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Reprise en main

“Il me faut du réel pour raconter des histoires”.

Reprise en main 1 est la première fiction de Gilles Perret qui, comme documentariste a réalisé de nombreux films à caractère social et humaniste, par exemple Walter, retour en résistance (2009), Les jours heureux, programme du CNR (2013), ou plus récemment J’veux du soleil, (2019) et Debout les femmes (2021) avec François Ruffin.

De l’usine à la caméra

Gilles Perret (né en 1968 en Haute-Savoie) fils d’ouvrier, fait des études d’ingénieur avant de travailler dans l’industrie locale, puis un peu par hasard, dit-il, va s’intéresser à l’audiovisuel et au cinéma.

Gilles Perret est doublement de ce “pays” il est né et a vécu dans la Vallée il a travaillé dans une usine et en tant que cinéaste il “[…] ne peut raconter le monde qu’à travers des particularismes locaux […] connaître le lieu, les gens […] il me faut un attachement personnel […] cette histoire d’amitié c’est un peu la mienne […]”.

Reprise en main nous entraîne dans le monde de l’entreprise et des hautes sphères de la finance, et de l’impact de celles-ci sur la vie de celles et ceux qui produisent. Les responsables politiques ayant modifié les règles dans les années 2000, ont permis aux fonds de pensions de prendre possession des entreprises de la vallée, en utilisant des méthodes légales mais immorales, et ont provoqué la situation de départ du film.

Dans ce monde de l’Industrie, géré par la finance, les usines ne sont souvent que des pions qu’on achète, dont on tire le maximum de profit, puis qu’on cherche à revendre.

Dans ce cas, comme le dit le directeur de l’usine à sa secrétaire, lorsque le fonds de pension décide de la vente de l’entreprise il est indispensable d’“habiller la mariée”. En clair, cela signifie qu’il faut dégraisser le personnel, qu’il faut procéder à des licenciements.

Reprise en main, c’est, donc, l’histoire d’une équipe de Pieds Nickelés qui va se saisir de son destin et se battre sur le terrain de la finance, des fonds d’investissement, avec les mêmes méthodes, pour reprendre en main leur entreprise et leur vie.

Le personnage central, Cédric, est ouvrier spécialisé dans une entreprise performante de la Vallée d’Arve, un peu grande gueule même s’il rejette le discours et la pratique syndicale de son père, retraité de cette usine.

Comme une grande partie des gens de cette vallée qui sont très attachés à la montagne, il pratique l’escalade en solitaire dès qu’il peut s’échapper de son quotidien, ce qui permet de merveilleuses séquences, et des images grandioses,  notamment lors de l’ouverture du film.

C’est une pratique qui fait se croiser les catégories sociales, ce qui va permettre de faire avancer l’intrigue.

Bien malgré lui il va se retrouver leader de la révolte des ouvriers de l’usine et avec une bande de copains faire en sorte de mettre en place la récupération “des outils de travail”.

Il s’agit bien, aussi, d’un film sur la vie des gens, sur leurs difficultés quotidiennes, personnelles, familiales, professionnelles, et surtout une formidable histoire d’amitié.

Lutte sociale et charge politique

Une fiction qui montre des gens à qui on fait croire qu’il n’y a rien à faire d’autre que de baisser la tête, et que le monde industriel est fini, que rien ne peut empêcher le rachat de leur usine par un LBO, et son démantèlement.

Cédric et sa bande, des amis, copains, d’anciennes amours de lycée, belle bande de gens normaux, superbement incarné·es par Pierre Deladonchamps, Laetitia Dosch, Finnegan Oldfield et quelques autres, acteurs au jeu bouillonnant, filmés au plus près, sont tou·tes crédibles dans leurs personnages.

Il·elles vont être plus malin·es que les financiers, en détournant leurs méthodes et racheter l’usine en se faisant passer pour des financiers !

Crédible, le scénario a été validé par des banquiers suisses.

Bien sûr il s’agit aussi d’un film qui fonctionne sur l’émotion, les rebondissements, le suspense tout en restant une charge politique qui démontre qu’“il ne faut pas laisser croire que rien n’est possible”. Ce que démontre Cédric, est que “la réappropriation de l’outil de travail est possible, afin d’en redistribuer les fruits à ceux qui produisent… ”.

Une mise en pratique des théories politiques et de l’action syndicale qui parcourent le monde ouvrier depuis le XIXe siècle.

C’est une histoire positive qui se finit bien, qui contredit le discours véhiculé par les dominants, que la désindustrialisation, la mondialisation est inéluctable, qu’il n’y a plus d’industrie en France, la Vallée d’Arve est une vallée High Tech dans laquelle des entreprises (70 % des 635 entreprises de décolletages s’y trouvent) fournissent en pièces mécaniques tous les constructeurs automobiles mondiaux.

Reprise en main n’est pas un film militant avec toutes les connotations péjoratives auxquelles renvoie ce terme, c’est un “vrai” film, ambitieux, porté  par un grand souffle, chaleureux, qui s’inscrit dans la veine de Ken Loach, et qui aurait mérité mieux qu’un succès d’estime.

D’autant qu’il est tout public, facilement accessible, et peut être vu par des adolescent·es ce qui permet d’ouvrir des débats autour de sujets quotidiens, contemporains ou d’illustrer l’enseignement des “sciences économiques et sociales”.

Bernard Foulon

Reprise en main, film de Gilles Perret,1h47 France 2022.

  1. Film distribué par Jour2fête, pour organiser une séance, contact repriseenmain22@gmail.com ↩︎