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Élections israéliennes : Extrême droite contre extrême droite, comment choisir ?

Cet article a été envoyé au mensuel CQFD avant les élections israéliennes. Les résultats ne font que confirmer l’analyse qui suit.

Les principaux dirigeants de l’extrême droite israélienne vont s’affronter dans deux coalitions différentes. Quoi qu’il arrive, l’extrême droite restera au pouvoir, et pour longtemps.

Dans les années 1980, il y avait en Israël un parti ouvertement raciste lançant régulièrement des appels au meurtre. C’était le Kach du Rabbin Meïr Kahane. Le parti avait été interdit pour terrorisme.

Aujourd’hui les héritiers du Kach, les députés Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir, alliés à Nétanyahou, ont le vent en poupe. Ben Gvir, qui avait appelé ouvertement à l’assassinat du Premier ministre Yitzhak Rabin en 1995, vient de se faire photographier, un pistolet à la main, dans le quartier palestinien de Sheikh Jarrah à Jérusalem.

Un sondage révélateur

Interrogé·es par un sondage de Panels Politics, 64 % des Juif/ves israélien·nes se sont déclaré·es favorables à ce que prône Ben Gvir : l’expulsion de tous les Palestinien·nes et des Juif/ves “déloyaux” ! Dans le même sondage, il ne reste plus que 11 % des sondé·es qui se déclarent “de gauche”. Quelle gauche, peut-on se demander ? La présidente du parti travailliste, Merav Michaeli, réputée “féministe” et “moderne”, a expliqué lors du dernier massacre (dit “préventif”) à Gaza (49 mort·es dont une grande majorité de civil·es en août 2022) que, où qu’ils soient, les membres du Jihad Islamique devaient être “anéantis” (tweet cité par Mondoweiss).

Une dérive inéluctable

Israël s’est construit comme une société séparant les Juif/ves du reste du monde avec un gigantesque mensonge : “après 2000 ans d’exil, les Juifs rentrent chez eux”. La conquête coloniale impulsée par l’idéologie sioniste a eu d’entrée le projet d’expulser le peuple autochtone et de le remplacer. Le nettoyage ethnique de 1948 a été prémédité. Les droits, la dignité et même l’existence du peuple palestinien ont été niés d’entrée. Tous les jours, les historien·nes découvrent de nouveaux documents sur les crimes de guerre commis en 1948, en 1967 et au Liban, ou sur la persécution et les discriminations subies par les Palestinien·nes qui ont échappé à l’expulsion, et cela n’a aucune conséquence. Les valeurs morales se sont largement écroulées dans le pays. Tuer des Arabes devient un argument électoral. L’ancien Premier ministre Naftali Bennett avait déclaré en 2013 : “J’ai tué beaucoup d’Arabes dans ma vie, je ne vois pas où est le problème”. Imagine-t-on un·e dirigeant·e se vanter d’avoir tué beaucoup de Juif/ves ?

Les colons

Il y a 30 ans, ils/elles étaient minoritaires dans l’opinion publique israélienne. Mais le rouleau compresseur colonial ne s’est jamais arrêté. Les colons sont aujourd’hui plus de 700 000, 20 % de la population de la Cisjordanie occupée. Les colonies et le mur encerclent la plupart des villes et des villages palestiniens, transformant la Cisjordanie en “bantoustan” sans unité territoriale. Beaucoup de dirigeant·es politiques et militaires israélien·nes sont des colons. La loi “Israël, État-Nation du peuple juif”, votée en 2018, considère que le développement des colonies est une valeur nationale. Les colons sont armés. Certains d’entre eux/elles agressent en permanence les Palestinien·nes et dressent leurs enfants à caillasser les écolier·es palestinien·nes. L’apartheid n’est plus dissimulé. Si la propagande israélienne le conteste, il est totalement assumé en Cisjordanie. Les colons votent, quasiment à l’unanimité, pour l’extrême droite (y compris les colons français qui ont plébiscité Éric Zemmour – 53,6 % des voix sur l’ensemble d’Israël, mais avec une forte abstention – et Meyer Habib).

Une hégémonie dans tous les morceaux d’une société éclatée

Un célèbre dirigeant d’extrême droite français a dit un jour que “les électeurs préféraient toujours l’original à la copie”. C’est un courant prétendument “socialiste” qui a réalisé le nettoyage ethnique de 1948, qui a fabriqué un État juif où les non juif/ves sont des sous-citoyen·nes, puis qui a réalisé la conquête de 1967 et les débuts de la colonisation.

C’est logiquement l’extrême droite raciste et suprémaciste qui ramasse la mise. Elle a submergé la société israélienne. Elle est devenue hégémonique sociologiquement et idéologiquement et, tant qu’Israël ne paiera aucun prix pour ce qui est infligé aux Palestinien·nes, cette situation perdurera.

L’extrême droite a gagné dans l’éducation. Au jardin d’enfants, les petit·es fabriquent des tanks avec du carton. À l’école primaire, ils/elles envoient des lettres aux soldat·es. Les programmes d’histoire leur apprennent que les Palestinien·nes sont des intrus·es qui veulent jeter les Juif/ves à la mer. Le sionisme est devenu une religion d’État.

Elle a gagné chez les Juif/ves orientaux et les Séfarades (descendant·es des Juif/ves chassé·es d’Espagne). Discriminé·es économiquement, victimes de mépris et de racisme, sommé·es de faire disparaître leur “arabité” (culturelle et linguistique), ceux et celles-ci ont délaissé la “gauche sioniste” pour se livrer à des partis populistes et religieux (comme le Shas) qui sont d’un racisme sans retenue vis-à-vis des Palestinien·nes.

Elle a gagné chez les Russes. Des politiciens, comme l’ancien dissident soviétique Chtaransky ou comme Avigdor Lieberman, ont su exploiter leur sentiment de déclassement pour en faire des colons sans scrupule.

Elle a gagné chez les militaires. On dit d’Israël que ce n’est pas un État doté d’une armée, mais une armée dotée d’un État. Les généraux soi-disant socialistes qui ont fondé Israël (Yitzhak Rabin, Yigal Allon, Moshé Dayan) ne s’étaient jamais vantés des crimes qu’ils ont commis. Leurs successeurs (Ariel Sharon, Rafaël Eitan, Rehavam Zeevi, Benny Gantz, Aviv Kochavi) ne se sont plus embarrassés de subtilités, à l’exemple de Benny Gantz se vantant de ramener Gaza à l’âge de pierre. Autrefois, tous les jeunes allaient à l’armée sauf les handicapé·es et certains religieux. Aujourd’hui, ceux et celles qui sont pacifistes se font réformer alors que ceux et celles qui veulent la guerre, y compris les religieux, ne boudent plus le service militaire. Délibérément, des jeunes de 18 ans ont été transformé·es en assassins lors des guerres contre Gaza. Résultat, l’armée épaule les colons dans les violences quotidiennes. Tous les jours elle tue, souvent des enfants très jeunes. Et elle torture, la torture “raisonnable” ayant été légalisée par la Cour suprême.

Les religieux

Initialement, les religieux ont été hostiles au sionisme. La religion juive est une religion messianique et les rabbins s’opposaient à toute notion d’État juif tant que le Messie n’était pas arrivé. La quasi-unanimité des rabbins allemands avait signé un texte contre le sionisme, ce qui explique que le congrès fondateur (Bâle 1897) s’était tenu en Suisse et pas en Allemagne.

Pendant longtemps, les principaux dirigeant·es sionistes ont été agnostiques ou athé·es. Ils/elles se sont servi·es d’une Bible à laquelle ils/elles ne croyaient pas comme d’un livre de conquête coloniale. “Dieu n’existe pas, mais il a donné cette terre au peuple juif”.

Seul un courant minoritaire, celui du Rabbin Kook, avait fait la synthèse entre sionisme et religion.

C’est la conquête de 1967 et la décision (travailliste) de coloniser la Cisjordanie qui va rendre très vite les sionistes religieux (Gush Emonim = bloc de la foi) idéologiquement hégémoniques. Pour ces religieux, “Dieu a donné cette terre au peuple juif”. Ils/elles oublient la fin de la phrase : “à condition qu’ils se comportent bien”. Leur livre de chevet, c’est le livre de Josué. Ce passage de la Bible Hébraïque est une véritable apologie du nettoyage ethnique. Ils/elles se sont allié·es à la mouvance états-unienne des “Chrétiens sionistes”, liée à la droite du parti Républicain. Ces évangélistes (qui ont financé la colonisation) sont des antisémites avérés pour qui les Juif/ves doivent revenir en terre sainte pour favoriser le retour du Christ, chasser le Mal (= les Arabes) et se convertir à la vraie foi. Environ la moitié des colons sont des intégristes. Ils/elles humilient, harcèlent (et parfois tuent) en toute impunité.

Comment combattre l’apartheid ?

Les contradictions de la société israélienne (laïques contre religieux, Séfarades et Misrahim contre Ashkénazes, Russes contre tous les autres…) traversent l’extrême droite et expliquent l’instabilité électorale.

Mais fondamentalement, cette société d’apartheid où la parole raciste et meurtrière s’est totalement libérée, se sent forte et invulnérable. Rien ne changera sans sanctions. Les élections ne font que désigner un clan vainqueur. La seule chose qui fait peur aux Israélien·nes, c’est de perdre leur “légitimité”. Du coup ils/elles instrumentalisent l’antisémitisme en l’assimilant à l’antisionisme, alors que les principaux dirigeant·es israélien·nes sont les allié·es de tout ce que le monde compte comme dirigeant·es racistes, autoritaires, voire néofascistes.

Ce pays s’est renforcé en devenant un modèle pour les technologies de pointe, les armes les plus sophistiquées, l’enfermement de toute une population (Gaza) et la répression. Tout cela fait consensus chez les Juif/ves israélien·nes à l’exception d’une petite minorité anticolonialiste très courageuse. La grande majorité des Israélien·nes se disent offusqué·es qu’Amnesty International (après bien d’autres) qualifie leur État d’apartheid. Pourtant, il suffit de passer 10 mn à Hébron pour comprendre que ce qualificatif est totalement indiscutable.

Cet apartheid ne tombera pas de l’intérieur, et surtout pas par des élections. C’est à nous, sociétés civiles du monde entier, de convaincre nos concitoyen·nes et ainsi de forcer nos gouvernements complices à sanctionner et à boycotter.

Pierre Stambul