Retour en France
Il fut un temps où l’École Émancipée et, plus tard, Émancipation se livraient à une critique en bonne et due forme du sport spectacle, de la marchandisation des corps, de l’exploitation des athlètes, de l’instrumentalisation des grands évènements sportifs à des fins politiques. Cette fois-ci, il me semble que c’est un devoir de ne pas se taire.
Les jeux 2024 viennent de commencer, je recherche des commentaires de la cérémonie d’ouverture dans la presse et ne trouve qu’un concert d’éloges. Une accumulation d’adjectifs tels que “magique”, “grandiose”, “surnaturel”, “unique”, “C’est beau, c’est grand”, etc. On peut aussi trouver “typical french”, “super chic”.
Il est signalé que la gauche aurait commenté le spectacle du 26 juillet de façon positive, seule l’extrême droite aurait émis des critiques
Tout cela est bien étrange.
Premières réactions
Je m’étais juré de ne pas regarder la cérémonie d’ouverture à la télé. Accablée de chaleur, je m’affale sur le sofa, le 26 juillet, et allume la télé. La cérémonie, retardée par la pluie, n’est pas terminée.
Je vois des milliers de silhouettes étranges et pense que ça fait partie du show. Non, ce sont les spectateurs et spectatrices qui essaient de se protéger de la pluie, quand, soudain, apparaît sur la Seine une sorte de cheval-robot chevauché par une silhouette semblable à un chevalier du Moyen-Âge. Ensuite, apparaît un radeau portant un piano à queue d’où s’échappent des flammes, une chanteuse, qui se tient toute droite et remue légèrement une main, chante en anglais accompagnée au piano. Il y a une quinzaine d’années que des artistes se produisent ainsi en duo, sur des lacs. J’ai assisté récemment à un tel spectacle sur un petit lac du massif de Belledone.
Je continue à regarder, comprenant que les jeux n’ont pas encore été déclarés ouverts. Voilà que la cavalière juchée sur le cheval-robot est maintenant à quai sur un cheval de chair et d’os. Elle en descend et reçoit le drapeau olympique, qui va être hissé à son mât par des personnes en uniforme des différents corps d’armée.
J’abandonne quand Monsieur le Président de la République est annoncé. Je n’en peux plus et n’ai pratiquement rien vu !
Le lendemain, je regarde une partie de ce qui m’a échappé, afin de ne pas écrire sur des choses que je ne connais pas.
Que personne ne compte sur moi, bien que je sois de gauche, pour me répandre en propos élogieux.
Je signale seulement que j’ai assez aimé la prestation de Céline Dion, dont la voix est profondément humaine. Je n’ai pas compris pourquoi elle avait dû chanter du premier étage de la Tour Eiffel.
J’ai accepté l’idée que les équipes passent en bateau sur la Seine, j’ai accepté qu’il y ait des danseurs et danseuses et une certaine dose de symbolisme.
Ce que j’ai vu et entendu m’a profondément déplu, m’a été insupportable. C’était comme un malaise physique.
Dans ma tête, je revoyais des images des jeux de Berlin de 1936, pas moyen de les évacuer.
Je repensais aux décrets anti-étrangers, profondément racistes, passés par Darmanin à la veille de ces jeux, et je voyais ces innombrables athlètes dont la couleur de peau n’est pas celle requise par le RN. En entendant parler de fraternité, en voyant des tableaux simulant la tolérance, l’inclusion, je ressentais tout le show comme un énorme mensonge. Une sorte de pièce montée ayant pour but de redorer le blason d’un président déchu.
Il y avait peu de recherche de la beauté du geste, presque tout était brutal et perdait, par excès de symboles, sa force d’expression. Que faisait là ce chanteur vieillissant tout nu ? Pourquoi singer la Cène ? Et cela au moment où on accueille des personnes venues du monde entier ? Il paraît que c’était le festin des Dieux, je n’ai vu qu’une parodie de la Cène, immédiatement, sans attendre le jugement de l’extrême droite. Pourquoi des danseuses africaines devaient se contorsionner à l’extrême devant les musiciens de la Garde républicaine ? On en oubliait la chanteuse.
Pourquoi tant d’ironie et de dérision devant un public planétaire ? Ironie et dérision ne sont comprises que d’un public averti.
Pourquoi un déluge de lumières quand la population est obligée de faire des économies d’énergie ?
Je me suis prise à repenser aux fastes de Versailles, aux cascades et jets d’eaux qui, à côté, m’ont paru élégants et presque modestes.
J’ai regardé la remise des médailles après la victoire de l’équipe de France de rugby à 7. C’était la première médaille d’or pour la France. Un déluge de nationalisme s’est déversé sur le stade. À peine si la performance des îles Fidji a été mentionnée. J’ai vu ces athlètes grands et élancés s’agenouiller pour recevoir leur médaille. J’ignore si ce geste exprime le respect. Ou autre chose ?
J’avais en tête le cri de guerre des néonazis, en Allemagne de l’Est, qui parcouraient les rues avec des battes de baseball en hurlant “Fiji klatschen !” (taper dur les Fidji). Ils appelaient tous les Noirs qu’ils s’apprêtaient à attaquer “Fiji”.
Je m’attendais à quelque chose de démesuré, mais ce n’était pas vraiment cela. C’était le triomphe du faire-semblant. Je crains que peu de personnes partagent mon opinion.
Je me souviens, des décennies plus tard, avec une grande émotion, du mime qui, accroché en haut du chapiteau d’un cirque, annonçait en la mimant chaque partie du spectacle, seul, dans le silence et l’obscurité, soudain auréolé de lumière.
Moins, c’est plus ! Et plus, c’est souvent moins !
Une semaine après l’ouverture des jeux
Toujours peu de critiques dans la presse, les éloges dominent.
Je rencontre quelques personnes qui me rassurent sur mes propres facultés de jugement. Elles me disent : “C’était nul !”
Je regarde une peu la télé, en me forçant, ou bien, parfois, sans me forcer, la canicule aidant.
Les épreuves se déroulent sans trop de problèmes : l’équipe de foot israélienne joue à Nantes, la solidarité avec la Palestine parvient un peu à s’exprimer.
Les médailles françaises sont saluées par un déluge de superlatifs. Mais pourquoi, diable, Léa Salamé est-elle aux manettes sur France 2 ? Elle bat les records d’adjectifs qui servent surtout à combler les temps morts.
On ne compte plus les sourires, voire même les rires à l’écran. C’est la joie !
Le plus beau roman national
Pour la première fois depuis bien longtemps, j’achète Charlie-Hebdo afin de voir ce qu’ils pensent de tout ça. J’apprécie quelques caricatures, dont l’une montre Macron piquant la médaille d’or d’un colosse. J’apprécie aussi l’édito : “Le plus beau roman national du monde”. Je commence à saisir ce qui m’a été insupportable. Dans le décor du “roman national”, la ville de Paris, les concepteurs de la cérémonie font semblant de lui tourner le dos tout en lui offrant une vitrine. Merci Charlie-Hebdo d’avoir éclairé ma lanterne. Dans cet édito, il est aussi dit : “À la fin, on ne savait pas très bien ce qu’on avait vu”. C’est une autre façon d’exprimer les choses, en étant moins grossier.
Comme à son habitude, Charlie-Hebdo n’hésite pas, en première page, à forcer le trait. Un chanteur presque nu, micro en main, sort d’un cul, avec, en commentaire “La cérémonie de clôture sera encore plus belle !”
Je laisse à d’autres le soin d’analyser le rôle des JO dans la stratégie politique de nos (encore) gouvernants, le nationalisme débridé, l’enfumage permanent.
Françoise Höenle