Le texte de Marcel Martinet est court, il tient en 22 pages. Il est percutant, et bien sûr il est daté.
Il a été publié en janvier 1934, un an pile après la nomination d’Hitler comme Chancelier, 12 ans après l’arrivée au pouvoir de Mussolini, tandis que les dictatures d’Horthy et Pilsudski sont à leur apogée et au moment où commencent les “grandes purges” staliniennes. Pour autant il ne s’agit pas pour l’auteur de mettre sur le même plan le stalinisme et les dictatures européennes. Selon lui, tant que l’idéologie bolchevique reste marquée par “un internationalisme absolu”, on ne peut “dire que rien ne distingue plus le bolchevisme du fascisme”, soulignant ensuite qu’avec le dogme du “socialisme dans un seul pays” cette ligne de démarcation s’efface dangereusement.
Mais Marcel Martinet ne se limite pas à une synthèse de l’analyse des contextes politiques, économiques et sociaux qui ont nourri la montée en puissance des dictatures dans les années de l’entre-deux-guerres. Il pose de manière plus générale, la question du chef, de sa relation avec les “masses”, du rapport hiérarchique et de ce qui en fait l’essence. Pour mener les combats du prolétariat, ne faut-il pas des chefs ? Peut-être, répond-il, mais quels chefs ? Et il ajoute : “Est-il impossible que les chefs ne soient que les meilleurs camarades, les plus dévoués et les plus fidèles, les plus désintéressés et les plus braves, les meilleurs techniciens dans leurs techniques, l’émanation directe de la base et constamment et fraternellement contrôlés par la masse ?” pour conclure : “La révolution prolétarienne […] n’a de sens que dans la disparition des classes, c’est-à-dire dans la suppression de toute hiérarchie matérielle”.
Ce sont ces questions qui font encore aujourd’hui l’actualité de la pensée de Marcel Martinet et que Philippe Geneste prolonge très judicieusement avec son essai Le refus de la hiérarchie. Illustrant son propos de multiples exemples actuels, il met en évidence les multiples rouages où l’école occupe une place centrale. Rouages parfois insidieux, qui conduisent à l’aliénation, à la soumission, à l’installation et à l’acceptation du rapport hiérarchique. On pourra retenir notamment le paragraphe “Du chef contre l’homme sous les oripeaux de l’émancipation”, qui donne à réfléchir sur nos propres pratiques. Mais Philippe Geneste n’est pas pessimiste : la victoire de l’homme contre le chef est possible. Pour cela il faut éradiquer toute forme de naturalisation du lien de subordination, individuellement et collectivement. Cela nécessite entre autres la mise en acte d’une coopération bien comprise, c’est-à-dire reposant sur la mise en place de rapports a-hiérarchiques.
Raymond Jousmet
Le chef contre l’homme, Marcel Martinet, suivi par Le refus de la hiérarchie, Philippe Geneste, Quiero, 2023, 76 p., 18 €.