À la sauce Pétain

“Faire sauter le verrou entre de Gaulle et Pétain” (p. 13, Le Fantôme de Philippe Pétain, une enquête )

Zemmour cite souvent de Gaulle comme le grand homme mais y ajoute presqu’aussitôt Pétain comme l’envers de la médaille, mais, contrairement à l’expression où le revers paraît pâle, il crache, astique et le fait reluire tout autant, presque plus. C’est la théorie de l’épée (de Gaulle) et du bouclier (Pétain) 1, deux faces d’une même pièce qui a sauvé la France, Charles de l’extérieur et Philippe de l’intérieur.

Or, cela ne s’est pas tout à fait passé comme ça.

Même de Gaulle pense que ceux 2 qui croient en cela sont victimes “de crise d’illuminisme” : “Il me paraît presque incroyable de mettre sur le même plan ce que nous avons fait, c’est-à-dire au total la guerre, et ce que Vichy a fait, c’est-à-dire au total la capitulation” (p. 49, Le venin dans la plume).

Trois livres pour en parler

  • Le venin dans la plume (Édouard Drumont, Éric Zemmour, et la part sombre de la République) de Gérard Noiriel (La Découverte).
  • La falsification de l’Histoire (Éric Zemmour, l’extrême droite, Vichy et les juifs) de Laurent Joly (Grasset).
  • Le Fantôme de Philippe Pétain, une enquête de Philippe Collin (Flammarion) menée à l’aide de douze historien·nes (dont Laurent Joly, 1) “que les convictions opposent parfois mais que l’honnêteté intellectuelle réunit” (p. 13, Le Fantôme de Philippe Pétain).

Deux livres d’universitaires et un d’un journaliste écrivain diplômé d’histoire qui avoue : “[…] prendre la parole aujourd’hui, dans ce contexte si particulier où les derniers témoins disparaissent alors que certains courants de pensée tentent de réécrire l’histoire de la France sous l’occupation, n’est pas simple” (p. 12, Le Fantôme de Philippe Pétain).

Toujours la même histoire

Cette histoire qui se déroule sous nos yeux et dont Zemmour aimerait en écrire une page, on l’a déjà lue en fait. Gérard Noiriel puise dans la dimension comparatiste et met en parallèle deux destins, celui de Drumont à la fin du XIXe siècle et celui de Zemmour.

Les deux, de basse origine populaire, n’ont eu de cesse que de démontrer qu’ils pouvaient être de l’élite, la vengeance sociale en bouche, les deux ont usé du contexte décadent délicat de leur époque pour acquérir une notoriété de polémiste, de pamphlétaire, et pour pondre leur discours et en faire un combat idéologique, les deux ont dérapé 3 et fait du dérapage une conduite assumée, déblatérant sur le parlementarisme en appelant à l’homme illustre.

La différence, l’un fait sa soupe avec le Juif, l’autre avec le Musulman. Chacun ayant réussi à imposer dans le langage son combat en leur accolant le substantif inattaquable de “problème” 4. Quand il y a un problème, il faut trouver une solution. Ils l’ont.

 C’est donc une étude passionnante qui peut faire froid dans le dos quand on comprend que les mécanismes sont usés jusqu’à la corde mais qu’avec cette dernière on peut encore se pendre… 

Il n’y a guère, dans ce livre, qu’une seule fois que Noiriel a manqué de vision, c’est quand il affirme (p. 71, Le venin dans la plume) : “Toutefois, Zemmour laisse courir le bruit, dans les médias, qu’il pourrait présenter sa candidature à l’élection présidentielle de 2022. Hypothèse hautement improbable”. On lui pardonnera tant cette possibilité était, à l’époque où il écrit, inimaginable. On ne devrait pas être confiant en l’avenir. Tout peut arriver.

Ne pas lui laisser le mot de la fin

Ses leçons d’histoire, on s’en affranchira facilement, comme le livre, évoqué dans L’Émancipation du mois de mai (Zemmour contre l’histoire) l’a brillement démontré, d’autant plus que l’historien qu’il croit être 5 se soustrait très facilement à toute déontologie : “Dans les livres qu’il a publiés, depuis 2002 sur l’« histoire de France », il n’y a pas d’index, pas de bibliographie, pratiquement pas de notes de bas de page, ni même de référence précises” (p. 161, Le venin dans la plume). Quand il les cite, elles sont confondantes. Robert Paxton et son Histoire de l’épuration légitime l’idée reçue d’une épuration sanglante, arbitraire et mesquine. Des “40 000 exécutions sommaires de « collabos »”, Laurent Joly dit qu’“il est désormais établi que le nombre n’a pas dépassé 10 000”, (p. 58, Le venin dans la plume) Le polémiste cite aussi un rabbin vivant en Israël, Alain Michel, auteur de Vichy et la Shoah, qui affirme que “Vichy a sauvé les Juifs français”. Laurent Joly rappelle que “Cet enrobage scientifique de la défense de Laval a suscité la consternation chez les spécialistes” (p. 91, La falsification de l’Histoire). Et les rares fois où il se passe de références douteuses, qu’il va “aux sources” pour affronter les historien·nes “aux ordres”, il cite Paul Baudouin, ministre des Affaires étrangères, qui, le10 septembre 1940, dans ses carnets, fait état “d’une forte pression allemande”, voulant prouver sans doute que la responsabilité doit être reportée sur l’occupant et pas sur Vichy. Pourtant, le statut d’octobre 1940 “relève bel et bien d’un choix politique, répondant à la fois à une dynamique antisémite propre et à la volonté de certains ministres de s’aligner sur le vainqueur” (p. 93, La falsification de l’Histoire).

Pour ne pas lui donner, à Zemmour : “Je pense que finalement j’ai le mot de la fin” (p. 130, La falsification de l’Histoire), Laurent Joly clôt son livre sur cette citation qui devrait, selon lui, “mettre en alerte tout esprit raisonnable”.

“Le pétainisme est d’abord un moment de notre histoire Fabrice Bouthillon

Éric Zemmour semble passionné par la figure du maréchal Pétain (et de Gaulle) auxquelles il consacre une cinquantaine de pages dans Mélancolie française et une quarantaine dans le Destin français.

C’est pour cela que le travail entrepris par Phlippe Collin et de nombreux historien·nes, Le Fantôme de Philippe Pétain, est salvateur : il va au-delà des conventions, du mythe et des raccourcis.

Né le 24 avril 1856, à Cauchy-à-la-Tour, un petit village du Pas-de-Calais, Henri Phlippe Bénoni Omer Pétain, mort le 23 juillet 1951 sur l’ïle d’Yeu en Vendée, “est un homme du XIXe siècle et le restera jusqu’à sa mort” (p. 19, Le Fantôme de Philippe Pétain, Bénédicte Vergez-Chaignon). “Pétain est militaire jusqu’à la moëlle” (p. 37, Le Fantôme de Philippe Pétain, Éric Alary) “sa famille, c’est l’armée, la femme, une reproductrice. Le point d’orgue de sa carrière reste évidemment la guerre 14-18. Il en ressort nanti de l’image « d’un véritable chef »” (p. 59, Le Fantôme de Philippe Pétain, Nicolas Offenstadt). Image qu’il conserve encore bien après sa mort, aux yeux de Mitterrand qui faisait fleurir sa tombe et encore aujourd’hui à ceux de Macron qui le qualifia de “grand soldat” lors du centenaire… À chaque fois la polémique les rattrapa…

Entre les deux guerres il a une activité bien fournie : il est vice-président du Conseil supérieur de la guerre, il mène des opérations militaires dans le Rif au Maroc à partir de 1925 6, il se présente à l’académie française (et est élu en 1929 au fauteuil 18, à la mort du maréchal Foch avec qui il avait eu des “divergences”, il part en voyages aux États-Unis d’Amérique en 1931 faisant “un peu office de reine d’Angleterre”, il devient pour neuf mois ministre de la guerre et il perçoit alors la menace nazie sans arriver à en tirer des “conséquences politiques”, il réfléchit à un poste de ministre de la Guerre et de l’Éducation nationale tant les deux choses sont, pour lui, liées, il s’inquiète de l’arrivée au pouvoir du Front populaire et est nommé ambassadeur de France à Madrid au printemps 1939 : “il cède tout” pensant recueillir en échange la neutralité espagnole dans l’optique d’une guerre contre l’Allemagne. Il croira l’avoir obtenue grâce à ses talents diplomatiques alors que l’Espagne était “bien incapable de participer à une guerre” (p. 93, Le Fantôme de Philippe Pétain, B. V-C).

Paris, musée de l’Armée. 2019.0.469.

Le Pétain de 40, et sa “terrible déclaration faite à ce conseil des ministres du 13 juin 1940”, tient à trois éléments : “rester sur le sol métropolitain”, “la renaissance française sera le fruit de [la] souffrance” et “l’armistice et non une capitulation” (p. 126-127, Henri Rousso). “L’armistice s’avère désastreux” et “l’Allemagne impose à la France des conditions humiliantes” (p. 128-129, HR) et pourtant, “le camp de l’armistice va gagner sans réel combat” la direction de la France et le 10 juillet, à part 80 voix, toutes les présentes vont valider “cette sorte de coup d’État avec une apparence de légalité formelle”. On s’est résigné à faire confiance au sauveur de Verdun… qui devient (“et se plaît à s’entendre dire qu’il est désormais plus puissant que Louis XIV”. “chef du gouvernement, chef de l’État, détenteur des pouvoirs exécutif, législatif, financier, judicaire depuis les actes constitutionnels qu’il a promulgués le 11 juillet 1940”, (p. 144), Le Fantôme de Philippe Pétain, une enquête.

Son antisémitisme est “banal et fatal” (p.179, B. V-C), il s’aligne sur l’Allemagne nazie (1er statut des Juifs du 18 octobre 1940) mais la “devancera” en demandant l’extension des professions interdites aux Juifs (il écrira de sa main l’interdiction pour les Juifs d’être instituteurs, professeurs de lycées, d’université). Est aussi instaurée la notion de “race juive” (loi du 4 octobre 1940. Il met en place le Commissariat général aux questions juives en mars 1941 : “à partir de ce moment-là, il y a fusion entre les politique allemande et française, ce qui va aggraver le sort des Juifs” (p. 186, Laurent Joly). Les premières rafles 7 suivront… “La responsabilité de Vichy dans la déportation et l’assassinat est la responsabilité d’un complice” (p. 196-197, Annette Wieviorka).

En août 1941, Pétain dénonce “le vent mauvais” qui se lève sur la France ; “il a le sentiment que l’opinion est en train de décrocher” (p. 157, Denis Peschanski) alors il adopte le rôle du père de famille, il n’admoneste plus mais il décide tout seul, “il s’enlise dans une sorte de propagande”, “il joue la carte de l’ancêtre”, il oublie alors le terme de “Révolution nationale”, “il sent bien que cela ne prend plus” (p.167, E. A.). Le régime est sur la pente glissante et son “idéologie de circonstance” (p. 339, H.R.) délétère mais il ne va pas chuter seul…

Ce livre (richement illustré) d’entretiens est une ouverture au questionnement et de nombreux éléments de réponses y sont développés, de même que les rejets revigorants qui repoussent ces derniers temps. Alors, si l’histoire repasse les plats, on n’est pas obligé d’en reprendre.

François Braud

  1. voir Zemmour en fait toute son histoire, L’Émancipation, mai 2022 ou sur mon blog : https://broblogblack.wordpress.com/2022/06/08/qzb9-zemmour-en-fait-toute-son-histoire/
    ↩︎
  2. Il parle ici de “ce pauvre Rémy” dans une lettre à Louis de la Bardonnie le 4 mai 1950. ↩︎
  3. “Je ne dérape jamais, je dis ce que je pense.” (p. 127-128, La falsification de l’Histoire). ↩︎
  4. Même si [Zemmour] a été condamné à plusieurs reprises par la justice, les nombreux procès qui lui sont intentés sont autant d’occasions pour lui de diffuser son venin islamophobe dans tous les secteurs de la société, contribuant à ancrer dans l’opinion publique l’idée qu’il existe aujourd’hui un « problème musulman »” (p. 195, Le venin dans la plume ). Les guillemets autour de “problème musulman” justifient, je crois, ce que je viens d’écrire… ↩︎
  5. Le polémiste prétend incarner “l’histoire” contre “la propagande”, “le savoir” contre “l’ignorance”. (La falsification de l’Histoire, Éric Zemmour, l’extrême droite, Vichy et les juifs, page 16). ↩︎
  6. La falsification de l’Histoire, page 85 : “A posteriori, Charles de Gaulle dira que le maréchal est mort en 1925…” ↩︎
  7. La rafle du Vel d’hiv’, Paris, juillet 1942, Laurent Joly, Grasset, juin 2022, 385 pages, 24€. ↩︎