à un processus de privatisation réduisant la fonction régalienne de l’État à une responsabilité gestionnaire ?
S. V. : En termes de privatisation, l’exemple le plus trivial est la cession des centres fermés au groupe privé “SOS” subventionné par l’État, lequel fait le pont vers la privatisation. Les personnels de la PJJ ainsi dépossédés du suivi éducatif en milieu ouvert sont amenés à faire de la gestion et non un travail éducatif efficient.
L’Émancipation : La perte de sens du travail éducatif conduit- elle à la désespérance des personnels ou à la volonté d’infléchir la politique de la direction de la PJJ par une opposition combative ?
S. V. : Après le 14/08, en plein été, il ne nous est pas paru opportun de reconduire le mouvement immédiatement du fait du week-end du 15 août et des congés. Mais nous avons néanmoins déposé un préavis de grève qui permet aux collègues localement de poursuivre l’action.
Le corps professionnel de la PJJ ressent cette réalité globalement comme désespérante, selon des modes différenciés dans les services. La tendance serait à la résignation, par exemple changer de boulot, mais elle n’est certainement pas à l’approbation des orientations prises par le pouvoir.
Nous savons que la combativité naît de la conviction qu’une opportunité politique peut créer une possibilité de dynamique sociale.
Nous constatons une incapacité à mobiliser la profession dans son ensemble mais la réaction du 14/08 face à l’attaque du pouvoir, et l’unité syndicale qui a su faire front, fait renaître l’espoir ! Cette unité syndicale FSU/CGT/ UNSA/CFDT, joue un rôle moteur.
Ce rapport de force sera d’autant plus concrétisé s’il est popularisé auprès des élus de la gauche dit NFP, et porté par eux à l’Assemblée nationale. Dans ce sens des sections et des régions ont déjà interpellé des élu·es.
Par ailleurs l’unité du NFP porte aussi un espoir d’avoir un gouvernement à l’écoute de nos revendications
À la rentrée, il nous faudra aussi penser un élargissement du mouvement vers d’autres secteurs de la protection de l’enfance dont l’ASE.
L’Émancipation : Le SNPES/PJJ prépare-t-il pour la rentrée sociale d’octobre un mouvement de refus des mesures prises par le gouvernement par la grève ?
S. V. : Nous sommes partant·es pour la grève, et ce pour deux raisons. La première concernant la situation catastrophique que nous connaissons dans notre administration, la seconde est la casse dramatique des services publics à l’échelle du pays, ce qui représente notre bien commun !
Et nous avons précisément ce bien commun à travers l’éducation, la santé, la justice. Toutes institutions frappées de destructrices coupes budgétaires !
Il faut en finir avec cette politique fiscale qui sert les riches, les actionnaires, ce qui creuse l’écart entre classe dominante bourgeoise et classes représentatives du monde du travail. L’amplitude des inégalités sociales sont insupportables.
L’actualité et l’efficacité de la grève sont conditionnées par l’unité de la classe ouvrière, aujourd’hui divisée par la démagogie de l’extrême droite. Il faut œuvrer à retrouver notre unité car la lutte des classes est au cœur des enjeux actuels.
L’émancipation : La question des salaires, des retraites n’exige-t-elle pas un “tous ensemble” dans la grève générale reconduite jusqu’à satisfaction de nos revendications ? (Public /privé)
S. V. : Oui nous devons arriver à poser cette question-là ! Un tous ensemble pour imposer la grève générale. Mais elle trouverait toute son efficacité si elle se déployait à l’échelle européenne. Nous devons penser nos luttes syndicales dans une perspective internationaliste, et nous avons les outils et les liens syndicaux pour le faire ! Quel pays européen échappe aujourd’hui à la casse sociale ?
Œuvrons à l’unité de notre classe ouvrière solidaire qui se construit aussi en dynamique dialectique avec l’unité syndicale européenne dans la lutte, et pourquoi pas dans la grève générale. Stratégie internationaliste que nous devons d’ores et déjà penser et mettre en œuvre !
Propos recueillis par C. M.