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On en parle de la dignité ?

Juste poser la main là et c’est gagné. On ne peut trouver règle plus simple.

Méfions-nous de la simplicité

Anna élève son fils seule. Léo ne manque pas d’amour. Elle vend des poulets rôtis dans un camion-rôtissoire. Il va au collège et surfe dès qu’il le peut. Ils vivent heureux sur la côte atlantique. Ne manquent de rien. Si ce n‘est la présence d’un homme pour elle et d’un père pour lui. Mais les jours sans, ça fait longtemps qu’ils ont appris à faire avec.

Et puis il y a ce sanglier qui traverse la route un soir et ce coup de volant donné pour l’éviter. De là tout se complique pour des raisons bassement essentielles. L’argent manque. Le miroir est brisé, “elle commence comme ça la perte de l’innocence” (page 81).

S’il en manque, il suffit simplement d’en trouver.

Convoquer la simplicité, c’est faire l’appel de l’intelligence et s’apercevoir qu’elle est absente.

Il suffit de tendre la main. La poser sur ce SUV. Et c’est gagné. C’est comme se baisser pour ramasser une liasse de billets ou trouver un travail en traversant la rue. C’est le « Jeu ». Qui passe à la télé. Il suffit de s’y inscrire et de ne pas lâcher le véhicule de la main pour partir avec. “Que peut-on espérer“ de plus “d’une époque où l’on donne le nom d’une déesse grecque à une voiture ?” (page 61).

Peut-on acheter sa tranquillité ? Quel est le prix de l’amour ?

J’avais découvert Joseph Incardona avec son roman précédent, La soustraction des possibles (éditions Finitude), un roman brillant, un roman (plus) de l’argent (que) sur l’argent, une histoire sociale, existentielle, celle des deux dominés qui veulent inverser le cours de leur vie, être du côté du manche, plutôt faire qu’être d’ailleurs.

“Quand tu aimes, il faut partir“ (page 252)

J’ai plongé immédiatement dans ce nouveau roman, Les Corps solides (même éditeur), dans lequel l’amour est encore au centre, l’amour du sang, des liens, l’amour qu’on ne peut plus donner ou qu’on a peur de ne plus pouvoir donner. Alors, on est prêt à tout. Même au pire, du moins, à ce qu’on aurait refusé si ce n’était, vendre son âme si on y met le prix.

“La publicité est là pour… appuyer sur les frustrations et nous rendre la vie insuffisante” (page 82)

Mais si on achète tout de nos jours, les consciences comme les corps, on s’aperçoit vite qu’on a toujours le choix, y compris celui de refuser. Même s’il y a un prix. Jusqu’où peut-on ne pas aller au risque de perdre ? En gagnant, ne risque-t-on pas de perdre davantage ?

On est loin de la simplicité tant vantée, de la dichotomie avancée.

C’est notre monde et personne ne devrait se résoudre à le voir changer ainsi, à devenir “le jus incolore d’un grand jeu télévisé” ? (page 27).

On a toujours le choix.

Quoiqu’on dise.

Mais il faut être prêt à en payer le prix.

Tenir

Penser “au dénuement comme force suprême de liberté” (page 236). L’heure n’est pas au jugement dans ce roman, Les Corps solides, mais au constat, nuance, c’est plus complexe. Tout réside dans l’idée de tenir. Dans la main, l’autre, de l’autre, quoi qu’il arrive, le coup, à l’œil ou à sa merci, sur la défensive, à un cheveu, un fil, debout ?

On en parle de la dignité ?

François Braud

  • Les Corps solides, Joseph Incardona, Finitude, 2022, 260 pages, 22€.
  • Livre acheté dans une librairie indépendante, Les Instants libres.
  • À commander à l’EDMP, 8 impasse Crozatier, Paris 12, edmp@numericable.fr