Un livre aux dimensions et aux ambitions modestes, Comment je suis devenue anarchiste, retrace “l’entrée en anarchie”, d’Isabelle Attard après avoir été députée EELV de 2012 à 2017.
150 pages pour dire son enthousiasme d’avoir découvert un système politique largement méconnu, caricaturé par celles et ceux qui voient derrière chaque anarchiste, un·e tueur·euse de bourgeois·e, de banquier·es, un·e poseur·euse de bombes, un·e terroriste.
Elle raconte d’abord, comme pour s’en débarrasser, son expérience de la politique telle qu’elle se pratique à l’Assemblée nationale, au Sénat, dans les lieux de pouvoir tenus par des notables à la Jean-Pierre Mocky. Clientélisme, sexisme, petits arrangements crapoteux entre ami·es et ennemi·es. Au milieu du marais, elle tente de survivre et de faire bouger-les-choses-de-l ‘intérieur, un échec. Elle fait aussi partie des élues qui ont porté plainte contre Denis Baupin, député EELV accusé de harcèlement sexuel.
Voilà pour les éléments de son autobiographie politique. On peut ajouter qu’Isabelle Attard a vécu en Suède et qu’elle est docteure en archéozoologie.
Pour le reste, le but est de faire simple et court. Comment rendre accessible les textes fondateurs de l’anarchie sans faire fuir le/la lecteur·trice, qui, au mieux, a entendu parler de Louise Michel ? Je ne parle pas bien sûr, des lecteur·trices avisé·es de L’Émancipation qui ont affiché dans leur cuisine un portrait d’Élisée Reclus !
Pourquoi la lire ?
Je conseille la lecture de ce livre, non pour les révélations qu’il contiendrait ni pour les trop rapides pages sur Nestor Makhno, l’Espagne de 1936, le Chiapas ou Notre-Dame-des-Landes. Les seules bonnes intentions ne suffiraient pas à retenir l’attention. À cela je préfère le portrait qui se dessine en creux d’une femme sincère qui a cru que “faire de la politique” revenait à travailler pour le bien commun du peuple français. Après cinq ans passés au Palais Bourbon, la gueule de bois est sévère. Elle ouvre de grands yeux sur ses mâles congénères, raconte les caquètements qui accompagnent parfois les prises de parole des femmes à l’Assemblée et on comprend avec elle que la vie est ailleurs.
Un ailleurs anarchiste ? Elle reste prudente car la grandeur de l’anarchie ne se mesure pas seulement en batailles remportées sur l’État ennemi.
Abel Paz
Je me souviens avoir accueilli dans une classe de première au lycée Darius Milhaud au Kremlin-Bicêtre, à l’occasion de la mise en scène d’un spectacle tiré de son livre sur la Colonne de Fer, Abel Paz, historien, militant anarchiste qui a participé à la “retirada” en 1939. À 15 ans, avec deux amis, il crée un groupe “Les Quichotte de l’Idéal” et un journal, Quichotte. Sa vie a été un torrent furieux.
En 1999, ce vieil homme, à qui j’ai toutes les peines du monde à expliquer qu’il ne peut pas fumer dans la salle de classe (il se contente alors de cracher dans son mouchoir) tient la dragée haute pendant deux heures à des élèves qui, pour la plupart, se destinent à des études dans des filières économiques ou en écoles de commerce. Entre deux quintes de toux, il demande à l’une si elle sait qui est vraiment sa voisine de table, si celle-ci est heureuse ou triste, si sa mère et son père se portent bien, à l’autre s’il a contribué au bon fonctionnement de la classe, à ses échanges, à sa solidarité. Il ne dira rien des théories et préfèrera pousser dans leurs retranchements des gamin·es peu concerné·es par la guerre d’Espagne et l’histoire de l’anarchie qui, pour la plupart, ne comprennent pas ce qui leur arrive et protestent avec véhémence contre ces intrusions dans leur “vie privée”. J’assistais à la scène avec ravissement, heureuse que mes élèves se rebiffent enfin, éblouie par ce monsieur de 78 ans à la verve rageuse qui ressemblait aux vieux de ma famille espagnole. Il dérangeait, avec son passé révolutionnaire et ses questions sur l’amitié.
Y’en a pas un sur cent et pourtant…
Ce jour-là, j’ai compris que l’anarchie n’avait pas nécessairement besoin de victoires éclatantes, de combats exemplaires, de déclarations d’intentions car elle se nourrit de ce qu’il y a de meilleur en l’être humain et en ce sens, elle ne peut être vaincue.
Isabelle Attard ne dit pas autre chose et la ténacité des militant·es à inventer une nouvelle façon de vivre, dans les ZAD, les quartiers libres, les lieux de travail autogérés, sauvegarde du pire.
Ce pire a un visage en France, le même depuis plusieurs quinquennats. Seul le nom change mais pas la sale tronche.
On lit Comment je suis devenue anarchiste, non pour respirer l’air des cimes, juste pour penser à l’instar d’Isabelle Attard, que l’anarchie est une façon d’être. Rien ni personne ne peut l’annuler par décret ou la dissoudre.
On ferme le livre et on est juste content·e.
Sophie Carrouge
Comment je suis devenue anarchiste, Isabelle Attard, Seuil, 2019, 160 p., 12 €.
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