L’Union Juive Française pour la Paix (UJFP) publie en septembre un livre Parcours de Juifs antisionistes en France (Syllepse, Éditions de l’échelle du temple). Nous publions ici, avec l’autorisation de l’UJFP l’introduction de l’ouvrage.
Le président Macron et le gouvernement français, dans leur soutien inconditionnel à l’État d’Israël, affirment, contre toute évidence, qu’antisémitisme et antisionisme seraient de même nature. Une bataille fait rage autour de cette scandaleuse assimilation déjà battue en brèche par la décision favorable aux actions de BDS (Boycott, désinvestissement, sanctions) prise par la Cour européenne des droits de l’homme, en juin 2020.
Cette bataille juridique se prolonge devant les tribunaux à l’occasion de la dissolution d’associations de solidarité avec la Palestine. L’UJFP y est engagée et a participé, par son avocate, à une première victoire auprès du Conseil d’État.
Le rapport d’Amnesty International de février 2022 établit largement que la notion d’Apartheid s’applique bien à la situation en Israël-Palestine.
Cependant, cette réalité du phénomène colonial israélien peine toujours à faire son chemin chez les Juifs et Juives de France comme chez les Israéliens et Israéliennes. Et la connaissance qu’on a, dans le mouvement social et dans le mouvement de solidarité avec la Palestine, de l’histoire juive antisioniste reste limitée.
Dans ce contexte, il nous est apparu que décrire le parcours de Juifs et Juives qui s’opposent au sionisme, était nécessaire. Cette pierre qui a pesé sur les consciences des Juifs et des Juives, il convient de l’apporter à l’édifice encore fragile de la décolonisation des esprits.
Une grande variété d’expériences
L’objet du livre est de montrer une évolution des consciences, à partir de trajectoires individuelles de militants juifs et de miltantes juives de tout âge et leur travail de prise de conscience.
Pas de trajectoires uniformes. La variété fait la richesse du livre. Une évolution personnelle et collective qui aboutit cependant à la même constatation : l’apartheid israélien est insupportable, les crimes de guerre ne peuvent être commis au nom des Juifs et des Juives.
Que les témoins qui nous ont rapporté leur histoire aient été ou non sionistes, le caractère détestable des politiques israéliennes s’est peu à peu imposé à chacun et chacune comme essentiel. La mise en cohérence d’un refus intransigeant du racisme – qu’il soit principalement basé sur une histoire personnelle liée au génocide des Juifs et Juives ou au colonialisme français au Maghreb – avec la perception de l’absence de justice et d’égalité des droits en Palestine, ne va pas sans lenteurs et sans difficultés. Elle va pourtant devenir principale dans la plupart de ces trajectoires. Un joyau de la conscience, difficilement dégagé de sa gangue.
Il y a bien entendu, chez nos narrateurs et narratrices, une volonté de transmission de leur expérience personnelle. Il s’agit de donner à leur parcours une valeur plus large, qui pourrait peut-être aviver le questionnement de la communauté juive.
Le livre comporte aussi les témoignages de jeunes militants et miltantes de l’UJFP, à la trajectoire moins longue, mais qui s’inscrivent dans un paysage décolonial très actuel.
Jamais vraiment sioniste
Toute une première partie, évoque ceux et celles qui n’ont jamais été sionistes, ou si peu : fils d’un kabbaliste pour qui le sionisme était une abomination, fils d’un résistant de la FTP-MOI élevé sans relation avec la religion ou avec Israël, militant syndical et politique se “découvrant” juif très tardivement, au moment de l’Intifada, pédagogue de la Shoah ne supportant pas l’appropriation du génocide par un État mettant en place un système d’oppression, jeune enseignante sans liens avec Israël mais réagissant aux bombardements de Gaza à partir de son attachement à l’histoire de sa famille ashkénaze assassinée à Auschwitz, jeune militant voulant se situer avec une “boussole décoloniale” et inscrire dans la fraternité avec ses camarades racisé·es une forme d’identité juive…
La confrontation avec Israël
D’autres ont été sionistes. Et souvent des sionistes enthousiastes. L’aventure des kibboutzim en a attiré plus d’un·e. Certain·es sont allé·es en Israël avec la perspective de réaliser leur alya.
Un vague désenchantement a souvent précédé la rupture. Des situations gênantes se sont présentées, des mots pénibles ont été prononcés : le racisme anti-arabe a choqué, le militarisme aussi. Mais il n’était pas facile d’aller au bout de la logique induite par cette déception. Les sionistes rencontré·es en Israël ou en France avaient réponse à tout. Et on ne quitte pas le kibboutz parce qu’un connard a mal réagi quand il a vu que vous portiez un keffieh acheté par amusement sur un marché de Jérusalem.
La mauvaise conscience a cependant été renforcée par des incidents qu’on s’est d’abord efforcé de minimiser : un Arabe qui crache par terre au passage des Juifs et Juives, la pauvreté observée au cours d’une visite à Jérusalem-Est, la découverte de l’existence d’une architecture arabe magnifique dans des villes où les Arabes ont disparu, la constatation qu’on ne loue pas les appartements aux Arabes en dissimulant la discrimination sous l’exigence que le postulant soit “dégagé des obligations militaires”, la virée en stop qui vous transforme en témoin des brutalités aux check-points…
Souvent, un retour en France permet de mettre la distance nécessaire pour effectuer une vraie rupture, surtout si le mouvement social s’en mêle – de mai 68 aux manifestations contre la répression des Intifadas.
Un long arrachement
Mais cette rupture peut être extrêmement douloureuse. Elle induit souvent des conflits amicaux ou familiaux. Dans certains cas, la rupture est définitive avec la famille.
La troisième partie insiste sur ces parcours qui ne passent pas forcément par la case israélienne. Nos témoins décrivent – par le récit ou par le poème – une atmosphère de culpabilité, une inquiétude du surmoi, une pression familiale consciente ou non. Cela passe parfois par la recherche d’un “sionisme à visage humain”, par une phase de “sionisme de gauche”. Un grand révolutionnaire se gaussait de la prétention à l’objectivité de l’historien ou de l’historienne juché·e sur les remparts d’une ville assiégée qui observe rationnellement les deux camps. Mais, dès que les assiégeant·es tirent un coup de canon, il ou elle court se réfugier à l’intérieur de la ville. Ainsi sont les sionistes de gauche dont les paroles lénifiantes sur les pauvres Palestinien·nes ne les empêchent pas de justifier les pires violences et violations de leurs principes affichés de justice et d’égalité des droits.
Et l’UJFP ?
L’Union juive française pour la paix elle-même ne s’est pas toujours déclarée antisioniste. Ce fut un cheminement. La charte initiale permettait d’accueillir “sionistes et non-sionistes”. Un dernier texte fait donc le point sur cette évolution.
La démarche de cet ouvrage, quelles que soient les péripéties parfois douloureuses du chemin, est pleine d’un espoir immense et cependant lucide, un espoir d’égalité et de justice, un espoir qui fabrique de la fraternité et des rencontres.
Et comme le dit le poète Mahmoud Darwich :
“Puissent les mots, enfin limpides, nous laisser entrevoir les fenêtres ouvertes
Puisse le temps se hâter avec nous, et apporter notre lendemain dans ses bagages.”
Dominique Natanson
כְּאֶזְרָ֣ח מִכֶּם֩ יִהְיֶ֨ה לָכֶ֜ם הַגֵּ֣ר׀ הַגָּ֣ר אִתְּכֶ֗ם וְאָהַבְתָּ֥ לֹו֙ כָּמֹ֔וךָ כִּֽי־גֵרִ֥ים הֱיִיתֶ֖ם בְּאֶ֣רֶץ מִצְרָ֑יִם
“L’étranger qui séjourne parmi vous sera pour vous comme un des vôtres ; tu l’aimeras comme toi-même ; car vous avez été étrangers dans le pays d’Égypte”. (Lévitique 19-34)