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Formation à la laïcité ou au dogmatisme ?

Le gouvernement en a décidé ainsi : formation laïcité obligatoire pour tous les enseignants et enseignantes. Comprendre : travail 3h gratuit imposé par l’employeur (cela se fait sur notre temps de préparation de cours et corrections de copies… donc il nous faudra trouver trois heures dans notre week-end pour rattraper). Comprendre également : les formateurs et formatrices seront sûrement formatés par la laïcité version Macron. Alors que faire : y aller avec un paquet de copies ? Et écouter d’une oreille distraite ? Ou s’y investir pour porter la contradiction… dans quel but ?

Les retours reçus des collègues qui ont déjà eu cette formation ont été divers, souvent bien vus pour ceux et celles qui n’avaient aucune notion, avec toutefois une grande diversité dans la qualité des impressions selon les formateurs (femmes et/ou hommes). Voici ci-après le retour de l’une de ces formations, peut-être instructif, sans être révélateur de toutes les formations.

Textes officiels et Quizz

Cela a commencé par la petite musique : “les professeurs d’histoire-géographie en ont marre de devoir tout porter sur les épaules lorsqu’il y a un souci donc il faut que tous les enseignants soient capables d’aborder la question de la laïcité avec les élèves”.

Puis un petit rappel des textes sur lesquels s’appuyer pour faire respecter la laïcité dans les établissements scolaires et leur diversité d’application (comme des signes religieux “discrets” autorisés aux élèves mais aucun pour les enseignants). “Madame vous pourrez nous donner votre présentation power-point pour avoir une trace ?” Réponse : “Non il s’agit d’interprétations, les textes sont accessibles sur les sites de l’Éducation nationale”.

S’en suit un petit Quiz pour tester notre “culture générale” avec l’outil magique d’internet et du QR code… (“c’est les profs d’histoire-géo généralement qui gagnent !”). Bref on a hâte de gagner ou on refuse de “jouer”. De fait, la finalité du test a de quoi interroger. On retiendra par exemple que la loi de 1905 a été votée en… décembre (très important), ou que la religion chrétienne est très présente en France car elle a eu un lien avec l’État qui a duré 1400 ans (de 500, avec le baptême du roi Clovis) jusqu’à 1905. Après chaque question, apparaît le pourcentage obtenu pour chacune des réponses proposées et s’en suit un petit discours bien pensé.

Situations pratiques

Puis vient la partie “étude de situations pratiques” sur lesquels les enseignants et enseignantes sont amenés à réfléchir par groupes, situations et questions présentées comme imposées nationalement dans la formation. C’est la partie la plus intéressante car cela permet d’échanger avec les collègues, même si le caractère est très formel et qu’en cinq minutes, on a fait le tour du problème. Les enseignants et enseignantes doivent pour chaque situation indiquer sur quels textes ils s’appuient, voir comment une telle situation aurait pu être évitée, proposer une façon de réagir face à la situation étudiée.

Les exemples (une dizaine) sont divers : de la demande de séparation fille/garçon lors de la sieste en maternelle, au refus de rentrer dans un monument religieux lors d’une sortie scolaire, en passant par le changement de régime demi-pensionnaire/externe lors de la période de ramadan, ou la remarque d’un élève qui estime qu’en Angleterre certaines religions peuvent être pratiquées plus librement qu’en France. Après chaque étude de cas présentée par un groupe, la formatrice déroule à nouveau un power-point très cadré, tout en faisant passer le message que l’on ne peut pas toujours suivre les textes à la lettre et qu’il faut s’adapter à la situation du terrain.

Mais l’essentiel n’est pas là. Si certaines interventions de la formatrice au cours des deux premières heures ont titillé plus d’une oreille, la dernière partie de la formation renchérit et marque noir sur blanc une idéologie sous-jacente plus que problématique.

Du pointillisme au… réalisme dogmatique

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On avait déjà eu droit à plusieurs reprises à une approche “France terre chrétienne” (pour les formatrices le territoire français est apparu par miracle en 500 et les païens et polythéistes n’ont jamais existé tout comme leurs fêtes), on avait dû encaisser une mention à un “tournant” du RN présenté comme dorénavant laïque et une critique centrée sur la laïcité à la Zemmour, modulée selon les religions, on avait eu droit à la référence d’un historien comparant “la minute de silence” à une “prière intérieure” (et aux interrogations suscitées par cette comparaison, qui peut amener les élèves à considérer la laïcité comme une religion,  la réponse avait été “c’est l’historien qui le dit”), on a le droit maintenant à un cours de religion, ou comment aborder la religion avec les élèves. “Il faut leur montrer que leur religion fait partie de leur culture et la valoriser” (diapositive avec un émoticon souriant), leur montrer que pour toute religion, une autre religion présentera des blasphèmes (avec la confusion entre des individus croyants qui peuvent être très tolérants entre eux, même s’ils n’ont pas la même religion, et certains représentants institutionnels des religions qui sont intolérants voire appellent à la haine ou à la mise à mort).

Et puis la formatrice se met à confondre “fait religieux” et “religion ”, en présentant deux séquences en classe (étude d’un tableau religieux et d’une fête religieuse). Tout en consacrant 99 % de ce temps à la religion catholique, on cherche, en vain, la notion de laïcité dans son intervention. Il s’agit de dire “la Bible dit que” à travers l’étude d’un tableau ou d’une fête religieuse, et aussi de réagir face à un élève qui lui aurait rétorqué à son grand étonnement “pourquoi vous dites la Bible puisque c’est vrai ?”. On avait eu déjà eu droit à un échange ubuesque avec une enseignante de la salle sur “on ne peut pas démontrer que Dieu existe” / “on ne peut pas démontrer que Dieu n’existe pas”. Maintenant on part dans le “je crois que c’est vrai” / “je crois que ce n’est pas vrai”. Et on cherche en vain les objectifs pédagogiques de ces séquences.

Puis la formatrice nous explique que les athées ont pour ennemi la religion (sic !!!). Le préfixe privatif “a” devant “thée” (pour “dieu”) qui donne au terme de “athée” la définition de “sans dieu” se transforme en particule “anti”… “contre dieu”. Un tour de passe-passe classique de l’idéologie du clergé qui devient… pesante. Et la dame de conclure que les élèves doivent nous croire dans nos enseignements car on ne leur démontre rien (en fin, elle se reprend, “un peu mais très rarement”). Et de développer avec une belle et dernière diapositive : les sciences répondent à la question de “comment”, et la religion et la philosophie à la question de “pourquoi” (!).

Macron, les dogmes et l’école

Une formation avec une formatrice touchée par la grâce de Macron… on aurait pu s’y attendre. Mais une formatrice (enseignante dans le secondaire) qui confond l’enseignement de savoirs qui peuvent être questionnés par les élèves (et que nous nous devons de justifier, argumenter, démontrer) avec l’enseignement d’une religion… cela a de quoi inquiéter. D’autant plus que cette attitude rejoint la politique de Macron vis-à-vis de la Science : ce dernier associe la Science à des dogmes au service de sa politique. Ce détournement des savoirs (et débats) scientifiques lui permet d’asseoir son idéologie. On peut notamment rappeler la crise du Covid au cours de laquelle tout débat scientifique a été interdit et la science présentée sans cesse sur les plateaux des grands médias de façon dogmatique, la petite phrase de Macron lors de son allocution du 31 décembre 2022 “Qui aurait pu prédire […] la crise climatique ?”, les pressions politiques vraisemblables afin de retarder la publication de l’avis critique de l’Ansee sur les nouveaux OGM après le vote prévu au parlement européen le 7 février 2024. Et la “continuité” entre science et religion est ouvertement assumée par Macron : “Je crois profondément qu’il peut exister des continuités entre Dieu et la science, religion et raison” (décembre 2021) 1.

Résister à cette offensive de dogmatisme au sein de l’école, dont l’endoctrinement via le SNU, l’intrusion de l’armée ou le port de l’uniforme en sont aujourd’hui la partie la plus visible passe par l’élaboration d’un travail avec les élèves (transversal et pluridisciplinaire !) sur comment les savoirs scientifiques se fabriquent. Notamment, la démarche commune à toutes les disciplines qui permet de dégager une fiabilité aux résultats ou processus dégagés (et l’ouverture à leur réfutabilité). Ainsi en premier lieu la science, quand elle n’est pas formelle, appréhende la matière (qu’elle soit minérale ou humaine et donc, à moins qu’un dieu soit considéré comme matériel, elle ne s’en occupe pas), elle use de transparence dans ses procédures, se doit de justifier les données choisies, utilise la logique… Que les sciences soient formelles, expérimentales et/ou humaines c’est un lieu où chacun débat et cherche selon ce régime de preuves, croyant ou non croyant, quel que soit ses opinions politiques, ses traditions… Ce combat va au-delà de celui qu’il nous faut mener au sein de l’École. Car enseigner, pratiquer, s’appuyer sur la démarche scientifique aujourd’hui, c’est dans de nombreux domaines se confronter au pouvoir, qu’on le veuille ou non.

Laure Jinquot  (Lyon-69, 15/04/2024)

  1. Macron : “Il peut exister des continuités entre Dieu et la science”, Le Point, 21/12/2021. https://www.lepoint.fr/politique/macron-il-peut-exister-des-continuites-entre-dieu-et-la-science-21-12-2021-2457674_20.php#11 ↩︎