Écoles privées catholiques : Désormais, c’est open bar dans les départements !

Où nous verrons comment l’école catholique se sert du statut associatif et de la complaisance bienveillante des collectivités territoriales et de l’État pour se gaver toujours plus de subventions publiques. Elle fournit le mode d’emploi aux autres religions. Passées les bornes…

Lorsque les Conseils Départementaux 1 veulent encourager la participation citoyenne, ils ne font pas appel aux Gilets Jaunes. Ils organisent des pastiches de leurs propres instances (conseil départemental des jeunes), ou des concours de lobbying tels que les “Budgets Participatifs Citoyens”. Les associations du département sont alors invitées à formuler leurs demandes de subventions pour des projets précis. Ces projets sont publiés, puis chaque association invite ses membres à faire voter le plus de monde sur internet pour son projet : les voisinEs, les grands parents, les amiEs, etc. Ensuite un jury compte les voix obtenues avant que le CD ne vote les subventions ainsi réparties. Bel exemple de citoyenneté que la compétition de chacunE contre tous !

En 2022, l’attention de la Libre Pensée 2 du Lot-et-Garonne fut attirée parmi les résultats dudit « Budget Participatif Citoyen », par le grand vainqueur dans la catégorie phare “Projets label Lot-et-Garonne”, obtenant la plus importante subvention : 34 469 €. Car l’association qui porte ce projet est l’AGDDEC 47, c’est à dire “l’Association de Gestion de la Direction Diocésaine 3 de l’Enseignement Catholique” ! En épluchant la liste des lauréats, nous trouvons aussi un OGEC 4 Saint Christophe et un OGEC Saint Jean. Ce qui fait un total de 46 487 € d’argent public qui passe dans les caisses de l’enseignement privé catholique !

Nous avons écrit à Sophie Borderie, présidente socialiste du CD 47, pour lui faire part de notre indignation de voir une fois de plus les institutions républicaines (État, collectivités territoriales) financer le concurrent le plus puissant et le plus riche de l’école laïque républicaine 5. Nous faisons appel à son sens de la laïcité et lui demandons d’écarter de la prochaine édition du “Budget Participatif Citoyen” tous les projets portés par des associations religieuses assumées comme dans ce cas, mais éventuellement plus discrètes voire dissimulées 6.

Sur le plan juridique, nous nous sommes adresséEs au préfet pour le saisir de cette transgression de l’article 2 de la loi de 1905 “La République ne reconnaît ni ne salarie aucun culte”. Ce fut pour nous l’occasion d’explorer et de tester concrètement la loi d’août 2021, dite loi “séparatisme”, dont on nous a promis qu’elle permettrait de surveiller de près les associations à caractère religieux (ou pas) et de réprimer leurs projets de séparatisme (scolaire ?). On allait voir ce qu’on allait voir. L’évêque d’Agen expulsé manu militari vers le Vatican ?? On n’a rien vu ! Car, pour le CD 47 et le Préfet, il n’y a rien à voir.

Les deux nient tout problème de laïcité, avec les mêmes arguments :

  • – ce sont des associations loi de 1901 7. Le préfet ajoute qu’elles ont bien signé le contrat d’engagement républicain prévu par la loi de 2021 pour percevoir des subventions publiques. Pour près de 50 000 €, des signatures qui visiblement ne les engage pas à en finir avec le séparatisme scolaire !
  • – les projets retenus ne relèvent pas de pratiques cultuelles. On peut donc subventionner sans limite les religions tant que ce n’est pas directement pour l’exercice du culte, dans le sens des pratiques religieuses. On s’éloigne à grand pas de la loi de 1905 avec un changement dans la définition des mots culte et cultuel.

Ce point mérite un peu d’explication, car sur les sujets de laïcité et de religion, les détournements de mots ne sont pas rares. Dans l’article 2 cité plus haut, le mot culte est synonyme de confession, de religion : les cultes musulmans, protestants, juifs, catholiques, bouddhistes, etc. Pour le préfet, le mot culte est pris dans le sens restreint des rituels, des pratiques par lesquels les religions rendent hommage à des êtres jugés divins. Le culte protestant, par exemple, est l’équivalent de la messe chez les catholiques ou de la prière collective pour les musulmans. Si les religions se contentaient d’organiser des rituels et des pratiques, sans s’occuper d’œuvres caritatives, d’alimentation, d’habillement, d’écoles, de santé ni de politique, ce serait effectivement beaucoup plus simple 8.

Pour en revenir à l’école privée catholique, le “Statut de l’enseignement catholique en France” 9 clarifie les choses : “En affirmant, comme elle l’a toujours fait, son droit de fonder des écoles, l’Église aide les parents à assumer leur droit naturel d’éduquer leurs enfants. Elle fait en sorte qu’ils puissent se sentir accueillis dans des lieux où l’Évangile est à la fois vécu et proposé” 10. Pas seulement, donc, au moment de la messe ou du catéchisme. CQFD.

Nous aurions souhaité faire vérifier l’illégalité de tout ceci par le Tribunal Administratif, voire par le Conseil d’État. Mais la loi d’août 2021 fait obstacle : désormais les citoyenNEs ou les associations qui veulent saisir le TA sur une question de laïcité doivent adresser au préfet un “déféré laïcité”. C’est ce que nous avons fait. Le Préfet filtre : il choisit de saisir le TA ou même la justice 11. Ou bien il vous fait une réponse polie comme celle qu’on a eue : “[…] la délibération portant attribution des subventions n’a pas fait l’objet d’une suite contentieuse au titre du contrôle de légalité”. Circulez, il n’y a rien à voir, on vous dit !

Quelques échanges avec des associations laïques au niveau national nous ont confirmé le caractère massif de cette nouvelle fraude à la loi de 1905 : les budgets participatifs servent partout à arroser des associations liées de manière ouverte ou plus discrète à des religions (pas seulement les catholiques).

La loi d’août 2021 aurait pu conforter utilement celle de 1905, en clarifiant le statut des associations : la loi de 1901 pour les associations laïques, le statut de 1905 (séparation des églises et de l’État) pour celles à caractère cultuel, religieux, aux activités prosélytes. Il n’en est rien. 

La loi d’août 2021 montre son visage et son vrai rôle avec sa mise en pratique. Elle renforce les liens, surtout financiers, entre l’État et les organisations religieuses. Elle donne pour cela le pouvoir au préfet d’entraver les actions militantes laïques, au détriment des institutions communes. Plus que jamais, la vigilance et la mobilisation des militantEs laïques au quotidien et sur le terrain sont indispensables à l’Émancipation sociale !

Jean-Denis Peypelut, secrétaire de la Libre Pensée 47

  1. CD dans la suite du texte. CD 47 : Conseil départemental du Lot-et-Garonne. ↩︎
  2. Cercle Théophile de Viau, fédéré nationalement à ADLPF, association des Libres Penseurs de France. ↩︎
  3. Diocésaine, c’est l’équivalent de “départementale” en langage vaticanesque. Mais si le département est administré par le préfet et le CD, le diocèse est sous les ordres de l’évêque. Nuance… ↩︎
  4. Organisme de Gestion d’un Établissement Catholique. Il s’agit ici de deux collèges privés. ↩︎
  5. Un peu comme si on obligeait EDF à creuser son déficit en vendant l’électricité à perte à ses concurrents. Hors sujet, dites-vous ? ↩︎
  6. Nous avons déniché, lors du précédent “budget participatif” une subvention attribuée au “bus-restaurant itinérant du Hang-Art”, porté par une association relevant du courant “évangélique”. ↩︎
  7. Pour des raisons historiques : dès 1906, le pape de l’époque a interdit aux catholiques de créer les associations cultuelles (loi de 1905) afin d’entraver et de détourner la loi. Bien vu, ça fonctionne encore ! ↩︎
  8. Elles ont le droit à ces interactions sociales. Le militantisme laïque respecte ce droit mais veille à ce que dans aucun de ces domaines l’État au sens large, incluant les trois Fonctions publiques et les collectivités territoriales, ne soit pour elles ni un interlocuteur, ni un partenaire, ni un financeur. Et qu’elles ne sortent pas du cadre légal. ↩︎
  9. Document PDF de 2013, toujours en vigueur, facile à trouver sur l’internet. ↩︎
  10. Statut de l’enseignement catholique en France, page 11, section 1 art 9. ↩︎
  11. Ou exige directement la restitution des subventions comme l’a fait le préfet de Poitiers à l’encontre d’Alternatiba pour un stage de “formation à la désobéissance civile”.Désobéissance religieuse” serait peut-être mieux passé ?? ↩︎