Note de lecture
Cet opuscule est une petite bombe qui contribue à transformer, selon son auteur, une mobilisation défensive en reconstruction.
Ne nous le cachons pas, en ces dernières décennies, malgré une succession de luttes remarquables et la forte mobilisation actuelle, nous ne cessons de perdre, et c’est ce qui risque de se passer encore ce printemps. Bernard Friot comme à l’accoutumée, soldat inlassable d’un VRAI communisme, fidèle aux idéaux et programmes de l’après-guerre, nous pousse à attaquer, à tout renverser et à recréer.
Dans les premiers chapitres, il rappelle les grands axes de sa réflexion : détacher le salaire de l’emploi et l’attacher à la personne, à sa qualification si bien que la retraite après la vie professionnelle n’en est plus différente que par sa liberté. Et n’en dépend plus financièrement (nombre d’annuités, de versements de cotisation, etc.). Car dans le nouveau système, échappant au bénévolat – roue de secours d’un État infirme, incapable d’assumer et de soutenir nombre d’associations adventices palliant ses insuffisances – le/la “retraité·e” pourra exercer une activité utile et choisie, y compris dans les entreprises, avec son salaire continué, calculé de la façon la plus juste (75 % du meilleur salaire brut et non net comme actuellement).
La révolution est dans cette rupture entre un emploi le plus souvent imposé – tout dégradé et sous-payé qu’il soit – pour les besoins de la sacro-sainte production (l’économiste parle au sens strict de la “religion” du capitalisme) et l’activité aimée du travailleur ou de la travailleuse.
On ne subira plus un emploi, si épuisant et pénible soit-il, une bonne moitié de son existence dans la perspective d’en être délivré plus tard !
Ce faisant, on dynamite le système néo-libéral qui a tout prévu pour cacher le caractère insupportable d’un bon nombre d’existences – y compris la “gestion” de la souffrance au travail !
Politico-philosophiquement c’est la proposition la plus audacieuse qui ait jamais été faite dans ce domaine : détacher le salaire de l’emploi, et donc cesser d’alimenter la machine capitaliste broyeuse d’êtres.
En découle une série de conséquences, à revers du consensus actuel : ainsi l’âge, stigmatisé dans l’ensemble de la société parce qu’associé à cette religion de l’emploi qui seul donnerait quelque valeur et but à la vie, cesserait d’être le critère de base de tout jugement de valeur comme c’est le cas actuellement. Avec lui le fameux argument de la “solidarité intergénérationnelle” si souvent invoquée par le pouvoir pour détruire les résistances militantes et que la présence d’une jeunesse éclairée et offensive dans les manifestations, actions, déclarations actuelles, contre sa politique, rend inopérante.
La “valeur-travail” serait balayée par cette réalité : c’est le travailleur qui donne à son activité sa valeur, et non l’inverse selon l’estimation préconçue de ceux qui nous subordonnent.
De même, l’argument ressassé de la “quantité de travail” n’aurait plus lieu d’être puisque travail et salaire à vie étant attribués à chacun·e, on ne parlerait plus de la rareté de l’emploi ni de la nécessité de son “partage”.
Bernard Friot innove dans la forme de son exposé le rendant ainsi aisément accessible à toutes et tous.
Comme il le fait sur scène, il imagine des dialogues avec divers·es travailleur/’euses qu’il s’agit de convaincre ; et tout à la fin une sorte de fable politique décrit la société à venir.
Un petit livre étonnamment clair et vigoureux donc, sans lourdeur, traversé d’un humour combattant si nécessaire, et qui, avec un regain de courage, nous donne l’envie de lire et relire les précédents ouvrages de cet auteur.
Marie-Claire Calmus
Prenons le pouvoir sur nos retraites, Bernard Friot, éditions de La Dispute, 2023, 8 euros.
À commander à l’EDMP, 8 impasse Crozatier, Paris 12, edmp@numericable.fr