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Les élections passées, les problèmes demeurent

L’année scolaire écoulée a été marquée par les élections bien entendu, mais aussi par d’autres évolutions dans la société. Dans cette situation, quels seront les enjeux pour les prochains mois, alors qu’on peut s’attendre à un durcissement de la politique réactionnaire à l’œuvre ?

Il est difficile de faire le bilan politique et social de l’année scolaire passée, et des enjeux pour les luttes, en faisant abstraction du fait suivant : la situation française est elle-même imbriquée de manière indissoluble avec la situation internationale, notamment la guerre provoquée par l’invasion de l’Ukraine.

Instabilité politique et sociale

Deux événements très récents survenus dans d’autres pays rappellent certains traits importants de la situation. Ainsi le Sri Lanka : le monde entier aura pu voir la révolte populaire avec invasion du palais présidentiel, démission du président et du premier ministre… fondamentalement, il s’agit d’une révolte contre une oligarchie (ici une famille) qui pille le pays et appauvrit sa population, avec la complicité de fonds de pension chinois et américains.

Très loin du Sri Lanka, autre événement significatif, cette fois-ci à caractère totalement réactionnaire : aux États-Unis, principale puissance mondiale, la cour suprême vient de mettre fin à l’arrêt “Roe v. Wade”, donc à supprimer la protection fédérale concernant le droit à l’avortement. Il faut noter que cet acte est largement dû à l’action de la composante religieuse du camp républicain : la “Christian coalition” (ce qui montre une fois de plus que les diverses confessions peuvent mettre de côté leurs différends quand il s’agit de faire aboutir des mesures réactionnaires, et qu’il ne faut pas sous-estimer – comme le font plusieurs courants dans le mouvement ouvrier – le rôle néfaste des courants religieux).

Ces deux événements très dissemblables, montrent que la situation actuelle est caractérisée en particulier par trois éléments majeurs :

  • l’instabilité économique, sociale et politique croissante dans la plupart des pays capitalistes ;
  • dans cette situation, les forces les plus réactionnaires et nationalistes avancent leurs propres “solutions” ;
  • mais dans le même temps, l’évolution réactionnaire de la situation tend à susciter des résistances, des luttes, au travers de processus de mobilisation populaire dont la forme est très différente selon les pays. Ces mobilisations peuvent surgir en dehors des cadres militants traditionnels, mais ce n’est pas systématique et les deux peuvent exister : ainsi au Sri Lanka, les organisations syndicales avaient aussi appelé à la grève générale.

Les difficultés des économies capitalistes

Quand on parle de situation d’instabilité, elle est très visible sur le plan économique. Si elle a été aggravée par le Covid et la guerre en Ukraine, ils n’en sont pas à l’origine.

On peut ainsi constater une inflation sans équivalent depuis les années 1980 dans nombre de pays. Et pour résoudre ce problème, les gouvernements et les capitalistes vont naturellement vouloir appliquer leur technique habituelle : diminuer la demande, autrement dit attaquer les conquêtes sociales des classes populaires pour faire baisser le “coût du travail”. Cette tendance se voit notamment avec la hausse des taux d’intérêt, certains s’en vantent ouvertement comme cet éditorialiste d’un grand journal approuvant le “choix du chômage” fait par les principaux gouvernements. Ainsi, en France, le “paquet pouvoir d’achat” ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt : c’est probablement le dernier avant une politique d’austérité, le “quoi qu’il en coûte” consistant surtout à arroser le patronat, sans toucher à ses profits.

On peut aussi remarquer une remontée de la pauvreté et de la précarité. Un exemple : la tendance de long terme depuis les années 1990 était à une diminution de la sous-alimentation et de la malnutrition, que certains pensaient même remplacées par le surpoids ou l’obésité… or depuis deux ans on constate une reprise de la sous-alimentation.

La France après les élections

La France n’échappe pas à ces tendances, mais la situation politique en France présente quelques originalités.

Tout d’abord, la situation politique résultant des élections présidentielles, qui constituent le pilier de la Ve République. La première chose à noter, est la montée de l’extrême droite. Celle-ci n’était pas écrite (on se souviendra qu’aux régionales l’année précédente, le RN avait perdu 50 % de ses élu·es dans les conseils régionaux, et 2/3 de ses voix). Elle est d’autant plus renforcée qu’il faut y ajouter le score de Zemmour, propulsé consciemment par des grands médias qui par ailleurs ont voulu faire passer le RN comme “modéré”.

En parallèle, un autre point est évident : le rejet du macronisme (très visible aux législatives). Sa base sociale est très étroite, on peut – en caricaturant un peu – constater qu’elle se réduit à trois groupes : les plus de 70 ans ; les riches (ou qui se considèrent comme tels) et les gens attachés à la “valeur travail” (notamment des éléments des classes moyennes qui ont profité du “quoi qu’il en coûte” pendant le Covid) ; des catégories sociales qui travaillent derrière un ordinateur, autrement dit coupées de liens avec le public… autrement dit une base sociale qui n’est pas centrale pour faire fonctionner une société.

Autre élément significatif : l’émergence d’une union de la gauche (la “NUPES”) pour la première fois depuis 1997, suite au succès relatif de l’Union populaire et de son candidat aux présidentielles. Cette union de la gauche s’est dotée d’un vrai programme de plusieurs dizaines de pages, ce qui a pu surprendre les militant·es (dont je faisais partie) qui étaient sceptiques sur sa durée et sa réalité. Son avenir n’est pas écrit, il se peut qu’elle soit durable, et elle a comme particularité d’être structurée par sa force la plus radicale, la France insoumise. Lors des discussions parlementaires sur le “paquet pouvoir d’achat”, la NUPES a ainsi posé la seule question qui vaille : ponctionner les multinationales et les plus riches, dans une logique réformiste.

Aux législatives, alors que J.-L. Mélenchon avait réussi à toucher en partie les quartiers populaires et les abstentionnistes, la NUPES n’a pas réussi à faire de même : sa dynamique est restée cantonnée au monde militant, avec un très léger progrès en voix par rapport aux élections de 2017. Néanmoins, cela lui permet aujourd’hui de priver Macron d’une majorité absolue (facteur de fragilisation de son pouvoir, et donc élément positif pour les luttes à venir).

S’il ne faut pas sous-estimer ce que la nouvelle situation parlementaire modifie dans la situation politique, il ne faut pas la surestimer non plus : les élections sont passées, maintenant la parole est au mouvement social car lui seul peut mettre en échec, par ses luttes, la politique de Macron.

Sachant que par ailleurs, la situation politique est peu commune. Ainsi, les candidates des deux partis traditionnels de la Ve République depuis les années 1970, le PS et l’héritier du parti gaulliste, ont rassemblé à peine plus de 6 % des suffrages.

Il faut visiblement s’attendre à ce que l’absence de majorité au Parlement, amène à un renforcement du caractère réactionnaire des politiques gouvernementales : en particulier dans l’éducation. Cette évolution réactionnaire, qui va frontalement à l’inverse des aspirations populaires, risque de se trouver confrontée à des mouvements de protestation situés au moins partiellement en dehors des cadres organisés traditionnels… en d’autres termes des phénomènes ayant des similitudes avec la lutte des “Gilets jaunes”.

Quelles possibilités de luttes ?

L’élection présidentielle, comme c’est souvent le cas, a joué un rôle d’éteignoir des mobilisations… au moins en partie. Car on a pu assister à quatre phénomènes notables.

Le premier d’entre eux est constitué par les tentatives de donner un cadre national d’action intersyndical, avec les journées d’action du 27 janvier et du 17 mars. Cela n’enlève rien aux critiques que l’on peut faire de ces “journées d’action”, mais d’habitude il n’y en a pas dans les semaines précédant les présidentielles.

Second élément notable : des mouvements sans échéance centrale, mais qui ont impulsé des mobilisations. C’est le cas des luttes écologistes : si les marches pour le climat sont en recul en France, en revanche il y a eu beaucoup d’autres actions. Ainsi la mobilisation contre les méga bassines, contre les grands projets inutiles… au total, beaucoup de mobilisations locales, qui ont pu imposer des reculs au pouvoir et au capitalisme 1. C’est aussi le cas des mobilisations féministes : la formation d’une coordination nationale féministe fondée sur des collectifs locaux (donc sur une problématique d’auto-organisation). Elle se donne notamment comme perspective la construction d’une grève féministe par la base, pour le 8 mars 2023.

Autres aspects qui ont émergé récemment : dans la jeunesse, un phénomène de rejet du travail salarié, autrement dit du travail tel que l’organise le capitalisme. Et ce, non seulement aux États-Unis, mais aussi en France (cf. la prise de parole de jeunes diplômé·es à Agrotech, qui a été assez médiatisée).

Dernier point notable concernant les mouvements sociaux : les grèves. Il y en a eu dans certains secteurs de la Fonction publique : bien entendu, celle qui nous a le plus touché·es est celle du 13 janvier dans l’éducation, qui était porteuse d’une dynamique intéressante et d’une vraie colère des personnels. Il y en a eu aussi dans le privé : elles sont moins visibles car elles se situent dans le cadre des négociations annuelles obligatoires, qui ne sont pas centralisées. On notera que souvent ces grèves comportaient une part importante de spontanéité, surprenant même parfois les responsables syndicaux·les qui étaient de fait poussé·es par la base, ou survenant dans des entreprises à faible syndicalisation. Enfin, la reprise de mouvements sociaux après les élections présidentielles est aussi à remarquer : SNCF, sages-femmes, salarié·es de Chronodrive. La grande presse bourgeoise elle-même doit s’en faire l’écho à l’occasion.

Ces luttes portent le plus souvent sur deux thèmes : les salaires (autrement dit les inégalités de richesses), et la précarité. Ces luttes sont souvent le fait de catégories du salariat qu’on pourrait qualifier de “première ligne” ; cette expression a émergé à l’époque de l’épidémie de Covid dans le discours du pouvoir, mais elle marque aussi une prise de conscience : ce sont des catégories du salariat sans lesquelles une société ne fonctionne pas, des catégories souvent mal payées, féminisées et précaires. Dans l’Éducation nationale, on remarquera d’ailleurs les luttes animées par les AESH (même si très cadrées par une intersyndicale, au demeurant avec des revendications justes sur la titularisation dans un statut à créer), et les AED (qui ont mis en place une coordination nationale à cette occasion, lieu d’ailleurs de discussions sur les revendications les plus pertinentes) sont des nouveautés importantes, et relevant de la même problématique.

Comme on le voit, des éléments se mettent en place, qui pèseront sans doute dans les prochaines luttes.

À propos de “revalorisation”

On (le gouvernement comme certaines directions syndicales) parle beaucoup de “revalorisation” salariale : il y aurait un métier d’enseignant “dévalorisé”, pour y faire face il faudrait augmenter les salaires des enseignant·es. C’est une approche corporatiste et à courte vue. Corporatiste, car on peut se demander par rapport à qui et à quoi il serait dévalorisé ? En général cela renvoie à des comparaisons avec d’autres travailleur·es (car comment mesurer une “dévalorisation”, si ce n’est par comparaison avec d’autres ?), alors que la question n’est pas d’opposer des catégories mais de construire une mobilisation d’ensemble. Et à courte vue, car cet argumentaire s’appuie en général sur l’idée d’une reconnaissance de la qualification comme facteur déterminant pour gagner des augmentations salariales : alors que ce qui compte, c’est la conscience de classe et l’action collective. Si l’on veut défendre et augmenter les salaires, la question est celle d’une lutte intercatégorielle avec des revendications unifiantes : l’échelle mobile des salaires face à l’inflation, des augmentations uniformes pour toutes les catégories.

Des échéances importantes

Mais tout cela, seule la mobilisation des personnels construite à partir de la base pourrait le construire. Et construire la mobilisation, cela veut dire commencer par le faire dans les écoles et établissements dès la rentrée de septembre, sur les revendications qui s’imposent dans ce contexte : effectifs dans les classes, précarité, suppressions des groupes / dédoublements, etc.

Autre exemple, cette fois-ci de caractère interprofessionnel : la contre-réforme des retraites, autrement dit le report de l’âge légal (et de fait l’allongement des annuités pour une retraite à taux plein). Là aussi, s’enfermer dans des dizaines d’heures de conciliabules ponctuées d’une ou deux “journées d’action” serait néfaste. Là aussi, la question qui est posée est celle de l’action directe des travailleur.es pour défendre leurs droits, et combattre la politique de ce gouvernement.

Quentin Dauphiné

  1. Pour un aperçu plus complet, voir sur le bilan d’une série de luttes sur reporterre.net ou contre-attaque.net ↩︎