La blessure

Il est journaliste grand reporter dans les dernières années 80 sur tous les terrains de conflits de cette fin du XXe siècle, lieu d’horreur et de massacre de civils : depuis le Cambodge des Khmers rouges jusqu’à la guerre en ex-Yougoslavie, le siège de Sarajevo, Kaboul, Grozny… Il finit par perdre pied et doit être interné pour ne pas basculer dans la folie.

Ce qui le ramène vers son enfance et son adolescence lorsqu’il est confronté au “mal de vivre” incompréhensible et à la lente descente aux enfers, vers la folie, de sa mère “serrée dans l’étau de la dépression” qui “vit recluse dans sa chambre aux volets fermés” (p.59).C

Ce livre parle donc de blessure

Ce texte n’est donc pas une fiction, ni une autofiction mais un texte (auto)biographique, plutôt récit fragmentaire de son enfance et de ses relations avec sa mère qui jeune femme a été confrontée à l’Histoire (avec sa grande Hache comme le dit si bien Perec), quand toute jeune fiancée elle voit partir celui qu’elle aime à la guerre.

Ce livre parle donc de blessure, celle, inguérissable, issue de la mort de son aimé, Robert, le 9 juin 1960, en Grande Kabylie, annoncée page16 “[…] comme beaucoup d’appelés du contingent il vient d’avoir vingt ans. Doit-on mourir à vingt ans dans un décor si majestueux et si minéral ?”

Lettres d’une beauté flamboyante

Entremêlant le récit de passages consacrés à sa propre dérive consécutive aux horreurs qu’il a “couvert” en tant que reporter, par exemple lors de la destruction par l’armée russe de Grozny, l’auteur le tisse surtout des échanges épistolaires entre Danièle et Robert, lettres d’une beauté flamboyante, dans lesquelles éclate l’amour qu’ils se portent, se dévoile au détour d’une phrase leur désir, mais où perce aussi l’angoisse du lendemain qu’il et elle savent condamné.

Ces missives sont ce qui est peut-être le plus important dans ce récit, car il s’agit de témoignages à chaud de ce qu’ont ressenti, vécu, les appelés, et non d’une reconstruction a posteriori. Ces jeunes de vingt ans qui se sont retrouvés témoins, et acteurs d’une répression féroce exercée contre la population, femmes et enfants compris, que Robert essaie de mettre à distance et de retranscrire.

Ils préparent, en sous texte, l’avancée inexorable vers la mort de Robert, qui s’interroge sur leur rôle d’appelés du contingent devenus “des assassins”, qui découvre et apprécie les “ennemis” Kabyles, rudes montagnards comme lui et est admiratif de leur mode de vie tout en étant subjugué par la beauté de la nature et des paysages, identiques à ceux du Dauphiné dont il est originaire.

Blessure toujours occultée

Mais la Blessure de la mère, est plus que cela, métaphore de celle non refermée, non plus, depuis plus de soixante ans, celle ouverte dans les années 1960 lorsque la France a mené une sale guerre en Algérie “française” contre un peuple désireux de conquérir son indépendance.

Blessure toujours occultée, que la France ne regarde pas en face, abcès gangrenant la mémoire, dans laquelle le racisme larvaire puise ses sources, si rarement évoquée dans la littérature sauf de manière décalée comme dans le roman Des Hommes de Laurent Mauvignier, évoquant l’opposition dans la société contemporaine de deux anciens appelés, l’un devenu (revenu ?) raciste et l’autre honteux de ces faits et gestes, et dont on a tiré un film éponyme grand public.

Présenter nos excuses

Le livre se conclut dans un dernier chapitre qui voit la rencontre émouvante de Gilles Naudet avec le frère du fiancé de sa mère, et dans lequel il énonce sa décision : il retrouvera la famille du jeune fellagha “[…] qui a tué Robert et que Robert a tué. Puisque la France ne s’excusait pas de ce qu’elle avait fait, moi j’irais là-bas pour présenter nos excuses […]”

Bernard Foulon

La Blessure, Jean Baptiste Naudet, Folio Poche, 2021, 256 p., 8,10 e.

À commander à l’EDMP, 8 impasse Crozatier, Paris 12, edmp@numericable.fr