Après quatre semaines de mobilisation, nous avons demandé à l’un des acteurs du mouvement son point de vue sur les suites, à la veille de la période délicate des vacances de printemps
L’Émancipation : Quelles sont les perspectives de la lutte pour un Plan d’urgence 93 ?
Tristan (CGT 93) : À l’heure actuelle il est difficile de savoir sur quoi va déboucher la grande grève du 93 initiée depuis le 26 février. Après quatre semaines de mobilisation intense, on se rend compte que l’on peine à entraîner largement de nouveaux et nouvelles collègues dans la lutte. Même, certains établissements les plus investis dans les deux premières semaines se sont résolus à reprendre le travail. Malgré la dynamique de certains bassins (en particulier celui d’Aulnay-sous-Bois, Sevran et Villemomble) et celle des AG départementales, on constate une baisse de régime dans la mobilisation. Cela peut se comprendre par le nœud que représente la question de l’élargissement de la lutte. Il est souvent reproché à l’intersyndicale 93 de ne pas vouloir étendre la lutte, or ce n’est pas tout à fait ce qu’il se passe. L’intersyndicale compte gagner sur des revendications locales, en mobilisant localement. Son discours est : “si d’autres départements veulent exiger un plan d’urgence, qu’ils le fassent, nous les soutiendrons”. Leur hypothèse, de fait erronée lorsque l’on voit la tendance que prend la mobilisation (mais que l’on ne doit pas modifier afin qu’elle corresponde à nos schémas de pensée), est de considérer qu’il est possible d’obtenir satisfaction en se concentrant sur du local. Mais, comme le montrent aussi les débats internes aux AG et les tentatives d’agrégation des établissements mobilisés d’Île-de-France, c’est la conscience que l’isolement affaiblit qui est en train de se dégager. Pourtant, malgré les sauts sur la gauche dans l’AG du 93 avec l’interpellation des directions syndicales nationales pour entraîner dans la lutte l’ensemble des collègues de l’éducation1, la condamnation des violences policières suite à la mort de Wanys ou encore la dénonciation de la loi de 2004 et de son continuum incarné par l’interdiction des abayas en début d’année2 la mobilisation semble peiner à trouver une dynamique de masse. Les perspectives ne sont pas bouchées, mais avec les vacances dans deux semaines, de nombreuses interrogations sur la pérennité du mouvement vont émerger.
L’Émancipation : Quelle est la dynamique des lycées professionnels dans le cadre le la lutte pour un Plan d’urgence 93 ?
Tristan : Les LP sont très peu mobilisés : les rares taux de grévistes atteignent péniblement les 20 % et il est rare de voir des cortèges de LP dans les manifestations. Cela s’explique, à mon avis, par au moins trois raisons principales. D’abord, le LP est en première ligne de l’offensive destructrice menée par Macron. Si la dynamique a été enclenchée en 2008 avec la suppression d’une année complète de formation (le bac pro qui se déroulait en quatre ans est passé à trois) et la suppression du BEP, il y a une nette accélération depuis 2019, qui ne cesse de s’approfondir. La destruction du LP est en cours, avec l’adéquation des formations sur les bassins d’emplois et les diverses tentatives d’annualisation du temps de travail introduites, notamment, par le Pacte (qui trouve un écho très important dans les LP). Ensuite, la sociologie du lycée professionnel n’est pas la même que dans les autres corps de l’Éducation nationale. Par exemple, nous connaissons des taux de contractuel·les très élevés (jusqu’à 70 % dans certains établissements du 93). Ces collègues, souvent peu formé·es, viennent du privé et n’ont pas les réflexes qui se retrouvent dans les autres secteurs de l’Éducation nationale. La grève, la participation aux heures d’information syndicales, la manifestation ne font pas vraiment partie de leur registre d’action. Enfin, l’isolement structurel dont pâtit le LP : considéré comme une voie de garage (qui accueille tout de même plus de 700 000 élèves !), le lycée professionnel est comme une sorte d’enfant pauvre de l’Éducation nationale, notamment parce qu’il scolarise, justement, les enfants des familles les plus pauvres. Alors qu’il s’agit du lycée le plus populaire, il s’agit aussi du lycée le moins disponible à la mobilisation, tant au niveau des travailleurs/euses de l’éducation que des élèves. Si l’on ajoute à cela la volonté de faire passer les LP sous la tutelle de régions en vantant l’autonomisation, on perçoit les différentes tentatives d’affaiblissement des établissements. Lorsque certains parviennent à remporter des victoires locales (contre l’augmentation des effectifs en classe ou contre des fermetures) d’autres subissent de plein fouet le revers (augmentation d’effectifs, fermetures de classes…).
L’Émancipation : Quelles sont les orientations qui pourraient permettre un saut qualitatif et quantitatif dans la lutte ?
Tristan : Pour ma part, je considère que, malgré quelques manœuvres anti-démocratiques (refus de faire voter des collègues d’autres départements lors d’AG, nomination spontanée de la tribune sans contrôle démocratique…), ce n’est pas l’intersyndicale du 93 qui porte seule la responsabilité de la baisse de dynamique du mouvement. La responsabilité provient d’abord de l’intersyndicale nationale du second degré (en particulier les organisations qui sont importantes dans les collèges, dont le SNES) qui n’appelle à aucune mobilisation sérieuse contre le “choc des savoirs” et les groupes de niveaux qui signent la mort du collège unique et l’extension du tri social. Dans la lutte du 93, ce sont les collègues de collège qui sont à la pointe de la manifestation, car ils et elles ont compris ce que signifiaient les décrets Attal. Il faut donc interpeller régulièrement ces organisations qui contribuent, par leur passivité, à avaliser la politique de destruction de l’école publique menée par Macron et Attal.
L’extension du mouvement ne pourra pas reposer sur le volontarisme, aussi précieux soit-il, de groupes de collègues dans différents départements. La lutte du 93 montre justement qu’une intersyndicale préparée, déterminée, contrôlée sur sa gauche par les AG et soutenue par les fédérations de parents comme la FCPE peut entrer dans un rapport de force conséquent contre le ministère. Tout porte à croire que si l’intersyndicale du second degré appelait nationalement les collègues à entrer dans la lutte, avec un plan de bataille de à la hauteur des enjeux et l’ouverture de larges caisses de grève, un mouvement d’ampleur de l’Éducation nationale serait possible. De plus, l’expérience du 93 permettrait de mettre en garde sur la nécessité de démocratiser immédiatement le mouvement, en mettant en place régulièrement la tenue d’AG d’établissements, de villes, départementales puis nationales.
Enfin, il y a toujours un élément, plus ou moins incontrôlable, qui peut aussi contribuer à élever nettement le rapport de force : l’entrée des lycéen·nes dans la lutte. On a vu que les élèves du lycée Blaise Cendras à Aulnay-sous-Bois, avec une communication efficace (vidéos Tiktok) et une présence en manifestation ont permis de dynamiser le mouvement. À Paris, des blocus lycéens radicaux émergent tandis qu’à Toul, en Meurthe-et-Moselle, des élèves de lycée pro ont organisé un barrage filtrant pour exiger leurs allocations de stages. Aucune de ces actions n’est coordonnée, mais si elles l’étaient il serait possible d’imaginer la puissance qui s’en dégagerait. Mais là encore, il est nécessaire d’avoir des organisations capables d’organiser le rapport de force, mais ce n’est pas le cas.
Entretien réalisé par Olivier Vinay
- Motion de l’AG de Ville de Noisy-le-Sec reprise par l’AG 93 du 21 mars :
L’assemblée générale de ville de Noisy-le-Sec, investie depuis le 26 février dans le mouvement pour un plan d’urgence 93 et contre le choc des savoirs:
– demande aux organisations syndicales de l’EN d’appeler à une mobilisation d’ampleur des collègues, au niveau national, par la grève et la manifestation pour exiger le retrait du choc des savoirs et de la logique de tri social que cela implique ainsi que la destruction de l’éducation générale ;
– s’engage à poursuivre la mobilisation pour un plan d’urgence 93, jusqu’à satisfaction des revendications, par la grève et les actions de terrain. ↩︎ - Motion du collège Fabien de Montreuil, reprise par l’AG 93 du 21 mars : voir en encart ci-dessous. ↩︎
Motion du Collège Fabien de Montreuil, reprise par l’AG 93 du 21 mars
La répression qui a frappé les élèves du collège Delaune à Bobigny, vendredi lors d’une action de blocage de leur établissement, nous rappelle combien les adolescent·es racisé·es subissent dès le plus jeune âge la brutalité policière, expression d’un racisme institutionnel qui fait partie malheureusement de leur quotidien. Nous condamnons et continuerons inlassablement de condamner ces violences policières à l’encontre de nos élèves, les actuel·les comme les ancien·nes.
Le meurtre de Wanys (ancien élève de La Courneuve) et les blessures d’Ibrahim commis par la police la semaine dernière à Aubervilliers nous mettent dans une profonde colère. La jeunesse de son quartier s’est révoltée ce week-end, et nous les comprenons. La répression a déjà commencé à s’abattre sur eux/elles suite à cet énième crime policier. Nous nous devons d’être à leur côté face à la répression policière et judiciaire qui va suivre (mise en contact avocat, soutien pour financer les frais) et exiger une amnistie totale pour les révolté·es.
Le continuum des violences racistes est aussi dans l’accès au logement. Des élèves et leurs familles risquent d’être expulsé·es de leurs logements, ainsi que celles qui habitent dans le squat de la rue Gambetta à Montreuil. Nous avons au moins deux élèves qui risquent d’être chassés de leur logement dans notre collège Fabien. Nous exigeons l’abrogation de la loi Kasbarian qui facilite les expulsions et aggrave les conditions de vie de nos élèves.
L’accès à l’éducation est entravé par le DASEN qui bloque l’inscription de jeunes mineur·es isolé·es sous prétexte d’un manque de places dans les classes UPE2A. Il n’est pas à son coup d’essai, lorsqu’il était le DASEN de la Moselle il soutenait l’initiative d’un maire de ne pas scolariser de jeunes enfants Roms. Les pratiques racistes existent déjà dans notre administration et l’on se doit de les dénoncer comme telles. Nous devons exiger l’abrogation de la loi Darmanin qui entérine et généralise ces pratiques.
Enfin, alors que nous venons de “fêter” sinistrement les 20 ans de la loi 2004, matrice judiciaire d’un cadre islamophobe répressif, nous exigeons l’abrogation de la note de service sur l’interdiction des abayas et des qamis, qui au delà d’être une diversion, renforce la ségrégation dans l’espace scolaire de nos élèves musulmanes et le harcèlement de l’institution scolaire à leur encontre.
Militantes SUD Éducation et SNES-FSU du collège Fabien à Montreuil