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La transformation de l’école en entreprise

Dernier rapport de la Cour des comptes

En ce moment précis où tout le monde pense “réforme des retraites”, à juste titre, on constate que le “en même temps” de Macron tourne à plein régime, et qu’il poursuit ses réformes tous azimuts.

L’Éducation nationale est une des priorités de son second quinquennat comme il l’a dit et répété. Et pour cela, la Cour des comptes, une institution bien à droite sur l’échiquier politique, lui vient en aide. La tâche est déjà bien avancée de démantèlement/ transformation de l’Éducation nationale et du statut des fonctionnaires. En clair le gouvernement remet en cause tous leurs droits. Et la Cour des comptes n’a d’autre objectif que d’aider le gouvernement Macron/Pap N’Diaye dans sa tâche. Son rapport à charge contre le Service public, utilise des arguments fallacieux pour imposer coûte que coûte la réforme du projet d’école. C’est l’objectif de son rapport d’analyses de 120 pages intitulé : “Mobiliser la communauté éducative autour du projet d’établissement”, le même que celui du ministre Pap N’Diaye explicité dans sa “Réponse” au rapport en 14 pages.

Des analyses, et des méthodes qui ne sont pas crédibles

Ce rapport est basé sur des études faites dans des établissements scolaires au sortir du Covid. Or ce contexte plus qu’exceptionnel n’est jamais mentionné dans le rapport. Il est pourtant légitime de mettre en doute tous les résultats, toutes les statistiques effectuées en 2021, au sortir de cette période où personnels et élèves ont pâti gravement des manques d’enseignement. Il est aussi légitime de se poser des questions sur nombre d’assertions de ce rapport. Elles sont avancées comme des conclusions de démonstrations mais de fait elles n’en sont pas car elles court-circuitent toute analyse. Ci-après, trois exemples, censés “démontrer” que les évaluations sont indispensables et que la centralisation actuelle de la Fonction publique est la cause des inégalités à l’école, et donc, qu’il faut délocaliser ou décentraliser pour résoudre les problèmes et utiliser les évaluations nationales pour agir localement. Des réponses simplistes à des problématiques multifactorielles, dans un style alambiqué, ça aide ! Page 12, “l’institution scolaire [celle qui est centralisée, la mauvaise ndlr] tend, en réalité, à ne pas suffisamment corriger les inégalités existantes. Pour contrecarrer cette situation, la Cour estime que l’efficience des moyens alloués aux établissements serait mieux assurée si les modalités d’allocation prenaient davantage en compte les résultats des évaluations et les contraintes pesant sur le lieu d’implantation [donc la gestion locale ndlr] de l’EPLE, et si elles étaient mieux coordonnées avec les interventions des collectivités territoriales”. Page 15 : “[les] établissements locaux […] bénéficient de capacités d’agir leur permettant de s’adapter à leur environnement pour mieux contribuer à la réussite scolaire de leurs élèves”.

Ou plus loin (p. 15) : “S’il a longtemps été considéré que l’échelle nationale était la seule compatible avec les objectifs d’égalité du système éducatif, la réalité du paysage scolaire s’accommode aujourd’hui de larges inégalités de traitement des élèves”. Etc.

La Cour des comptes, avance dans son argumentation selon deux principes qui n’ont rien de scientifiques : “la répétition fait loi”, et “quand on veut tuer son chien on l’accuse de la rage”. Ainsi dans son rapport, elle développe une stratégie qui consiste à fatiguer avec des publications kilométriques pour désigner le responsable de tous les maux de l’Éducation nationale, à savoir la centralisation du Service public et rajoutons le statut de fonctionnaire qui va avec.

L’entrepreneurisation de l’école

Le gouvernement considère que l’entreprise doit être l’élément de base de structuration de notre société soumise à l’économie néo-libérale. La Cour des comptes, en accord avec le gouvernement, soumet l’école à ce principe. C’est un peu la loi PACTE en faveur de l’entreprise qui s’applique à l’école, aidé en cela par le Pacte enseignant. Et l’utilisation des mêmes termes n’a rien d’une coïncidence. Ainsi, au travers de ce rapport c’est l’école qu’on organise, comme une entreprise. Et la terminologie est adaptée, qui prépare les esprits à la transformation.

Le terme “projet” est la clé du rapport et le plus emblématique. Omniprésent, il émaille toutes les réformes gouvernementales. C’est une notion vague à souhait qui, concernant les réformes scolaires, a pour objet de se substituer aus programmes basés sur les savoirs disciplinaires, remplacés par les compétences. En s’y substituant, il détruit en même temps l’idée qu’il véhicule, à savoir, l’émancipation par le savoir, et redéfinit en passant le métier de professeur·e car ceux et celles-ci en avaient la maîtrise jusqu’ici, en qualité de cadres. Et l’entreprise-école a besoin de professeur·es dépourvu·es de la liberté pédagogique à laquelle l’enseignant·e-cadre ne pourrait plus prétendre. Elle a besoin de professeur·es/ouvrier·es-spécialisé·s soumis·e à sa doxa, qu’on évalue et contrôle en permanence par le biais de la numérisation et de la managérisation dans la gestion des personnels.

En conséquence, la Cour des comptes se réfère aux professeur·es comme de simples “ressources humaines” (p. 79), jetables et remplaçables en cas de non-conformité.

En ce qui concerne les élèves ou les parents d’élèves, ils et elles deviennent usager·es (p. 21) ce qui introduit une notion de domination sur l’institution. Pour preuve, le rapport stipule que l’Éducation nationale doit “donner les moyens aux EPLE pour élaborer collectivement un projet correspondant aux besoins de leurs usagers”. L’enseignement devient ainsi un service à la carte, au service de l’usager·e en tant qu’individu, au service de son projet personnel que l’institution doit prendre en compte. Tout cela s’oppose bien sûr à l’émancipation par le savoir destiné à préparer uniformément la nouvelle génération aux défis d’une société qui nécessite de plus en plus, et non moins, de savoirs.

Et la Cour des comptes se fait plus précise encore quand elle remplace le terme enseignement par “offre de formation” (p. 45) qui doit satisfaire (p. 16) aux “besoins de l’usager”. De plus, la Cour des comptes ne manque pas de faire le lien entre besoins de l’élève et spécificités locales. Or au travers de ces spécificités, il faut comprendre économie locale (p. 10, 42, 43, 45, 90) car tout est marchand dans la logique du rapport. Et la référence à l’offre et la demande et à l’économie de marché… de l’enseignement est bien dans l’esprit du texte.

Mais le plus significatif des glissements sémantiques présents dans ce rapport concerne le terme de “valeur ajoutée”, c’est à dire la “capacité à obtenir des résultats” pour un établissement (p. 20 et 22). La logique d’entreprise est bien là qui fait dire à la Cour des comptes que (p. 22) : “L’essentiel réside alors dans l’identification des grands axes sur lesquels le projet d’établissement repose, c’est-à-dire, d’une part, les efforts que l’établissement choisit de développer pour améliorer sa valeur ajoutée […]”. Et la suite, qui justifie qu’il y ait des adaptations du programme et que le parcours d’enseignement s’adapte à la “population” accueillie, confirme le fait que la Cour des comptes revendique pleinement la nouvelle doxa entrepreneuriale du ministère de l’Éducation.

Transformer le/la chef·fe d’établissement en chef·fe d’entreprise…

… avec de nouvelles missions managériales

Le/la nouveau·lle chef·fe d’établissement/entreprise, d’après la Cour des comptes, doit donc se doter de nouveaux pouvoirs qui (p. 58) lui “échappe” encore, pour que la transformation soit réelle. Ainsi “il faut qu’il entretienne des relations étroites avec le Service public de l’emploi afin de fluidifier la procédure de remplacement d’enseignants absents sur certaines disciplines”. Plus loin elle déplore que : “Les leviers qu’il possède pour évaluer, récompenser ou sanctionner […] soient également restreints”. Dont acte, et la Cour des comptes d’exiger que le/la nouveau·lle chef·fe puisse attribuer des indemnités, ou des heures et distribuer des avis favorables à qui il/elle veut (p. 60), et elle se réjouit que les chef·fes soient “de plus en plus nombreux à assister aux temps d’observation en classe avec l’inspecteur” (p. 59). Bref elle préconise de lui attribuer toutes les missions entrepreneuriales qui lui donne la mainmise sur le contrôle et la gestion des personnels. Et elle va jusqu’à déplorer que les chef·fes ne soient pas assez jeunes (pas assez malléables ndlr), et qu’ils/elles soient recruté·es majoritairement chez les enseignant·es donc qu’ils/elles n’aient pas assez de culture managériale (p. 65). D’où, comme pour les hôpitaux dont les chef·fes ne sont plus médecins, il est important de recruter des cehef·fs ailleurs que dans l’enseignement. L’objectif est clair, détruire l’école comme l’hôpital, comme les retraites et comme tous les Services publics… c’est bien là, la vraie priorité de Macron pour son second mandat.

Avec des avantages sonnants et trébuchants

Car de telles missions managériales entraînent que “la question de l’avantage salarial de chef d’établissement se pose” (p. 65). En concomitance il s’agit de recruter ailleurs que dans l’enseignement mais aussi dans le privé (p. 66).

Avec des missions pédagogiques spécifiques et des outils contraignants pour poursuivre la décentralisation l’objectif est d’imposer des méthodes spécifiques aux professeur·es. Celles-ci doivent participer à la définition de l’identité de chaque établissement dans le cadre de l’autonomisation et de la grande compétition entre tous que veut imposer le gouvernement. Mais comme les tâches administratives sont reconnues chronophages et parfois inutiles (p.61) il s’agit d’en supprimer certaines. À commencer par le contrat d’objectifs (dictés par le rectorat ndlr) (p.77 et 78). Boudé de fait par les chef·fes d’établissement, il est considéré comme un frein pour l’autonomie, dernier étage de la décentralisation. Même le Conseil d’évaluation de l’enseignement (le CEE) le juge inopérant (p. 21) et veut le remplacer par les évaluations nationales plus contraignantes. Quant à la Cour des comptes elle préconise que l’instance de ce Contrat d’Objectifs devienne tripartite en incluant les collectivités territoriales dans son fonctionnement en plus de l’établissement et du rectorat. Pour l’autonomie on repassera. Et ce n’est pas la seule ambiguïté.

“Améliorer” les performances !

Nous l’avons vu au début de ce propos, que l’analyse sur laquelle se base la Cour des comptes pour parler d’“amélioration” n’est pas crédible car basée sur des chiffres d’après la pandémie, entre autres. D’autre part, si les enseignant·es directement concerné·es par les réformes qu’ils et elles subissent sont de plus en plus écarté·es des instances décisoires à tous les niveaux, c’est que l’“amélioration” du système prônée par la Cour des comptes est à l’opposé de leurs revendications. Il est clair que la Cour des comptes poursuit un but idéologique de transformation de la société, le même que celui du gouvernement, et invisibilise toute réalité qui invaliderait son rapport, en premier ce que disent les personnels concernés.

Ce qu’elle nomme “amélioration” c’est plus de compétition entre les établissements et les personnels, en limitant, dosant et variant les financements, subventions, indemnités et heures supplémentaires (p.77 et 78). Le but distribuer sélectivement les missions et les subventions.

Ce qu’elle nomme “amélioration”, c’est plus de division des personnels, par le biais d’une nouvelle rémunération individualisée, gage de succès pour les réformes du gouvernement.

Ce qu’elle nomme “amélioration”, c’est plus de décentralisation, jusqu’à l’autonomie qui ouvre la voie à la privatisation, en décidant de tout localement, même du financement.

Ce qu’elle nomme “amélioration”, c’est plus de contractuel·les à tous les niveaux et en finir avec le statut de fonctionnaire et les droits collectifs qui vont avec.

Ce qu’elle nomme “amélioration” enfin, c’est plus de contrôle. Contrôler et contrôler encore tous les personnels à tous les niveaux, via les évaluations nationales et la gestion managériale, et supprimer tous les droits syndicaux.

Une conclusion à l’opposé du projet d’établissement et des évaluations défendues par la Cour des comptes

L’émancipation par le savoir passe par une autre forme d’amélioration du système scolaire : par la liberté pédagogique individuelle retrouvée, par la refonte et la simplification des programmes basés sur des savoirs disciplinaires, par l’éradication de la notion de compétences dans ces programmes. Mais l’émancipation par le savoir passe également par la sérénité du/ de la professeur·e dans l’exercice de son métier, la conservation du statut et tous les droits qui vont avec, entre autres la grille indiciaire, l’avancement à l’ancienneté et le concours d’accès au corps.

Marie Contaux