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Des jeux et des hommes

Oui, des hommes plutôt que des femmes : il s’agit de la coupe du monde de foot, même si une compatriote a arbitré un match pour la première fois ! Que l’on s’intéresse ou pas au football, force est de reconnaître l’importance de ce sport dans la vie collective d’un pays, et même à l’échelle planétaire.

La victoire de 1998 a donné lieu au plus grand rassemblement… depuis la Libération de la France, semble-t-il. Des foules en liesse… Dans une région moins occidentale, en Iran, le cinéaste Abbas Kiarostami montre dans un film des jeunes gens qui bricolent en hâte une antenne pour capter des matchs à la télé, juste après un tremblement de terre dévastateur : signe que la vie continue. Le gigantisme des stades en atteste aussi. Ces bâtiments dominent les paysages. Dans les grandes villes, les déplacements sont énormes, et les conséquences, potentiellement tragiques en cas de gradins défectueux (Bastia), de délinquance, de rixes entre supporteurs des deux camps…

Une énorme manne financière

Le capitalisme a vu là une manne formidable, les joueurs professionnels se sont mués en hommes sandwichs, les lieux sont tapissés de placards publicitaires, on a changé les noms pour glorifier les sponsors. Le légendaire stade vélodrome de Marseille a été rebaptisé Orange. Et en échange de leur virtuosité, les plus fameux footballeurs se retrouvent à la tête de fortunes colossales, totalement déconnectées de leur activité (mais c’est vrai aussi dans tous les domaines du marché, art, blé, mobilier ou immobilier… le capitalisme financier s’est emparé du monde). Ces sportifs cousus d’or deviennent des idoles, dont les images s’arrachent sur tous les supports. Car ce sport est populaire par excellence. Populaire et politique, comme l’a très bien exprimé une intéressante exposition au MUCEM de la cité phocéenne. Il a pu porter toutes sortes de causes, indépendance algérienne, tournoi antiraciste, être utilisé par le fascisme, le nationalisme…

Un condensé des horreurs capitalistes

Et le voilà, aujourd’hui accaparé par le Qatar et plus généralement par les Émirats, par des pétromonarchies qui mêlent sans vergogne paroxysme capitaliste et radicalité islamique. Curieusement, alors que les appels au boycott de manifestations sportives sont fréquents et parfois tonitruants (à défaut d’être efficaces), la critique de cette manifestation a été relativement discrète et la concentration du pire a été peu dénoncée, les côtés négatifs étant de moins en moins relevés au fur et à mesure des succès de l’équipe de France. Pourtant, cette coupe du monde, c’est un condensé de l’horreur, de la corruption initiale au gaspillage écologique en passant par l’atrocité sociale (on pourrait parler d’esclaves modernes sacrifiés pour édifier les stades). S’y ajoute l’aberration sportive, puisqu’il n’y a pas d’équipe à la hauteur, pas de public sur place pour vibrer aux exploits des joueurs, qu’il faut en faire venir à grands frais (ou payer des figurant·es ?). Last but not least, le régime n’est-il pas aux antipodes de nos valeurs (censément républicaines pour la France) en matière de droits des femmes, des homosexuel·les, de démocratie ? Du moment qu’on dort sur des puits de pétrole, du moment que l’argent est roi, tout est pardonné aux Émirats. Peu avant, Macron avait reçu avec tous les honneurs dus à son rang le prince d’Arabie Saoudite, un pays où l’on peut découper en petits morceaux un opposant. Au Qatar, il cautionne et soutient par sa présence réitérée cette manifestation qui condense capitalisme de l’extrême et islamisme le plus pur. Une complaisance et une complicité qui démentent tout ce que le gouvernement prétend défendre “en même temps” en matière de droits humains.

Car ne nous y trompons pas, ce ne sont ni l’Argentine, ni la France qui dominent la compétition, mais bien le Qatar : en effet, les joueurs stars, Messi et Mbappé, lui appartiennent, puisqu’il a acheté le PSG, le club parisien des deux footballeurs. Il possède aussi notre unique quotidien sportif. Il ne faut pas minimiser l’influence, voire l’emprise que permet le sport, notamment sur les jeunes générations. L’Arabie Saoudite n’est pas en reste, elle vient de s’offrir Ronaldo, autre grande star du foot. Une stratégie pour gagner les cœurs et les consciences, avec la bénédiction du capitalisme occidental. Du moins certains pays, l’équipe d’Allemagne, par exemple, en ont-ils profité pour afficher quelques désaccords. Pas la France. On ne peut pas demander à des joueurs que le système du foot international a vendu au Qatar de prendre position. Mais la responsabilité des politiques demeure entière.

Complaisance, voire plus

Macron est en principe le président d’une République laïque, rien ne l’obligeait à faire tant de courbettes aux pays parmi les plus réactionnaires, dictatoriaux et théocratiques de la planète. Sauf à ne reconnaître qu’une valeur… la valeur financière. Tout est alors permis et possible, par exemple d’organiser des Jeux Olympiques d’hiver dans un désert de sable ! À noter qu’à droite, on a parfois tendance à parler de président de la France (France éternelle qui englobe royauté, empire, et prend ses distances avec la sulfureuse révolution de 1789). L’attitude de Macron qui s’affiche avec les monarques les plus rétrogrades et a permis la réouverture du Puy du Fou durant le confinement conforte cette tendance anti-républicaine. Il se dit progressiste mais sa proximité avec les systèmes les plus archaïques est, elle, bien réelle. Replaçons-le là où il doit se situer sur l’échiquier politique, extrêmement… à droite.

Marie-Noëlle Hopital