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Loi de 1905 : pas soluble dans le zemmourisme !

Défense laïque

À première vue, l’affaire a tout de la mauvaise caricature du folklore politique provençal : un notable local clientéliste, une Vierge, une statue de saint, un chemin de “Radasse” 1, un candidat d’extrême droite parachuté…

Elle se tient dans la commune varoise de Cogolin, et malgré les apparences elle constitue une facette d’un enjeu national : la défense et le respect de la loi de 1905.

1905 : l’enjeu de l’article 28

Notre revue a déjà évoqué dans ses colonnes la loi de 1905, et sa portée : la Séparation des Églises et de l’État 2. Il s’agit d’une grande conquête démocratique à l’instar d’autres conquêtes démocratiques et sociales, nécessitant certes des compromis du fait des rapports de forces, et qui de surcroît a été écornée – comme beaucoup de conquêtes sociales et démocratiques – par divers gouvernements. Il ne s’agit pas d’une particularité française, mais de la forme que prend en France un combat démocratique universel, porté par les militant.es du mouvement ouvrier 3.

Les articles les plus connus de la loi sont les articles 1 et 2, à juste titre. Mais ils ne doivent pas faire oublier le reste de la loi. Prenons la récente loi “séparatisme” : elle s’inscrit dans une volonté de contrôle politique et de mise au pas des associations (et pas seulement religieuses), de désignation des musulman·es comme dangers pour “les principes de la République »… et pour faire passer ce renforcement de l’autoritarisme d’État, il a fallu modifier la loi de 1905, qui est donc aussi un garde-fou face aux dérives policières. Même si elle contient déjà des dispositions permettant de surveiller les cultes, au final elle ne brime pas la liberté religieuse… quoi qu’on puisse penser par ailleurs des religions.

Il n’y a donc pas que les articles 1 et 2, mais aussi l’article 28, dont voici le texte :

« Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. »

C’est un article ayant trait à l’espace public, celui sous administration des autorités publiques : la laïcisation des institutions passe aussi par la laïcisation de l’espace public. Il ne s’agit d’ailleurs pas de déchristianiser l’espace public, car il interdit uniquement les signes religieux apposés postérieurement à la loi : ceux déjà en place en 1905 ne sont pas concernés.

Au cours des années 2000-2010, en France mais aussi dans d’autre pays d’Europe, ont lieu des tentatives pour “christianiser” les espaces publics. Il s’agit invariablement de manœuvres de forces obscurantistes et réactionnaires. Plus que du clergé catholique (qui a d’autres priorités et soucis…), elles sont en France le fait de divers potentats locaux réactionnaires (FN/RN, mais pas seulement). Bien entendu, il s’agit pour eux de procéder à des opérations électoralistes, de se livrer à des provocations – d’aucun.es les qualifieraient d’islamophobes – contre les classes populaires issues de l’immigration (histoire de leur montrer qu’on est dans un pays “chrétien”, et qu’ils/elles restent des allogènes)… et d’attaquer sournoisement la laïcité.

Un combat pas si anodin

Mais globalement, ces opérations ont fini par échouer. Des militant·es de diverses forces démocratiques n’ont pas laissé faire. C’est notamment le cas d’associations “libre penseuses”, dont la majorité font partie de la Fédération nationale de la Libre Pensée (FNLP). Cette dernière a contribué à faire condamner plusieurs fois des élus locaux sur cette question.

Au final, le conseil d’État a tranché en novembre 2016, en formulant plusieurs exigences cumulatives pour que crèches de la Nativité, statues de saints ou de papes, etc. soient légales, et qui de fait entravent toute nouvelle initiative politico-cléricale en ce domaine. De ce point de vue, il serait judicieux que le mouvement ouvrier et la “gauche” (y compris “révolutionnaire”) 4, cessent de considérer – comme d’aucun·es le font parfois – ces combats comme folkloriques et d’arrière-garde, réservés aux “bouffeurs de curé” (surtout quand cela s’accompagne d’une absence totale d’initiative propre sur le terrain laïque). On a souvent remarqué que l’extrême droite tente de gagner le combat idéologique et culturel pour progresser politiquement, la “christianisation” des lieux publics constitue une facette de cette stratégie… et la lutte contre cela, une facette de la lutte contre l’extrême droite.

Car nous sommes ici au cœur de problématiques d’actualité : celle de la laïcité bien entendu, mais aussi de la lutte contre la xénophobie et l’extrême droite.

Un récidiviste

Le maire de Béziers, Robert Ménard, est élu en 2014 (et réélu en 2020) comme maire de Béziers, avec le soutien du Front National. Très vite, il est condamné chaque année pour non-respect de la loi (crèche de la Nativité au sein de la mairie). Et pour ne pas faire les choses à moitié, c’est un festival de « christianisation » : cérémonie religieuse à l’ouverture de la feria de Béziers, défilé de la Vierge, etc. organisées par la mairie. Il n’est pas sans intérêt de remarquer que R. Ménard se positionne comme le pont permettant de relier le macronisme – auquel il s’est rallié, évoquant un possible portefeuille ministériel – et l’extrême droite (pont existant d’ailleurs déjà dans le gouvernement, en la personne de la ministre Sonia Backès). On ne sait jamais ; en cas de mouvements sociaux trop forts, une coalition entre ces deux forces pour attaquer libertés démocratiques et droits sociaux, et instaurer un État autoritaire… est tout à fait pensable, puisqu’elles servent les mêmes maîtres : le capitalisme et la grande bourgeoisie.

Coup double à Cogolin

À Cogolin, la mairie décide donc d’élever en 2018 une statue de Saint Maur (patron de la ville) et de la Vierge (située à l’intersection du chemin Radasse, ce qui laisse pensif sur les rapports entre l’exécutif municipal et le genre féminin…) dans un domaine public. Un citoyen contacte la Fédération varoise de la Libre pensée : celle-ci porte l’affaire au tribunal administratif. Comme d’habitude, la municipalité argue du caractère “traditionnel” 5 et « culturel » plutôt que “cultuel” des statues de Saint Maur et de la Vierge. René Magritte a pu réaliser avec talent un tableau avec comme légende “Ceci n’est pas une pipe”, la mairie de Cogolin nous dit – beaucoup plus laborieusement – que des statues d’un saint et de la Vierge n’ont pas de consonance religieuse… peine perdue, le tribunal administratif en juge différemment en juin 2021 : la statue de la Vierge “a un caractère uniquement et totalement religieux au sens […] de l’article 28 de la loi de 1905” et que celle de Saint-Maur “constitue un symbole principalement religieux”, et conclut logiquement : “le présent jugement implique nécessairement que la commune de Cogolin retire les deux statues illégalement érigées sur le domaine public”.

Bien entendu, l’affaire n’en reste pas là. En septembre-octobre, le maire de Cogolin réagit à la condamnation. Il fait appel, et fait de l’affaire un enjeu national, dans le cadre des élections à venir : n’est-il pas le premier élu varois à parrainer Zemmour (et pas comme démocrate comme le font beaucoup de maires pour les “petites” candidatures, mais par adhésion idéologique) ? Ne sera-t-il pas suppléant de Zemmour aux législatives ? Du coup, nous avons droit à l’arsenal classique : campagne de courriels et rassemblement de protestation organisé par la municipalité, campagne d’intox (il serait question de supprimer des festivités traditionnelles de la ville, les “bravades” !), pétition nationale relayée par différents réseaux d’extrême droite, catholiques… avec toujours le même argumentaire : “nos” traditions sont menacées de dissolution, c’est la fin de la France éternelle, etc., un bulletin municipal expliquant aux administré·es que la laïcité n’est que “la forme républicaine du catholicisme” (sic).

Cela dit, les juges de la cour administrative d’appel de Marseille ont peut-être peu apprécié certaines déclarations du maire de Cogolin, comme dans le quotidien local (Var-Matin, 08/10/2022) : “Je ne sais pas quelle magouille je vais réussir à trouver, mais je vais me battre pour conserver cette statue” 6.

En tout cas, peine perdue, le 18 juillet 2022 la cour administrative se prononce sans ambiguïté : “Les deux statues constituent ainsi, de façon univoque, des symboles religieux”. La mairie est de nouveau condamnée ! Battu aux élections législatives, battu par une association laïque, cela fait beaucoup pour le maire de Cogolin 7.

Cette (petite) victoire de la laïcité vient à peu près au même moment que d’autres 8, et, espérons-le, avant beaucoup d’autres. On remarquera tout de même la très grande discrétion des autorités publiques : il faut que ce soit une petite association laïque – donc un groupe privé – qui agisse pour faire respecter la loi de 1905. Il faudra aussi veiller à ce que la mairie applique bien cette décision de justice.

En tout cas, les habitant·es de Cogolin pourront continuer à participer sans souci à leur fête traditionnelle annuelle…

Quentin Dauphiné

Solidarité

Comme toute lutte sociale et démocratique menée par des militant·es, la lutte laïque a un coût, notamment pour les démarches juridiques. La Libre pensée 83 a lancé un appel à solidarité financière, car l’affaire pourrait ne pas en rester là. Vous pouvez y contribuer (chèque à l’ordre de “Fédération varoise de la Libre Pensée”, adresse : Fédération varoise de la Libre pensée, 90 chemin Mignon, 83470 Saint-Maximin), et la contacter pour toute information : librepensee83@free.fr

  1. En argot, terme synonyme de “prostituée”. ↩︎
  2. Pour plus de précisions, voir le numéro d’octobre 2019 de L’Émancipation syndicale et pédagogique. ↩︎
  3. Combat analysé notamment par Benoît Mély : De la séparation des églises et de l’école Mise en perspective historique – Allemagne, France, Grande-Bretagne, Italie 1789-1914, éditions page Deux, 2004. ↩︎
  4. En faire la liste serait trop long et hors sujet. Remarquons toutefois que la principale force de la gauche réformiste et parlementariste, la France Insoumise – dont je ne suis pas membre ni sympathisant – a développé des éléments intéressants sur cette question dans son programme. ↩︎
  5. Sophisme classique des réactionnaires, sachant que certaines de leurs “traditions” ne datent que de quelques années parfois… ↩︎
  6. Intéressant, quand un de ceux qui se gargarisent de lutter contre l’ »incivilité », faire régner « l’ordre », « faire respecter la République »… dit benoîtement et publiquement qu’il va contourner la décision de justice. ↩︎
  7. Pour plus d’informations sur les faits d’armes de Marc-Étienne Lansade, consulter sa page Wikipedia ↩︎
  8. Voir sur le site fnlp.fr : “Les revers de la reconquête cléricale de la sphère publique s’accumulent”. ↩︎