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Le jeu du gouvernement avec les institutions

Une analyse inspirée par deux articles du Monde (3-4 décembre 2023) : celui de de Philippe Bernard, Les gros dégâts des petits arrangements, et celui d’Éléa Pommiers, Une réforme de l’école inclusive censurée par le Conseil Constitutionnel.

Le caractère pitoyable, qu’on dirait rocambolesque si les résultats n’en étaient aussi tragiques et alarmants, des tribulations autour de la “loi immigration” avec, pour finir, la pirouette de Macron renvoyant l’affaire aux censures possibles au Conseil constitutionnel prouvent, s’il en était besoin, que le régime parlementaire est moribond pour ne pas dire inexistant, et la Constitution vulnérabilisée par ce rôle d’arbitre. Certains attribuent même au Président et à son ministre de l’Intérieur un calcul machiavélique : ils auraient consenti à durcir cette loi pour agréer aux demandes de la droite et de l’extrême droite et tenteraient de rétablir un semblant d’équilibre, en confiant la conclusion de toute façons contestable mais peut-être moins scandaleuse au Conseil Constitutionnel.

Le “mais quand même”

C’est ce que Philippe Bernard définit comme des accommodements et qui prend le pas sur les règles de la vie démocratique.

Pour illustrer son propos, il prend d’abord l’exemple de la suppression du retrait de points de permis pour les excès de vitesse n’atteignant pas vingt kilomètres. Avec d’autres “spécialistes de l’accidentologie” Pierre Lagache vice-président de la Ligue contre la violence routière dénonce la mesure prise par Darmanin comme “irresponsable, injuste et incohérente”.

On pourrait reprendre les adjectifs pour qualifier l’attitude du même à propos de cette “loi immigration” en sa phase finale. “On retrouve Gérald Darmanin dans un tout autre genre de « mais quand même » d’État, celui qui a consisté à batailler pendant des mois pour une loi sur l’immigration puis à alléguer son inconstitutionnalité partielle une fois votée au forceps par le Parlement […] Cette loi est un bon texte mais « quand même » elle est inconstitutionnelle avance l’exécutif. […] Si les juges de la constitutionnalité censurent en janvier 2024 certaines dispositions de la loi à peine votée – celles ébranlant des principes fondamentaux comme l’égalité des droits sociaux et le droit du sol – ce sera le signal de la curée sur « le gouvernement des juges » et contre la Constitution elle-même, accusée d’entraver la volonté du peuple.

Si le Conseil constitutionnel fait référence à la Convention Européenne des Droits de l’homme qui interdit la discrimination et protège le « droit au respect et à la vie familiale » l’hallali s’étendra aux juges de Cour Européenne des droits de l’homme auxquels on reprochera d’imposer leurs normes […] exactement ce qu’attendent Marine Le Pen et ses imitateurs du parti Les Républicains qui veulent démanteler notre héritage constitutionnel pour imposer « une préférence nationale » porteuse de honte nationale et de guerre civile”.

Censure des “cavaliers”

L’article d’Éléa Pommiers montre comment le Conseil Constitutionnel estime que certaines dispositions transformant l’aide de l’école aux handicapés n’avaient pas leur place dans un projet de loi finances (article 233).

Celui-ci est porteur de modifications structurelles importantes dont celles des PIALS (pôles inclusifs d’accompagnement localisés) en PAS (pôles d’appui à la scolarité) d’ici 2026.

Là encore le gouvernement, en mal de majorité, a voulu éviter le risque d’un vote parlementaire défavorable à un projet entraînant des modifications majeures : “La création du PAS retirerait aux MDPH (la mise à disposition du matériel pédagogique adapté) le pouvoir de définir les modalités de la mise en œuvre de l’aide et notamment le nombre d’heures durant lesquelles un élève doit bénéficier en classe d’un AESH (aide éducative et scolaire à l’enfant en situation de handicap).

Ces compétences revenaient aux PAS, donc à l’État. […]. Ce véhicule législatif induit un travail et des débats parlementaires dans un délai contraint, alors même que cette mesure suscite de nombreuses interrogations auprès des acteurs concernés”.

Ces tours de passe-passe contournant le fonctionnement des institutions et les ébranlant devraient être au centre de notre vigilance et de l’opposition radicale au règne macronien qui en prépare un pire.

Marie-Claire Calmus