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Une histoire de faussaires : “Le Puy du Faux”

Le Puy du Fou est une des images glamour de la Vendée comme celle du Vendée Globe challenge. Elles permettent à ce département, dont Clémenceau disait que c’était une région à lui seul, de gommer un peu son image rurale et de nuancer la balnéaire.

Vendéen de naissance (La Roche-sur-Yon), je n’ai jamais mis les pieds au Puy du Fou 1. En revanche, Florian Besson, Pauline Ducret, Guillaume Lancereau et Mathilde Larrère, historiennes et historiens, et si d’autres ont déjà franchi le pas (Claude Langlois et Jean-Clément Martin y avait dénoncé “la réécriture contre-révolutionnaire” du parc, Michel Vovelle “une vision passéiste du monde et une mémoire qui est loin d’être innocente […]”), le parc est devenu depuis “une imposante entreprise culturelle grignotant consciencieusement les terres agricoles environnantes”. Il fallait donc actualiser le regard d’autant plus qu’en 2016, “un conflit plus aigu opposa le Puy à deux historiens”.

La bague à Jeanne d’Arc

Philippe de Villiers parvint à acheter une bague qui aurait appartenu à Jeanne d’Arc”. Des historiens, dont William Blanc et Christophe Naudin, exprimèrent leur réserve et “furent poursuivis en justice par Villiers”. Ils furent relaxés mais le problème n’est pas là. En juin 2020, le parc obtient “en pleine crise sanitaire” – décision présidentielle, excusez du peu – une autorisation dérogatoire et anticipée de réouverture ! Comme s’il importait peu ce qu’on y montrait, du moment que ça rapportait. La bague de Jeanne d’Arc serait donc la bague à Jeanne d’Arc et puis c’est tout.

Pourtant, même certain·es visiteur·euses, exprimaient leur gêne, sur TripAdvisor, de la propagande malsaine, “l’apologie d’une Vendée mythifiée, d’un catholicisme salvateur, des inexactitudes, des erreurs historiques, bondieuseries grotesques”. D’autres, au contraire, s’en félicitent : “La France était un pays catholique”, le parc est “vecteur de valeurs comme la bravoure, la résistance, le courage le sacré, la fierté nationale”.

Le parc s’est toujours justifié de ne pas “faire un travail d’historien”. Pourtant, Philippe de Villiers 2 se vante bien de “mener un combat culturel” et affirme que le parc est né “d’une dette morale envers le génocide vendéen”, “de deux urgences intimes : une reconnaissance de dette et une réparation de l’injustice commise en Vendée”. Et il méprise l’Université et l’Histoire “livrée aux sciences sociales jargonnantes et mortifères”, les historiens et historiennes, “des médecins légistes” commettant un “mémoricide”.

Et ce “combat”, il faut dire que de nombreux autres le mènent aussi : Le Point, Valeurs actuelles, Historia, CNews, Lorànt Deutsch et son Métronome, Bern et Secrets d’histoire. Aucun ne s’embarrasse “des exigences méthodologiques de la science historique mais, ce qui est plus problématique, […] placent souvent la mise du passé au service de combats culturels du présent”.

Il était donc évident que le parc vendéen méritait qu’on s’y attarde et c’est ce qu’ont fait ces quatre historien·nes. Le compte-rendu de leur visite et de leur travail s’appelle Le Puy du Faux (Les Arènes).

Un rêve ou un cauchemar ?

En sept chapitres, les auteur·es en font le tour pour publier une Enquête sur un parc qui déforme l’histoire.

Et c’est consternant.

Le Parc des enracinements

Ce qu’il faut bâtir ici, au Puy du Faux, c’est le roman national et contrairement à ce que l’on pense, le problème n’est pas où certain·nes le croient : “Pour les historiens et les historiennes le plus problématique, dans le roman national, ce n’est pas qu’il soit national : c’est qu’il s’agisse d’un roman”. Et les exemples sont légion, du “génocide franco-français” popularisé par Reynald Secher avec La Vendée-vengé (et défendu par Onfray 3) à “la pureté originelle qui en réalité n’a jamais existé” et ils servent de moule pour passer du local au national, du cliché à l’Histoire, comme un retour à l’Histoire scolaire du XIXème siècle. Ce qui expliquerait aussi, si on met de côté le professionnalisme technique et technologique, le succès du parc : les spectacles y “sont des images déjà vues des dizaines de fois dans des manuels scolaires plus ou moins anciens, dans des tableaux, dans des films”.

 L’illusion du vrai

Le spectacle qui va vous être présenté s’inspire d’une histoire largement authentique.” On a le dos large au Puy du Faux. Ainsi les moines du temps de Clovis copient les manuscrits en écrivant à l’aide de “minuscules carolines, un type d’écriture, inventé trois siècles après”, les chevaliers écrivent en cotte de mailles “l’histoire extraordinaire de l’anneau de Jeanne d’Arc” (“un texte qui n’a jamais existé”), les prisonniers chrétiens qui se battent comme des gladiateurs (non, ça c’est un “métier”), César est empereur (il ne l’a jamais été)… Le vraisemblable est ici l’ennemi du vrai et c’est ce qui rend “ce discours cohérent, d’autant plus percutant qu’il repose sur des mises en scène grandioses”.

Un passé dépassé

Les histoires suivent invariablement la méthode apprise au collège : “situation initiale, élément perturbateur, péripéties, dénouement, situation finale”. Pourquoi pas ? Le problème, c’est que ce schéma devient, là encore, un moule fabricant les mêmes inepties : la situation initiale est toujours idyllique dans la communauté “très-paysanne-et-très-chrétienne”, l’élément perturbateur est un méchant venu de l’extérieur, les péripéties des combats gagnés grâce à “une intervention de l’autorité, […] royale, ecclésiastique ou divine” et la situation finale un retour à la source, à la “best life”. Les moyens scéniques sont énormes mais “au service d’une histoire qui n’enseigne rien et passe systématiquement à côté de tout”. Un “gâchis monumental” !

Princesses et chevaliers : le genre du parc

Il est inutile de penser que la représentation des femmes, vu ce que l’on a lu, va être, ne serait-ce que “correcte”. Elle est figée quelle que soit l’époque, quelle que soit sa condition sociale. Elles sont enfermées dans un rôle traditionnel (l’épouse “[im]patiente du retour du guerrier” par exemple) et dans une place immuable de l’Antiquité à aujourd’hui. Et, quand, dans un souci de parité, hommes et femmes travaillent main dans la main aux travaux agricoles, c’est surprenant, car là, on sait combien était genré ce travail. L’invisibilité des femmes est tout de même bien visible au Puy du Faux. Ainsi, “tous les auteurs sont cités au fil des spectacles ou des animations, aucune autrice ne l’est” et les boutiques du parc vendent des albums de princesses à colorier aux petites filles et des épées en bois aux petits garçons, les restaurants proposent des plats de viandards (Plat d’Aldéric) aux noms d’hommes et des salades (Salade de la reine Mathilde) aux noms de femmes…

Peuple et élites

Le Puy du Faux “est logiquement amené à délivrer un discours qui valorise l’immobilité sociale” et encense le c’était mieux avant. Ainsi, “le temps des rois apparaît comme une période magnifique, glorieuse […] avant, bien sûr, que la modernité ne vienne briser cette France littéraire et artistique qui faisait l’admiration du monde”. Les élites sont triées : les bonnes, artistiques, royales et religieuses, les mauvaises, philosophes (ombre des Lumières), municipales et républicaines et “aucun nom d’artiste n’est cité après le XVIIIème siècle” ! Les élites scientifiques sont évidemment brocardées comme Philippe de Villiers récuse les historiens et historiennes de tuer le roman national. Le peuple lui est bon : “des braves villageois qui ne pensent qu’à danser”, “les élites de courageux aristocrates qui incarnent les valeurs les plus traditionnelles”. On entendrait presque les murmures not’ bon maître…

Le Local, dernier bastion contre le monde extérieur

Le panache et la petite lumière. Le premier ne peut venir que des héros, comme Charette, incarnation de la vertu morale et la seconde ne doit pas s’éteindre, “c’est Dieu et le local qui résistent malgré l’obscurité environnante”. Toute histoire du parc est ancrée dans un territoire du cru comme si le Puy du Fou était au cœur de l’histoire de France. “La Vendée est une belle miniature française” assure Philippe de Villiers au Point, sans cesse menacée par un ennemi extérieur (l’élément perturbateur du passé.) : la perfide Albion, les Vikings, les Bohémiens, les Allemands, les révolutionnaires parisiens, le gouverneur romain, l’administration républicaine. Et le Puy du Fou reste une terre d’accueil pour tous les réprouvés, les damnés de la terre, les forçats de la faim, ha non pardon, on me dit dans l’oreillette que ce sont François Ier, Jeanne d’Arc, Richelieu, La Fontaine (avec la voix de Depardieu). J’exagère, il y a aussi la petite “Victoire”, une Ardennaise qui arrive du fait de l’exode de 1940 et devient la “petite fille vendéenne”. À ce point-là, l’histoire du Puy du Fou, c’est un condensé, voire un résumé de l’histoire de la Nation. On a, peut-être, cloné l’histoire de France à partir du Puy du Fou… du moins jusqu’à la révolution parce qu’après, tout fout le camp.

Dieu et la nation

Au Puy du Faux, nous vivons dans un monde dichotomique, “un monde en noir et blanc” “dans lequel la religion est à la fois le support principal des identités et la pierre de touche absolue pour distinguer le bien du mal, le neuf de l’ancien, le vrai du faux”. C’est la force du “génie français”. “Nourri à une historiographie catholique assez datée”, Philippe de Villiers a-t-il conscience “de la charge islamophobe et colonialiste que cristallise ce terme” ? On peut se poser la question. On peut en tirer une réponse à la lecture de ce livre. Mais de Villiers n’en a cure : “l’idée d’une France éternelle”, “soudée autour d’une famille royale toujours unie et d’une foi chrétienne toujours unique”, saura “traverser le temps”.

Tout est dit. Ce discours qui transparaît dans chaque tableau proposé à l’œil du public “ne doit rien à l’Histoire” mais “tout à la propagande” avec comme outils des erreurs, des inventions, des subterfuges, des clichés et avec un souci pédagogique (“il accueille de nombreux groupes scolaires”), un discours politique “orienté” qui “verse souvent” “dans la pure propagande”. Le parc vendéen n’est pas un parc zemmourien mais des éléments se retrouvent dans les deux discours, par exemple sur Clovis 4. Certes tout travail historique (y compris celui du livre) est engagé mais s’engage aussi à respecter des règles méthodiques. Et, pour montrer que l’Histoire peut rimer avec un parc de loisirs, les auteur·es ont proposé, en fin d’ouvrage (épilogue), des scenarii pour un autre Puy du Fou, un Puy du Vrai. Et c’est bluffant. On s’éloignerait “des souvenirs humides […] qui fleurent l’eau croupie au fond d’un puits abandonné” pour privilégier “le goût rafraîchissant des sources et l’air pur de la curiosité ouverte sur l’inconnu”.

François Braud

Je demande pardon à Brassens pour avoir emprunté son titre…

  • Le puy du Faux – Enquête sur un parc qui déforme l’histoire, Florian Besson, Pauline Ducret, Guillaume Lancereau, Mathilde Larrère, Les Arènes Eds, 2022, 192 p., 18€
  1. J’avais, comme qui dirait, une légère appréhension de ce que M. de Villiers pouvait vouloir me/nous raconter, il faut dire qu’il nous en racontait tant d’autres au Conseil Général que cela me/nous (?) suffisait et j’avais aussi quelques a priori, confortés par ces quelques articles que citent les auteurs de ce livre… ↩︎
  2. Un rêve d’enfant, Philippe de Villiers, en vente dans le parc. ↩︎
  3. Mais jusqu’où ira-t-il ? ↩︎
  4. Le Destin français, Éric Zemmour. ↩︎