TotalEnergies
L’activité économique, dans l’énergie comme dans tous les secteurs, pose des questions environnementales. David, délégué syndical CGT de la Raffinerie de Donges en Loire-Atlantique, nous explique dans cette interview comment les salarié·es de TotalEnergies prennent en compte ces problématiques dans leur intervention syndicale.
L’Émancipation : Quels sont les impacts de vos métiers sur vos vies du point de vue santé/environnemental ?
David : Si différents métiers sont exercés par les travailleuses et travailleurs d’une raffinerie, la plupart du collectif de travail, salarié·es du donneur d’ordre TotalÉnergie comme des sous-traitants, est exposé à de multiples agents chimiques dangereux dont certains cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques mais aussi au bruit et pour certain·es au travail en horaires décalés (tôt le matin, tard le soir, de nuit). Les impacts sur la santé sont importants par l’accumulation des expositions aux polluants notamment au benzène ou à l’amiante, encore très présente sur notre site, classée comme cancérogène probable par le centre international de recherche sur le cancer et aussi la désynchronisation du rythme biologique causée par les horaires de travail atypiques. La pollution environnementale n’est pas à dissocier des expositions sur le lieu de travail, on pourrait même considérer qu’un collectif de travail en bonne santé est la garantie d’une moindre exposition des riverain·es, qui sont d’ailleurs souvent les mêmes qui travaillent à l’usine.
Le calendrier récent vient nous rappeler que ce type d’industrie peut être à l’origine d’accidents majeurs comme les accidents industriels de Lubrizol à Rouen, d’AZF à Toulouse et de Total à La Mède, des 26 septembre 2019, 21 septembre 2001 et 9 novembre 1992, qui trouvent leur origine dans une logique de production capitaliste du profit à tout prix.
Le respect strict, et les moyens d’y parvenir, par les patrons de leurs obligations de non altération de la santé des salarié·es et de l’environnement devraient être une priorité. Le retour des CHSCT avec des prérogatives renforcées, l’interdiction de la sous-traitance dans les industries à risques et les sites classés SEVESO, l’investissement sur l’ensemble des sites avec le maintien de tous les emplois et le recrutement massif de personnel qualifié, la réintroduction d’une maintenance préventive avec une surveillance accrue des installations, les services de secours à la hauteur des enjeux dans les sites industriels, le renforcement des moyens humains et juridiques des services de l’État (inspection du travail, DREAL et CARSAT), l’impunité zéro contre la délinquance “en col blanc”, la création de l’infraction de crime industriel dans le Code pénal, sont des revendications portées par la CGT.
L’Émancipation : Comment intégrez-vous ces questions au niveau du syndicat ?
David : Nous intégrons ces thématiques dans les assemblées générales de travailleur·euses et disposons, à Donges, d’un collectif interprofessionnel qui réunit l’ensemble des syndicats CGT présents dans les sites SEVESO de la zone. Au niveau de notre fédération syndicale, la FNIC, le collectif Santé-Travail met au débat et produit des écrits sur ces sujets. Un membre du collectif est d’ailleurs à l’origine d’un bouquin qui sortira prochainement : Santé au travail et luttes de classe, vécu et analyse d’un ouvrier syndicaliste.
L’Émancipation : La direction de Total met parfois en avant des préoccupations écologiques pour justifier sa politique. Qu’en est-il vraiment ?
David : La direction de Total dispose d’énormes moyens financiers pour assurer une communication conséquente de “greenwashing”, la transition vers des moyens de transport ou des produits de consommation moins polluants n’est qu’une opportunité pour cette entreprise capitaliste de faire toujours plus de cash. Il s’agit ici d’une transition économique plus qu’écologique. Les multinationales, depuis 2009 et surtout sous l’ère Macron ont obtenu, d’une part, de nombreux coups de ciseaux dans des dispositions protectrices du Code de l’environnement et du Code du travail qui rendent la production plus risquée et, d’autre part, une manne financière d’argent public considérable pour “décarboner” leur production.
L’Émancipation : Que penses-tu de ce qu’on peut entendre dans certains milieux écologistes selon quoi la fermeture de sites polluants est de toute façon une bonne chose et que les augmentations de salaire servent de toute manière à consommer plus ?
David : La pollution est une question planétaire, la réduire à l’échelle de sa région ou de son pays ne résout rien, si ce n’est assister à une délocalisation de cette pollution. Dans le raffinage, l’exemple est criant suite à la fermeture de plusieurs raffineries. L’année passée a vu pour la première fois en France depuis les années 1950, les importations d’hydrocarbures raffinés dépasser la production. Les produits importés viennent principalement d’Asie où les normes sociales et environnementales sont encore moindres qu’en Europe. C’est donc, à mon sens, la question des besoins des populations et de leurs modes de production dont il faut débattre. Il doit revenir aux citoyen·nes et aux seul·es producteur/trices de richesses, les travailleurs et travailleuses, de choisir les moyens et modes de production capables de répondre aux besoins de la population.
L’Émancipation : Le réseau écosyndicaliste a publié un communiqué dans lequel il a soutenu les luttes pour les salaires dans le secteur des raffineries. Qu’as-tu pensé des arguments ?
David : De nombreux arguments développés dans le communiqué sont similaires à ceux que la CGT a inscrit dans ses tracts et partagé avec les grévistes lors de la récente grève, qui je le rappelle, portait trois revendications : une augmentation de salaire indexée à l’inflation dans un contexte où le groupe Total réalisait 18,8 milliards de dollars de bénéfices pour le seul premier semestre 2022, l’embauche des travailleurs et travailleuses précaires qui représentent jusqu’à 15 % des effectifs dans nos usines SEVESO et un plan massif d’investissements sur nos sites visant justement à répondre aux enjeux environnementaux. Nous nous sommes retrouvés face à une direction qui refusait de négocier immédiatement, engendrant ainsi une pénurie aux pompes et à un gouvernement mettant en œuvre des réquisitions, cherchant ainsi à isoler et à diaboliser les raffineurs en grève.
L’Émancipation : Comment vois-tu l’évolution du mouvement social sur les questions sociales et écologiques ?
David : L’année 2022 est marquée par les innombrables luttes dans les entreprises sur la question des salaires. Une question centrale est revenue dans le débat : l’indexation des salaires sur l’inflation. La réponse gouvernementale et patronale par des primes, d’ailleurs désocialisées, ne répond pas aux grévistes qui ont bien conscience que seule une augmentation générale du salaire est le commencement d’un véritable partage des richesses produites. Ces combats, qui sont finalement fréquents dans les entreprises, se poursuivront certainement avec vigueur en 2023 où une inflation à 6,1 % est annoncée dans la zone euro.
Pour la CGT, les choix technologiques des moyens de production de l’énergie découlent des logiques de rentabilité des groupes énergétiques et de décisions politiques des gouvernements successifs ces 20 dernières années dans le secteur de l’énergie. L’énergie ne peut pas être laissée dans les mains du marché avec des effets spéculatifs. Ce néolibéralisme, appliqué à l’énergie et à l’ensemble de l’économie, détruit la santé des travailleuses et travailleurs ainsi que notre planète. Les capitalistes ne rendront évidemment jamais la production socialement juste et renouvelable, nous devons donc préparer des mobilisations d’ampleur afin de reprendre le contrôle des outils de production, c’est une nécessité sociale, une urgence pour notre planète.
Entretien réalisé par Serge Da Silva