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Jean Aigoin (1928-2022)

Il faudrait assurément dresser un long éloge de ce prof de math compétent qui prépara des générations de bacheliers et bachelières aux grandes écoles et de ce militant syndicaliste tenace et perspicace qui siégea de longues années dans les instances régionales et nationales de la Fédération de l’Éducation Nationale du temps où celle-ci regroupait la quasi-totalité des enseignants et enseignantes syndiqué·es. Mais ceci peut être lu dans le Maitron, ouvrage consultable sur Internet. Je préfère évoquer l’ami véritable, fidèle, prévenant et bienveillant, mon aîné de dix ans, auquel je dois tant comme à mes camarades du groupe départemental de l’École Émancipée de l’Allier : Alexandre Jutier, Jeanne Laurent, Suzette et Raymond François, Nanot Aigoin…

Je fis sa connaissance à une réunion du GD 03 (à 21 ans, lors de ma première année d’enseignement) et, comparé à quelques habitués, Jean Aigoin était étrangement calme. Il parlait lentement, clairement, logiquement. De camarades, nous devînmes amis et, les Semaines de l’École Émancipée aidant, mon épouse et moi passâmes presque tous les ans une partie de nos vacances ensemble, notre fille devenant la petite sœur de la sienne. Les Semaines d’Obernai, d’Oo, de Vedène, de Lalevade, de Jenzat, d’Houeillès, d’Angerville, de Briare… leurs débats acharnés, leurs échanges fructueux, leurs repas fraternels. Il y avait aussi les réunions du Collège de l’ÉÉ à Paris. C’est lors d’une séance mémorable, le dimanche 19 juin 1968, que fut décidée une démarche au siège de la FEN, rue de Solférino, pour demander instamment à notre Fédération de lancer le mot d’ordre de grève générale illimitée. On avait besoin d’un “jeune” pour accompagner les deux “poids lourds” Julien Desachy et Jean Aigoin, ce fut moi ! Mais rien ne fit céder les pusillanimes dirigeants de la FEN. Ni l’énergie de Desachy, ni la logique d’Aigoin, ni la présence d’un jeune inconnu, bien entendu. Le soir, en rentrant de Paris par la N7, nous croisâmes des convois militaires montant sur la capitale et vîmes des tanks stationnés près de Fontainebleau. C’était le début de la fin…

Pas découragés pour autant, les Amis de l’ÉÉ de l’Allier acceptèrent à l’été 1969 la responsabilité nationale de notre tendance avec Raymond François à sa tête. Une lourde charge où celui-ci devait y laisser la vie le 16 mars 1970. Ce fut Jean Aigoin qui prit la suite avant de passer le flambeau à Michel Chauvet et au groupe de la Seine-Maritime. Trois ans plus tard, à Montluçon, Jean Aigoin était à la tête du Comité de soutien à quatre lycéens inculpés pour propagande en faveur de l’objection de conscience. Cabu, pour Charlie Hebdo, était venu faire un reportage sur l’affaire et la manifestation suite à laquelle les lycéens furent acquittés. Ce cher Cabu croqua mon cher Jean Aigoin au milieu de la foule de ses élèves et de ses collègues avec son talent habituel.

Par la suite, son militantisme – comme le mien – devint plus politique que syndical : lui au PS, moi chez Les Verts, lui comme adjoint au maire communiste de Montluçon, moi comme conseiller municipal de l’opposition au maire PS à Gannat. On le devine, les controverses ne manquaient pas lors de nos rencontres. Maintenant, elles vont vraiment me manquer.

Michel Durant, Gannat (Allier), syndiqué sans interruption depuis 1953