Émancipation


tendance intersyndicale

Une expérience “Freinet” en physique-chimie au collège

Prendre la décision d’expérimenter la pédagogie Freinet donne souvent le sentiment d’un saut dans l’inconnu. Camille Scorta évoque ici sans détour ses appréhensions, ses difficultés, mais aussi ses joies. Souhaitons que son témoigne suscite les échanges et encourage d’autres camarades à se lancer à leur tour.

J’ai très tôt entendu parler de la “pédagogie Freinet”, dès le lycée. L’idée me plaisait pour la liberté et l’autonomie laissées aux élèves, sans que j’en ai à l’époque réellement creusé les aspects politiques et pédagogiques.

Ce qui m’a décidée

Lors de ma deuxième année de master MEEF (Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation), j’ai réalisé un mémoire de recherche sur la pédagogie différenciée et donc j’ai acquis quelques connaissances théoriques (encore assez superficielles) sur le travail de Célestin Freinet. Plus je vieillissais, plus cela me plaisait et cependant plus les écueils pratiques me paraissaient nombreux : j’enseigne en milieu plutôt défavorisé, je ne vois les élèves que 1h à 1h30 par semaine, j’ai des classes de trente élèves, et comment faire pour les TP, pour la gestion du bruit, etc. Dans les deux années qui ont suivi, une de mes amies de master s’est lancée dans un projet de classe accompagnée avec plan de travail, dont elle m’a beaucoup parlé d’une façon non-dogmatique, sans m’en cacher les difficultés. J’ai également beaucoup lu des retours d’expérience sur Internet, et je suis allée observer une enseignante de primaire de ma ville qui utilisait fichiers auto-correctifs et ceintures de compétences. J’avais de plus en plus envie de m’y mettre mais… j’étais terrorisée !

Lors de ma première semaine d’Émancipation, à Notre-Dame-des-Landes, j’ai rencontré beaucoup de personnes chouettes et notamment une camarade qui était légèrement plus avancée que moi sur les questions de pédagogie Freinet. Nos heures de discussion m’ont beaucoup fait réfléchir, j’avais toujours un cahier sur moi sur lequel je prenais de nombreuses notes pour garder le maximum de ces échanges. J’ai lors de cette semaine également pris conscience plus fortement de la cohérence de cette pédagogie avec mes idées politiques, ou plutôt de l’incohérence de mon enseignement habituel avec ces dernières. Je pense que c’est ce dernier point qui m’a convaincue, mais je restais assez inquiète à l’idée d’un tel changement.

Une mise en place progressive

J’ai donc décidé d’y aller doucement, de faire l’expérience sur mes seules classes de Sixième, et d’attendre la rentrée de novembre, afin de connaître mes classes et de pouvoir poser un cadre. Le choix des Sixièmes s’est imposé en cela que, juste sorti·es du primaire, ils/elles me semblent plus autonomes et adaptables que des élèves plus agé·es déjà bien habitué·es à un fonctionnement classique de collège. Lors des dernières vacances de la Toussaint, j’ai lu toutes les ressources que j’ai pu trouver (1), notamment les ressources de l’Institut Coopératif de l’École Moderne (ICEM). J’ai esquissé mon premier plan de travail, qui couvrait sur cinq objectifs et un objectif final les différentes connaissances et compétences exigibles en Sixième concernant la vitesse et le mouvement. Je voulais laisser libre choix aux élèves sur l’ordre dans lequel ils/elles traitaient les objectifs et sur le fait de travailler seul·e ou en groupe.

À la rentrée, je me suis lancée comme on plonge dans le vide, en me répétant en boucle pour m’en convaincre que ce n’était pas grave si ça ne fonctionnait pas, que j’allais devoir persévérer, qu’il y aurait beaucoup de bazar. Et finalement, après quelques semaines d’expérience… ça s’est plutôt bien passé. Bien sûr, il y a encore beaucoup de bruit, bien sûr certain·es en profitent pour ne rien faire, bien sûr ils/elles sont parfois paumé·es et bien peu autonomes, bien sûr c’est épuisant, bien sûr arrivent des moments où je m’énerve et où j’en punis trois d’affilée, ce qui n’est vraiment ni très Freinet ni très Charlie. Mais il y aussi tous ces moments où j’ai pu aider N., qui sera toujours en difficulté mais le sera moins qu’en pédagogie plus “ordinaire”, ces moments où je vois qu’au fil des séances le degré d’autonomie augmente, ces moments où je vois A. qui aide L. sans que je n’ ai rien sollicité, ces moments où j’ai 20 secondes de libre et où je les regarde toutes et tous, mes apprenti·es citoyen·nes : ils/elles sont en plein apprentissage, toutes et tous concentré.es et… purée, c’est beau !

Un premier bilan

Autour des vacances de Noël, je leur ai demandé leur avis : une immense majorité veut qu’on continue ainsi (certain·es ne se prononcent pas, et ce ne sont malheureusement pas les meilleur·es élèves), à part deux élèves sur trois classes qui ne le souhaitent pas et deux qui sont sans avis.

Sans l’avoir rigoureusement testé (trop peu d’élèves, trop peu de notes, absence de classe témoin, biais inhérent à la foi que j’ai dans cette méthode), j’ai l’impression que les résultats sont semblables, sinon meilleurs, que ceux de mes Sixièmes “habituel·les”.

Le premier aspect positif de cette façon de travailler selon moi est l’éducation à l’autonomie dans l’apprentissage et donc à la citoyenneté dans une perspective plus large (cet apport pourrait être évalué avec une étude à grande échelle sur plusieurs années). Le deuxième est l’impact fort sur la motivation des élèves.

L’impact sur la motivation des élèves

Le modèle de motivation de Viau (2) comporte une composante contextuelle et sept composantes relatives à l’élève. Définissons ces composantes :

– Le contexte : il se définit par la, les activités proposées à l’élève.

– La perception de la valeur de l’activité : à quel point l’élève juge l’activité utile et/ou intéressante. Viau inclut les deux qualificatifs dans sa définition de la valeur de l’activité.

– La perception de l’élève de sa propre compétence : à quel point il/elle se juge compétent.e pour réussir l’activité.

– La perception de sa contrôlabilité : à quel point l’élève attibue ses réussites et ses échecs à des causes dépendant de lui/elle-même. Par exemple, un·e élève qui pense qu’il lui suffit de travailler très dur pour réussir a une perception de contrôlabilité forte.

– Le choix : si l’élève choisit, ou non, d’entreprendre une activité.

– La persévérance : associée à la durée consacrée au travail. Un·e élève est motivé·e s’il/elle choisit de s’engager dans l’activité et qu’il/elle persévère, c’est-à-dire qu’il/elle lui consacre du temps.

– L’engagement cognitif : il s’agit pour l’élève de l’utilisation de stratégies cognitives (organisation, stratégies d’apprentissage, d’auto-régulation…).

Quelques aménagements

C’est un modèle dynamique, chacune des composantes interagit avec les autres.

Selon ce modèle, les techniques Freinet renforcent la motivation de l’élève en lui laissant le choix. Il semble également intuitif qu’elles puissent renforcer plus facilement la persévérance, l’engagement cognitif et les perceptions de l’élève de sa contrôlabilité et de sa propre compétence.

En considérant tout cela, j’ai décidé de continuer à travailler ainsi avec mes Sixièmes à la rentrée de janvier, sur la séquence suivante. J’ai cependant procédé à quelques aménagements, en accord avec les élèves :

– Je reste désormais à une table (au lieu de circuler dans la classe) où les élèves viennent me voir. Les élèves voulant venir me voir notent leur nom au tableau dans l’ordre puis vont se rasseoir, pour éviter la file d’attente à rallonge.

– Je n’autorise le travail qu’en duo au maximum et j’ai mis en place un “bruitomètre” en carton que je fais évoluer. Quand on arrive dans la “zone rouge”, on retourne au travail individuel.

J’ai encore beaucoup à apprendre pour améliorer cette façon de faire. À suivre…

Camille Scorta

(1) “La pédagogie Freinet devient une pédagogie de masse”, article de Freinet dans la revue L’Éducateur, février 1966.

(2) La motivation en contexte scolaire, Rolland Viau, Éditions du renouveau pédagogique, 2014.

Un extrait du plan de travail de la séquence 2 :

vitesse et mouvement

Extrait du carnet de bord de Tara Expédition : “Depuis notre départ d’Alotau le 1er novembre dernier en milieu de journée, nous avons fait route pendant 80 kilomètres au nord-est [pendant cinq heures], avant d’atteindre l’île de Normanby.”

Objectif A : Ordres de grandeur de la vitesse

– Faire l’activité : “vitesse et ordres de grandeurs”.

Objectif B : Quels sont les éléments qui caractérisent un mouvement ?

– Faire l’activité : “Partons à la pêche !”.

– Compléter en rouge puis coller le bilan B.

Objectif C : Comment calculer une vitesse ?

– Lors d’une course contre la montre, un cycliste professionnel a parcouru en une heure une distance de 25 kilomètres à allure régulière, c’est-à-dire à vitesse constante.

Quelle est sa vitesse en kilomètres par heure et en mètres par seconde ?

– Coller le bilan C et la fiche-méthode.

– Faire les exercices “calcul de vitesse” dans l’ordre désiré.

Objectif D : Comment déterminer expérimentalement une vitesse ?

– Faire l’objectif C (si ce n’est pas déjà fait).

– Faire la question 3 page 45 du livre.

– Compléter en rouge puis coller le bilan D.

Objectif E : La goélette de Tara navigue-t-elle toujours à la même vitesse ?

– Faire l’activité : “mouvements ralentis et accélérés”.

– Compléter en rouge puis coller le bilan E.

Bonus : Le mouvement dépend-il de l’observateur ?

– Faire les questions de l’activité page 49 du livre.

– Recopier en rouge (bilan) : La description du mouvement ne peut s’effectuer que par rapport à un observateur.

Objectif final : Quelle était la vitesse moyenne du bateau Tara le 1er novembre 2017 ?