Le poids des stéréotypes de genre est très lourd dans la société en général et dans le monde du travail bien entendu. Dans les métiers du bâtiment, cela se traduit par des filières très genrées, très masculines. Néanmoins, des femmes se lancent dans ces professions avec passion. La menuisière Mélanie est l’une d’entre elles.
L’Émancipation : Peux-tu nous présenter rapidement ton parcours professionnel ?
Mélanie : J’ai suivi une formation initiale d’ingénieure mention mécanique, thermique, énergétique et j’ai une expérience d’environ 15 ans comme cheffe de projets puis ingénieure méthodes dans diverses entreprises de la métallurgie, de la PME aux grands groupes industriels.
Je me suis reconvertie comme menuisière il y a six ans avec une formation en alternance pour obtenir le CAP Menuisier Fabricant que j’ai poursuivie deux ans de plus pour obtenir le Brevet Professionnel. J’ai créé mon enseigne en juillet 2021 pour apporter aux particulier·es du conseil en agencement, leur pose (dressings, bibliothèques, portes de placards, etc.) et du montage de meubles à domicile.
L’Émancipation : Qu’est ce qui a été déclencheur dans ta nouvelle orientation professionnelle ?
Mélanie : Un puissant besoin de redonner du sens à mon projet professionnel, et de m’extraire des managements toxiques et sexistes que j’ai rencontrés, par exemple les remarques “lourdes” sur la tenue, le maquillage, les calendriers de femmes dénudées, toutes ces choses jamais recadrées. S’ajoutent à ça, les challenges techniques “naturellement” proposés aux hommes, comme si les femmes ingénieures étaient moins compétentes, des façons de faire consternantes et dévalorisantes. Et enfin, les réunions placées tard en fin de journée alors que la pause méridienne assez longue n’était pas suffisamment exploitée. Tout cela montrait que l’entreprise ne considère pas la dimension familiale et ne prend pas en compte le travail “en dehors” reposant encore trop largement sur les femmes. C’est pourquoi j’ai choisi de me mettre à mon compte et d’être indépendante. J’ai aussi fait de belles rencontres qui m’ont permis de reprendre confiance en moi et en mes compétences.
L’Émancipation : Comment s’est déroulée ta réorientation, ta nouvelle formation ?
Mélanie : J’ai commencé par quitter l’entreprise dans laquelle je subissais un management vraiment toxique et nocif pour tout le monde, et suite à une courte période de dépression, j’ai suivi un programme de retour à l’emploi. Par chance, l’animatrice avait une vision globale de la problématique “chômage” et les exercices qu’elle nous a proposés m’ont permis de prendre conscience que j’avais réellement des compétences, alors que pour moi, jusqu’alors, ce que je faisais était “normal”. J’ai donc pu écouter mes besoins et construire mon projet professionnel en fonction. Puis j’ai cherché les ressources dont j’avais besoin, la formation en menuiserie auprès des Compagnons du devoir, et j’ai sollicité mon réseau pour trouver une entreprise où exercer l’alternance. Tout s’est ensuite enchaîné sans accrocs majeurs en dehors des confinements dus à la pandémie de COVID. D’ailleurs, cela m’a permis de réfléchir à ce que j’aime vraiment faire et donc à mon offre de services, et de me lancer à mon compte plus rapidement que ce que j’avais imaginé au départ. Et je ne regrette absolument pas !
L’Émancipation : Quelles difficultés as-tu rencontrées ? Comment les as-tu surmontées ?
Mélanie : L’idée de me lancer dans un tel changement, n’allait pas de soi au départ. Ça peut paraître étrange, mais je ne me sentais pas légitime, comme si je ne pouvais pas être capable d’être autonome professionnellement parlant. Puis, au fil de rencontres et de discussions avec d’autres entrepreneuses, j’ai vu que c’était possible de changer de voie, qu’elles étaient épanouies, et que je n’avais aucune raison véritable de ne pas me lancer. Avançant dans ma formation, et m’entourant de femmes entrepreneuses, j’ai pris confiance en moi et affiné mon projet.
L’Émancipation : Y-a-t-il un lien entre ta vie professionnelle et ton engagement féministe ? Si oui lequel ?
Mélanie : Je n’y avais pas vraiment songé, mais oui, sûrement… Dans le fait de se prendre en main, de percevoir son environnement professionnel avec un regard différent. De ne plus, en tant que femme, laisser les autres, et en particulier les hommes qui sont chefs de service ou d’entreprise, orienter mon avenir. Notre société patriarcale élève les filles de façon à ce qu’elles soient persuadées qu’elles sont moins compétentes que les hommes, en dehors de leur foyer hétéronormé, et qu’elles sont totalement tributaires des hommes pour avoir justement un foyer. Les femmes qui travaillent ont donc naturellement, à mon sens, un sentiment d’illégitimité à devenir autonomes. Il faut savoir qu’en France, seulement une entreprise sur dix est dirigée par une femme alors qu’il a été démontré que les entreprises dirigées par des femmes ont deux fois moins de risques de faire faillite !
L’Émancipation : Depuis que tu travailles dans la menuiserie, est-ce que le fait d’être une femme questionne les client·es, est-ce que tu le ressens comme un atout ? Y a-t-il une évolution dans la perception de ce métier massivement occupé par des artisans hommes, jusqu’à présent à ton avis, chez la clientèle ?
Mélanie : On me dit souvent que c’est rare de voir des femmes faire ce métier. Et ça suscite plutôt de l’admiration chez mes client·es. J’ai aussi l’impression que les client·es s’attendent à un travail plus soigné. Alors, oui, j’ai un certain sens du détail et du “travail bien fait”, mais c’est une philosophie que j’ai toujours eue : quand je fais quelque chose, je m’implique et j’essaie de le faire bien. Certains artisans masculins font très bien leur travail aussi… Enfin, les client·es me proposent souvent spontanément leur aide pour manipuler ou porter des choses lourdes, ce qu’iels ne font pas avec des hommes. Pourtant, même si je suis un petit gabarit, je n’ai généralement pas besoin d’aide sur mes chantiers. Et si je ne peux pas le faire seule, soit je ne prends pas le chantier, soit je fais appel à des collègues.
Concernant une évolution de la perception sur le “genre des métiers”, il faut que l’égalité femme-homme soit réalisée à tous les niveaux des entreprises et qu’elle soit visible.
L’Émancipation : Existe-t’il un “réseau” de femmes artisanes dans les métiers du bâtiment ?
Mélanie : Oui, depuis un peu plus d’un an il existe un réseau qui promeut les artisanes du bâtiment en Nouvelle-Aquitaine : www.batifemmes.fr. Vous allez sur la plateforme, émettez votre demande et pour une légère contribution financière, le réseau vous met en relation avec plusieurs artisanes proches de chez vous. Ensuite, vous êtes libre de faire affaire ou non avec l’une d’entre-nous.
L’Émancipation : Qu’est-ce que tu aimes particulièrement dans ton métier ? Tes joies ? Tes peines ?
Mélanie : Même s’il peut être parfois physiquement compliqué, j’aime mon métier, c’est certain ! J’adore chercher et trouver des solutions techniques aux problématiques rencontrées. Mon métier consiste principalement à assembler et fixer des meubles mais aussi à analyser les besoins des client·es pour conseiller et concevoir des agencements appropriés. Je fais aussi de la pose de parquets. La menuiserie est plus vaste que cela, je parle ici seulement de mon offre de services. Le fait d’être auto-entrepreneuse m’oblige aussi à gérer tout de A à Z : la prospection, la communication, les rendez-vous, l’établissement des devis, les commandes de matériel, l’entretien des machines, les chantiers, la facturation, la comptabilité et les déclarations fiscales. Je crois que j’ai fait le tour ! J’étais cheffe de projets avant, alors toutes ces tâches connexes au métier en lui-même ne me faisaient pas peur lorsque je me suis lancée. Tout ça c’est du boulot, certes, mais j’ai une grande autonomie lorsque je dois faire des choix (c’est-à-dire pratiquement tout le temps) et j’en suis très satisfaite. Mais ce qui m’apporte le plus de satisfaction, je crois, c’est quand les client·es me remercient en fin de chantier et disent “Ah ! ça rend bien !” Ou alors avec un grand sourire : “Je vais enfin pouvoir ranger !” (Je fais pas mal de dressings).
L’Émancipation : Qu’en est-il du sexisme dans les métiers du bâtiment ?
Mélanie : Contrairement aux idées reçues, j’ai ressenti plus de sexisme dans l’ingénierie que dans le bâtiment, tant dans mes années de formation (dans deux entreprises différentes) que sur les chantiers où je suis amenée à travailler avec d’autres menuisier·es ou d’autres corps d’état.
Propos recueillis par Joëlle Lavoute