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L’école libertaire Bonaventure

L’école libertaire Bonaventure (1993-2001) est une expérience pédagogique, éducative, sociale… étonnante à plus d’un titre. De par sa durée, car huit ans, pour une expérience s’affirmant libertaire, laïque et GRATUITE, mine de rien… ce n’est pas rien. Et de par son insertion clairement affichée dans un processus GLOBAL de révolution sociale libertaire. À ma connaissance, en effet, depuis La Ruche (1904-1917) de Sébastien Faure, c’est la seule expérience éducative de cette envergure dont peut s’honorer le mouvement libertaire.

Dans l’après 68, et aujourd’hui encore (mais pour d’autres raisons), de nombreuses expériences d’écoles différentes, anti autoritaires, parallèles… ont vu le jour. Mais aucune ne s’est affirmée libertaire, laïque et gratuite et encore moins partie prenante d’un processus de révolution sociale. Alors, pourquoi Bonaventure a-t-elle fait ce choix ? Peut-être parce que Bonaventure était plus qu’une école et se voulait également un centre éducatif et surtout une république éducative ? Peut-être parce que, par-delà les techniques pédagogiques utilisées dans le cadre d’une construction des savoirs basée sur l’apprendre à apprendre, elle ne restait pas enfermée dans le champ clos de l’école et s’aventurait dans l’espace infini d’une éducation par nature SOCIALE ? Peut-être parce que, ce faisant, son âme de République la vaccinant contre toute dimension MOI-JE ou uniquement technicienne des choses, elle s’inscrivait en toute logique dans un processus social et politique tombé en désuétude depuis longtemps à savoir la construction d’une école du PEUPLE via un service public SOCIAL d’éducation et non un service public étatique ?

Pour toutes ou parties de ces raisons, Bonaventure, qui aurait dû être source de réflexions, d’analyses et de débats, a été très largement ignorée ou plus exactement redoutée. Les pédagos se méfiant de l’éducatif, les éducateur·trices d’une connotation politique, les politiques d’une connotation par trop sociale, et les révolutionnaires d’une connotation par trop… révolutionnaire !

Un livre 1 vient de paraître qui relate par le menu l’histoire de cette belle aventure que fut Bonaventure et je n’ai ni le désir ni la prétention de vous le résumer dans ce petit article. Mon ambition s’arrête à énoncer quelques-uns des essentiels de cette expérience à nulle autre pareille

Libertaire, différente, anti-autoritaire, parallèle…

Les écoles parallèles, différentes, anti-autoritaires…, et Bonaventure, ont un certain nombre de points communs. L’un d’eux est le refus d’une conception de l’école empêchant l’épanouissement de l’enfant via un formatage autoritaire réducteur. Toutes s’attachent donc à promouvoir des pédagogies anti-autoritaires, libertaires, actives… permettant à l’enfant d’être le sujet de son éducation et non l’objet d’une éducation lui étant imposée.

Pour autant, cette communauté de vue à propos de l’éducation et de l’école peut s’interpréter de manières “différentes”.

La plupart des écoles parallèles, différentes, anti-autoritaires… sont de type “Rousseauiste” et, estimant que l’enfant est “bon par nature”, prônent un laisser faire basé sur “le plaisir immédiat” dû à “l’enfant-roi”. À Bonaventure, une république éducative, il n’y avait pas de roi. Juste des citoyens et citoyennes, avec des droits, certes, mais également des devoirs. D’où la recherche permanente d’un consensus entre moi-je et moi-nous, et, parfois, l’acceptation du “plaisir différé” car socialisé. Dans le même ordre d’idée, à Bonaventure, l’acquisition de savoirs élémentaires (lire, écrire, compter…), bien que se déroulant sur le mode de “l’apprendre à apprendre” et non de l’apprendre pour apprendre, n’était pas négociable. Tout simplement parce que si l’analphabétisme, même heureux, pouvait être un facteur de progrès social…, ça se saurait depuis longtemps !

De même, alors que bon nombre d’écoles parallèles, différentes, anti-autoritaires… sont auto-centrées sur elles-mêmes (chacune se préoccupant uniquement de SES enfants), ne voient aucun inconvénient à être payantes, Bonaventure était GRATUITE, pratiquait l’ÉGALITÉ des salaires, reposait sur un financement SOCIAL et n’avait de cesse de tisser des liens avec un maximum d’alternatives sociales (associatives, syndicales, politiques…).

Pour tout cela, le choix de l’étiquette libertaire – étiquette plutôt large et ouverte – allait, simplement, de soi.

École, centre éducatif, République éducative

Comme son nom l’indique, l’école libertaire Bonaventure était une école. C’est du moins ainsi qu’on appelle un lieu où on apprend à lire, écrire, compter. Une école primaire, pour être précis. Certes, c’était une école un peu particulière puisque les apprentissages qui s’y déroulaient reposaient sur l’apprendre à apprendre via une pédagogie anti-autoritaire et non sur l’apprendre pour apprendre à la mode je ne veux voir qu’une seule tête. Mais Bonaventure se voulait être beaucoup plus qu’une école. Une école, en effet, fusse-t-elle libertaire, c’est toujours un lieu clos. Or, la construction de savoirs n’ayant de sens qu’en immersion dans l’espace global de la vie, la nécessité de sortir de l’école pour ce faire relevait de l’évidence et, donc, de l’éducation au sens large et social du terme. D’où le fait qu’à Bonaventure, un·e instit et un·e éduc opéraient en binôme et que l’emploi du temps de l’après-midi se déroulait souvent en dehors de l’école. Bref, si elle était une école, Bonaventure était également un centre éducatif. Et même, encore autre chose.

Bonaventure, en effet, estimant que l’apprentissage de la liberté, de l’égalité, de l’entraide, de l’épanouissement de chacun·e et de tou·tes n’avait de sens qu’en vivant la liberté, l’égalité, l’entraide et l’épanouissement de chacun·e et de tou·tes, l’école, le centre éducatif, ne pouvaient s’épanouir que dans le cadre d’une République éducative autogérée par tous ses acteur·rices et membres. Les grand·es comme les petit·es. Tou·tes citoyen·nes avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. Tou·tes, bien que différent·es, égaux/égales dans le respect des lois de la République, lois élaborées démocratiquement par tou·tes. Et qui dit République éducative libertaire dit obligatoirement République laïque, GRATUITE, pratiquant l’égalité des salaires, dotée d’un financement social, actrice solidaire de tout mouvement social progressiste…

Service public social d’éducation

Bonaventure ayant vu son projet refusé par l’Éducation nationale n’a eu d’autre choix que d’évoluer dans le privé. Mais, sans pour autant en adopter les valeurs individualistes et mercantiles. Sa laïcité comme sa gratuité en témoignent. De même que son engagement comme membre à part entière du mouvement Freinet dont tout le monde pense qu’il se limite à la seule Éducation nationale.

Contrairement à la plupart des écoles parallèles, différentes, anti-autoritaires… et bien sûr confessionnelles, Bonaventure s’est toujours fait l’avocat d’un service public d’éducation, laïque et gratuit pour tous et toutes. Mais, plutôt d’un service public SOCIAL que d’un service public ÉTATIQUE.

Libertaire, Bonaventure s’est toujours méfié de l’État, comme classe en SOI et comme bras armé de TOUS les pouvoirs et s’est toujours réclamé des autogestions à la base et de leur fédération. Comme le mouvement ouvrier à ses débuts qui s’est construit sur ces bases au plan syndical, ou via ses coopératives ouvrières de production, de consommation, ses bibliothèques, ses maisons du peuple, ses clubs sportifs, culturels…

Pour autant, les choses étant ce qu’elles sont et la notion de service public étant aujourd’hui accolée au seul service public étatique, Bonaventure s’y est rallié sans pour autant renoncer à son rêve de service public SOCIAL d’éducation et de révolution sociale libertaire seule à même de construire une véritable école du PEUPLE.

En guise… d’introduction !

Par-delà les mots, les analyses, les concepts survolés dans le présent article, Bonaventure c’était aussi (et surtout) des enfants (une cinquantaine en huit ans), des instits (trois3), des éducs (six), des parents, des congrès, des relations avec d’autres alternatives sociales en actes, locales et même internationales (Sénégal), de la vie quoi, tout simplement. Tout cela est largement évoqué dans un livre qui vient de paraître. Alors, si vous voulez en savoir plus, vous savez ce qu’il vous reste à faire.

Jean-Marc Raynaud

  1. L’école libertaire Bonaventure. 1993-2001. Histoire d’une république éducative libertaire laïque et… gratuite, éditions libertaires, 356 pages. 20 €. En vente à la librairie Publico, 145 rue Amelot, 75011, Paris. Chèque à l’ordre de Publico. Rajoutez 10 % minimum pour participation au port ou à commander à l’EDMP (8 impasse Crozatier, Paris 12, edmp@numericable.fr). ↩︎