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Déontologie journalistique ?

Nous publions ci-dessous le droit de réponse envoyé au Nouvel Obs, à la suite de la publication de l’article intitulé “Ivry-sur-Seine, le bastion communiste face à la fuite vers les écoles privées”, rédigé par l’équipe éducative du Collège Henri Wallon d’Ivry-sur-Seine.

(Le titre et les intertitres sont de la rédaction).

Cet article écrit par Pauline Grand d’Esnon et publié le 14 janvier 2023, évoque le contournement de la carte scolaire par des parents qui choisissent d’inscrire leurs enfants à Paris ou dans des établissements privés. Pour illustrer cette thématique, une focale est faite sur notre collège, Henri Wallon, établissement REP d’Ivry-sur-Seine.

Si l’article rapporte quelques nécessaires vérités sur les conditions d’enseignement propres à la plupart des établissements, dans notre académie surtout, de nombreux passages ont entraîné une vive réaction au sein de l’équipe éducative de notre collège.

Parée d’une plume élégante, la description de notre établissement n’en reste pas moins négative et ce portrait condescendant s’appuie sur un témoignage problématique à différents égards.

Ainsi, l’équipe éducative du collège H. Wallon estime avoir un droit de réponse.

De la mixité sociale

Notre étonnement surgit dès le titre : “Ivry-sur-Seine, le bastion communiste face à la fuite vers les écoles privées”. Nous nous interrogeons sur le choix éditorial qui rappelle l’étiquette politique de la ville bien qu’il n’y ait pas grand rapport avec le sujet traité. Des “bastions communistes”, il en reste peu ; en revanche, la fuite vers les écoles privées est un sport national qui touche de très nombreuses communes, indépendamment de leur couleur politique. Ce choix n’est pas anodin quand on poursuit la lecture avec un chapeau qui indique que notre ville serait “aux prises avec ses idéaux de mixité”.

Est-ce à dire que la mixité sociale ne peut quitter la strate inatteignable de l’“idéal”, comme si, en poursuivant le projet séculaire d’une École de la République, les Ivryens seraient de doux utopistes ?

Doit-on comprendre qu’il est plus réaliste d’avaliser l’idée d’une École à deux vitesses, d’une politique de ségrégation spatiale socio-économique qui ferait d’un côté des ghettos de riches ou de classes moyennes dans les lofts et le privé et de l’autre, des ghettos de pauvres dans les HLM, les hôtels sociaux et les établissements publics ?

Mode d’emploi pour ghettoïser l’Éducation

Si la casse systématique de l’Éducation nationale, rapidement effleurée par l’article tout de même, transforme ces tristes velléités en réalités, il faut alors chercher les responsabilités auprès des décideurs et pas des agent·es malmené·es depuis des décennies qui font tout ce qu’il·elles peuvent sur le terrain avec le peu qu’on leur donne.

Pourtant, le témoignage de “Sandra” vient pointer du doigt notre équipe sur le volet de l’excellence : “l’exigence, la culture de l’effort ne sont pas là”. Bien sûr, ce témoin nous concède une volonté, dont nous sommes fiers, de remédier au décrochage et à la difficulté scolaires : “Sandra n’accable pas l’équipe en place à Henri-Wallon […] Ils luttent très fort contre le décrochage […]’’.

Pour enfoncer le clou, “Sandra” recommande notre collège “aux élèves qui ont des difficultés. Mais pour ceux qui n’en ont pas, ce manque d’exigence leur fait perdre la motivation”. Voilà qui est limpide et qui incarne parfaitement le séparatisme sinon de la bourgeoisie, des classes moyennes. À coups de contre-vérités, “Sandra” donne le mode d’emploi pour ghettoïser l’Éducation, pour fracturer les populations.

Un choix journalistique

Pourquoi ce témoignage pose problème d’un point de vue journalistique ? D’abord, il nous semble que la confrontation est une règle de déontologie assez évidente dont la journaliste s’affranchit ici. Qu’on ne nous oppose pas le témoignage de “Lucie”, maman du petit “Pablo” que l’on peut lire à la fin de l’article, car il fait état de cette impérieuse mission du Service public de l’Éducation et ne parle pas des enseignant·es d’Henri Wallon. Il est néanmoins vrai que ces quelques lignes, comme le portrait du tissu social ivryen que dresse notre CPE, Jean-Michel Gouezou, nous ont redonné un peu de souffle après une lecture pénible.

Puisque les enseignant·es sont attaqué·es sur leur incapacité à “élever” leurs meilleur·es élèves, il aurait été logique d’aller les interviewer : nous sommes une quarantaine en salle des professeur·es et pas une, pas un seul d’entre nous n’a été sollicité par la journaliste, même après qu’elle a recueilli de tels propos à charge.

Mais ce choix journalistique permet d’éviter autant que possible, le vrai problème.

Casse de l’École publique

Pourtant, ce qui nous frappe de plein fouet et, en tant que professeure des écoles, de notre secteur de surcroît, “Sandra” est en première ligne pour le voir, se nomme “casse de l’École publique”. Si la journaliste s’était donné la peine de nous rencontrer, voilà ce que nous, nous lui aurions dit.

En supprimant de substantiels moyens alloués aux enseignements, en contractualisant notre profession d’enseignant·e, en baladant les professeur·es des écoles d’injonctions ineptes quant aux méthodes de lecture à des missions empilées qui les noient pour un salaire honteux… En laissant des élèves en situation de handicap sans AESH, en fermant des classes et en entassant les élèves dès trois ans à 28, 29 et parfois 30 élèves, c’est bien cet abandon progressif des Services publics qui érige un mur au beau milieu de la Cité.

Ni “Sandra” ni nous, ne sommes responsables de cette situation délétère dans laquelle se trouve notre système éducatif.

Notre équipe, consciente et mobilisée – est-ce pour cela d’ailleurs, que le choix de la journaliste s’est porté sur notre collège ? –, a au contraire toujours défendu l’intérêt des élèves et de l’ensemble des collègues victimes de choix politiques libéraux destructeurs. C’est tou·tes ensemble que nous voyons nos métiers se vider de leur sens. En aucun cas, il ne s’agit des équipes du collège Wallon.

Bien au contraire ! Si Mme Pauline Grand d’Esnon avait daigné faire un vrai travail de journaliste et ne s’était pas arrêtée à la concurrence entre établissements, nous lui aurions dressé la liste de toutes les initiatives au sein de notre collège et elles sont nombreuses. Tant sur le plan de la remédiation scolaire pour les plus en difficulté, que celles culturelles, sportives ou civiques, à Wallon comme ailleurs, les savoirs participent à l’émancipation de tous.

Nous aurions aussi évoqué les poursuites d’études de nos élèves qui viennent régulièrement nous rendre visite un, deux, cinq ans après leur passage au collège, fier·es d’avoir réussi et de s’épanouir dans leur vie.

En revanche, nous aurions aussi déploré la fermeture d’options ou les effets de la perte horaire en langues anciennes par exemple.

Enfin, nous aurions pu affirmer que la solution n’est pas dans la “création d’options rares et prisées par les familles aisées” : si la petite bourgeoisie préfère faire sécession au contrat social plutôt que d’exiger de nos gouvernants qu’ils le respectent pour tou·tes les enfants de ce pays, une option mandarin ne pourra pas grand-chose à cette grande catastrophe.

Complice du séparatisme scolaire

Ce qui est sûr en revanche, c’est qu’une telle publicité qui ne repose sur rien de tangible et qui manque terriblement de déontologie, ne manquera pas de faire fuir davantage les familles vers le privé où l’on croit que tout va pour le mieux… Cet article qui verse des larmes de crocodile sur des écarts d’IPS scandaleux, est en réalité complice du séparatisme scolaire.

D’ailleurs, ce papier fait suite à un entretien publié la veille par le Nouvel Obs, avec le secrétaire général de l’enseignement catholique qui balayait la mixité sociale d’un revers de main : “notre liberté de recrutement n’est pas négociable”.

En accolant ces deux articles, le Nouvel Obs nous offre ainsi une belle étude de cas dans le cadre de l’éducation aux médias sur la désinformation, et sur l’utilisation de nos impôts qui financent les séparatistes.

Les “lobbyistes de l’École publique” du collège Henri Wallon d’Ivry