On peut aller voir Youssef Salem a du succès pour se détendre, rire, en ces temps délétères c’est bien nécessaire, et en effet on rit beaucoup à voir ce quadra, faux bobo parisien, esseulé, écrivain en peine, parfois trop alcoolisé, tenter d’accéder à la reconnaissance voire à la notoriété…
Tout comme est hilarant le portrait de sa famille, maghrébine du sud de la France, soi-disant ignorante de sa vraie vie et dans laquelle il redevient un grand gosse qui se cache pour fumer, et dont le père, amoureux de la belle langue française et obsédé par l’orthographe, croit qu’il écrit un ouvrage historique sur l’émir Abdelkader (qui a lutté contre la colonisation française entre 1843-1847).
Baya Kasmi, scénariste et réalisatrice
Elle n’est pas une débutante on lui doit Le nom des gens co-écrit avec le réalisateur Michel Leclerc, et qui déjà traitait de l’identité, puis toujours avec Michel Leclerc, La lutte des classes, comme réalisatrice Je suis à vous tout de suite, et comme scénariste, entre autres, Hippocrate (le film)…
Sa méthode consiste, sans avoir l’air d’y toucher, à glisser des sujets clivants et de les traiter de façon humoristique ce qu’elle fait dans le film.
La lutte des classes traitait des choix politiques, ceux d’un couple de gauche (Édouard Baer et Leïla Bekhti) s’interrogeant sur ses convictions, et sur l’école de la République comme vecteur de mixité sociale.
Je suis à vous tout de suite mettait en scène l’histoire d’une famille d’origine maghrébine, dont les enfants, un garçon et une fille suivent une trajectoire différente : elle se veut libre, le frère choisit un islam rigoureux.
Déjà Baya Kasmi, dans ce film, affirmait que la communauté d’origine maghrébine était beaucoup plus diverse qu’on ne le dit. “Mon père est algérien. Je sais qu’il y a 1 000 façons d’être issu de cette immigration-là. Il y a 1 000 façons de vivre sa religion ou de ne pas la vivre”.
Youssef est rattrapé par la réalité
Bien sûr Youssef est rattrapé par la réalité, il a sans vergogne utilisé la vie de ses proches comme matériau de son dernier ouvrage, les personnages à peine travestis sont sa famille père, mère, sœur… ouvrage qui contre toute attente obtient le prix Goncourt ce qui permet à la réalisatrice de nous livrer un portrait au vitriol du milieu littéraire.
Livre que tout le monde s’arrache, que tout le monde a lu, sauf ses parents et qui déclenche une série de quiproquos réjouissants, notamment un débat télévisé pendant lequel les participant·es (un journaliste de Valeurs Actuelles, une journaliste féministe, etc.) s’affrontent autour de différents sujets, notamment : peut-on se servir de sa famille quand on est maghrébin et qu’on vient d’une famille traditionnelle ? Ou bien parle-t-on au nom de tous et toutes, est-on, dans ce cas, porte-parole de sa communauté ?
Un débat qui traverse les français·es issu·es de l’immigration
Baya Kasmi ne se cache pas d’avoir glissé dans le film ses idées, on peut imaginer que Youssef est son double de fiction, ainsi que sa position dans le débat qui traverse les français·es issu·es de l’immigration : est-ce que l’appartenance à une communauté vous oblige à adhérer aux idées dominantes, aux comportements en vigueur, à vous soumettre aux diktats y compris à “l’idéologie victimaire” qui y règne ? Ou pouvez-vous avoir un libre-arbitre et revendiquer pour vous “le droit à la médiocrité”, comme le fait Youssef sans que cela ne rejaillisse sur toute la communauté ?
Ou encore pouvez-vous vous insérer dans la société dans laquelle vous vivez et essayer d’y réussir sans être taxé·e, comme le fait sa sœur dans une scène époustouflante, de “collabeur”, épithète et concept inventé par G. A. Nabe (piètre littérateur, provocateur, raciste, antisémite et homophobe…) et repris par les “Indigènes de la république” ? (on retrouve cet ensemble d’interrogations dans le dernier livre de Richard Malka Traité sur l’intolérance, Éd. Grasset,)
Mille raisons donc d’aller savourer le succès de Youssef et de donner raison à Baya Kasmi, de continuer à nous faire réfléchir en nous divertissant.
Bernard Foulon
Youssef Salem a du succès, film de Baya Kasmi, 1h 37 min.