Les historien·nes, pour la plupart, fuient les plateaux télés, les paillettes, les petites polémiques du moment, les petites phrases qui piquent un peu, les petits mots qui fâchent beaucoup. Ils/elles ont le nez dans la poudre de papier et la poussière des archives. Ils/elles lisent, relisent, vérifient, croisent les sources, les recroisent, revérifient et, de temps en temps, tentent d’affirmer en doutant beaucoup. Ce n’est pas le cas de Zemmour qui se targue d’être féru d’histoire et de la comprendre là où les autres ne savent même pas la lire. Face au commun des mortels, il peut impressionner, voire agacer mais face aux historien·nes, au mieux, il irrite au pire, il énerve. Mais ce ne serait pas la première fois qu’on raconte des bêtises sur l’Histoire et pour autant, aucun·e historien·ne ne prend sa plume pour contredire les bavard·es à la langue fourchue.
Mais là, trop, c’est trop. Devant l’accumulation d’erreurs que la bêtise ne peut excuser et devant la prétention du faussaire à s’asseoir sur le trône du pays, il convenait de réagir.
Zemmour contre l’histoire (Tracts, n°34, Gallimard – 3€90) est un collectif d’écrits d’historiens et d’historiennes (Alya Aglan, Florian Besson, Jean-Luc Chappey, Vincent Denis, Jérémie Foa, Claude Gauvard, Laurent Joly, Guillaume Lancereau, Mathilde Larrère, André Loez, Gérard Noiriel, Nicolas Offenstadt, Philippe Oriol, Catherine Rideau-Kikuchi, Virginie Sansico, Sylvie Thénault – oui, je sais, c’est long mais il n’y a pas de raison qu’on ne les cite pas alors que Zemmour l’est dès le titre alors qu’eux et elles s’effacent pour n’apparaître qu’en page 5). Ils/elles reviennent sur les vérités historiques que “Zemmour maltraite, déforme ou nie […] faisant mentir le passé pour mieux faire haïr au présent… et ainsi inventer un futur détestable”.
Chaque “article” réaffirme, si c’était nécessaire, une vérité historique et démontre que ce qu’affirme Zemmour (un extrait de ce qu’il pense être une “vraie histoire de France”) est au mieux une maltraitance, souvent une déformation au pire un mensonge historique.
Retourner à l’école
502 – Clovis n’est pas oublié (page 6)
“Clovis est désormais jeté dans les poubelles de l’histoire. Comme un témoin gênant.” écrit Éric Zemmour dans Destin français, Quand l’histoire se venge, (Albin Michel, 2018, page 54). “Il s’agit d’un mensonge assez grossier. Les historiens n’ont en réalité jamais cessé de travailler sur Clovis”. » Et de citer les biographies et autres livres, les colloques, les thèses et autres travaux. “L’idée d’un Clovis « oublié » permet à Éric Zemmour de chanter une petite chanson décliniste et complotiste, sur le refrain bien connu du « on n’apprend plus l’histoire de France à vos enfants »…” (page 7). Et je ne peux que confirmer, enseignant depuis plus de trente ans, que Clovis a toujours été enseigné (niveau 5ème). D’ailleurs, la plupart du temps, quand quelqu’un affirme dans la petite lucarne qu’on ne parle plus de… (là ajouter le fait ou le personnage historiques que vous souhaitez), c’est à 99 % toujours faux. Et énervant. Avant d’affirmer, il faut vérifier, c’est ce que j’apprends à mes élèves de collège et de lycée tous les jours. Retourner à l’école pourrait être une solution…
Masquer l’odeur
1099 – La croisade n’est pas une victoire française (page 8)
“La croisade est une immense victoire. Une victoire française. Le salut de l’Europe chrétienne est venu de France […] Godefroi de Bouillon était (pratiquement) français.” écrit Éric Zemmour dans Destin français, Quand l’histoire se venge, (page 68 et 71). “Deux grosses erreurs pour le prix d’une. D’abord, la première croisade dont parle ici Éric Zemmour – lancée en 1095 et qui s’achève en 1099 avec la prise de Jérusalem – n’a absolument pas « sauvé l’Europe Chrétienne ». Celle-ci n’était en effet pas menacée à l’époque. […] Deuxième erreur : affirmer que la croisade est une « victoire française ». Éric Zemmour confond, bien évidemment volontairement, le terme de « Francs » qui désigne souvent les croisés et celui de « Français »” (page 9). En gros, pour être gentil, Zemmour a chaussé ses grosses lunettes du XXIe siècle pour juger une période antérieure, accumulant les contre-sens. Erreur de débutant. Il aurait fait un parfait évangélisateur en Afrique avec ses ancêtres les Gaulois. “Zemmour propose donc une vision nationaliste de la première croisade, certes parfaitement classique chez les auteurs de droite et d’extrême droite, mais scientifiquement totalement fausse”. (page 9) L’histoire repasse les plats disent certains, Zemmour les ressert en croyant les rafraîchir en rajoutant un peu de poivre, de sel, d’épices pour masquer l’odeur rance au mieux, le plus souvent fétide, au pire puante.
La calculette de la mort
1942 – Vichy n’a pas protégé les Juifs français (page 40)
“Vichy a protégé les Juifs français et donné les Juifs étrangers” a dit Éric Zemmour sur Europe 1 le 26 septembre 2021. “Un simple regard sur la chronologie et les chiffres de la déportation raciale suffit pourtant à démontrer l’inanité de la thèse du « moindre mal » : – quand Vichy met toute la puissance de l’État dans la politique d’arrestation des Juifs étrangers et de leurs enfants (la plupart français, car nés en France !), un maximum de victimes sont livrées aux nazis. Du 17 juillet au 11 novembre 1942 […] trente-six mille Juifs sont déportés, trente-six mille en moins de quatre mois ! – quand au contraire, après novembre 1942, la France est entièrement occupée […] il faut au moins vingt mois aux autorités allemandes pour obtenir la déportation de trente-deux mille Juifs.” (pages 40-41). Zemmour ressert là encore le vieux plat du glaive et du bouclier qui était déjà le socle de la défense de Pétain à son procès. Mais ça ne tenait déjà pas à l’époque et ça ne tient pas non plus aujourd’hui et ce révisionnisme latent est détruit par la calculette de la mort : “De fait, sur les 74 150 Juifs déportés vers les camps et centres de mise à mort, 24 000, dont plus de 7 000 enfants, avaient la nationalité française” (page 42). Parmi eux figuraient la famille Sabah, des Juifs vendéens, d’origine turque, immigrés en 1922, dont les enfants, nés en France, ont été déportés et gazés à Auschwitz. Et si certains, comme David Fuchs, un des enfants cachés de Chavagne-en-Paillers, ont été sauvés, c’est grâce à la population, le maire, pétainiste pourtant, le curé, la comtesse et tout le village qui ont su se taire et ne pas obéir. “Si les trois quarts des Juifs ont survécu en France, ils le doivent d’abord à l’aide de la population et au manque de zèle des agents ordinaires de l’État chargés de les arrêter” (page 41).
On peut lire aussi sur ce thème qui a fleuri pendant la présidentielle les livres, entre autres, de Laurent Joly : La falsification de l’Histoire, Éric Zemmour, l’extrême droite, Vichy et les juifs (Grasset), L’État contre les Juifs, Vichy, les nazis et la persécution antisémite (Flammarion) et de Gérard Noiriel : Le venin dans la plume, Édouard Drumont, Éric Zemmour, et la part sombre de la République (La Découverte). Ils feront sans doute l’objet d’une prochaine chronique.
Il, me semble-t-il, n’en faut pas plus. Le calice est plein. Zemmour n’en a cure, il accumule erreurs, bêtises et déformations et quand on lui met le nez dedans, il sort sa formule magique : c’est votre interprétation, j’ai la mienne. Un argument qui a déjà fait führer mais je ne voudrais pas à ce looser polémiste apporter le point Godwin pour se dédouaner de “ses plus dangereuses erreurs historiques”.
François Braud