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Le couple et l’argent

Nous connaissions déjà dans notre revue l’autrice féministe Titiou Lecoq 1. Après avoir travaillé sur l’effacement des femmes dans l’Histoire, elle s’attaque dans son dernier livre à la problématique de l’inégalité financière entre les femmes et les hommes au sein du couple.

Titiou Lecoq aborde ici la dimension pécuniaire : pourquoi les hommes sont-ils plus riches que les femmes… Cette inégalité est souvent invisibilisée. D’une part, beaucoup d’études économiques ne s’intéressent pas aux femmes ni au travail gratuit qu’elles fournissent. Et d’autre part, on considère le plus souvent, le ménage, le couple, comme une unité. Mais dans cette entité du couple, il y a bien deux personnes ayant des revenus souvent différents, des rôles différents, des déroulements de carrières différents.

Partant du principe qu’il n’y a pas de spécificité de la condition économique des femmes, on a tendance à penser que ce qui profite aux hommes profite aux femmes de manière égale, mais ce n’est pas la réalité. Les écarts se creusent au contraire.

L’autrice analyse ce qui se passe dans le couple hétérosexuel, mais précise que cela peut également concerner les couples de personnes de même sexe, dès lors qu’il existe des inégalités économiques entre elles.

Après nous avoir rappelé qu’au niveau collectif, des politiques nationales s’imposent pour remédier à ces inégalités (concernant la fiscalité par exemple) Titiou le Coq se penche sur le fonctionnement financier des couples, un niveau plus individuel, en décortiquant étape par étape les mécanismes à l’œuvre dans l’appauvrissement des femmes.

La dynamique du don

Les femmes se sont vues assigner une mission : s’occuper des autres, les plus jeunes, les plus âgé·es et cela GRATUITEMENT. C’est une sorte de “sacrifice”, que la société attend encore d’elles. Elles ont dû lutter pour avoir le droit de gagner leur propre argent, puis de pouvoir en disposer avec l’autorisation d’avoir un compte bancaire (1965). Mais l’égalité n’est pas gagnée pour autant et ne dépend pas uniquement de la classe sociale : le fonctionnement de notre société et celui des couples se font au détriment des femmes.

À travers Gwendoline, jeune fille imaginaire que l’on suit de l’adolescence à la retraite, l’autrice présente de manière pédagogique et humoristique des concepts et des situations pratiques entrecoupées d’anecdotes historiques ou personnelles qui ne manquent pas de piquant. 

Dès l’adolescence…

Des études récentes montrent que le montant moyen de l’argent de poche qui varie selon les régions, est toujours plus important pour les garçons. De même, les parents auront tendance à faire des cadeaux aux filles, les assignant à la position de demandeuse. Le rapport à l’argent est déjà différent entre filles et garçons. Le système scolaire n’apprend pas à gérer l’argent qui deviendra plus tard le budget. Cela se fait (ou non), dans la famille, or “l’éducation financière est une première clé pour gagner son indépendance ; l’ignorance de Gwendoline va lui causer des torts à chaque étape de sa vie”. L’autrice note une évolution positive récente, elle nomme les, blogs, podcast, formations gratuites pour poser les bases d’une éducation financière à destination des femmes. Cela contrebalance les médias grand public, qui continuent à ne voir dans les femmes que des consommatrices à qui on va expliquer comment profiter des soldes.

Conséquences salariales d’un marché du travail très genré

En France, il y a 77,7 % de femmes dans les professions intermédiaires de la santé et du médical ; elles représentent 70 % du personnel d’entretien 2. Même dans les entreprises comptant autant de femmes que d’hommes, les postes occupés sont différents : aux femmes, secrétariat, ressources humaines, ou communication, aux hommes les postes dits décisionnels. Dans l’Éducation nationale, secteur féminisé à 70 %, 38 %seulement des professeur·es de chaire supérieure sont des femmes.

Concernant les métiers du soin, si indispensables dans notre société, leur rémunération est très faible. Au préjugé sexiste consistant à penser que s’occuper des autres, est “naturel” chez les femmes, que ce n’est donc pas un vrai métier, s’ajoute souvent un préjugé raciste qui explique qu’on trouve très majoritairement des femmes issues de l’immigration dans ces emplois.

Les inégalités salariales entre les femmes et les hommes perdurent. Une étude publiée en 2020 avait trouvé un écart de 5,7 % pour un même poste dans une même entreprise du privé. L’index de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes de 2018, bien qu’il ait apporté quelques améliorations, est très loin d’avoir tout réglé. Tant que les entreprises procèderont elle-même à leur propre notation, on restera méfiant.es quant à leur progrès en matière d’égalité salariale femme/homme. L’autrice signale l’exemple de l’Islande où c’est un organisme d’accréditation externe qui est chargé de la vérification. Pour l’instant, l’État ne met pas en place ce qui nous permettrait de sortir du cercle vicieux “plus un métier est mal payé, plus il est féminisé et plus il est féminisé, plus il est mal payé”.

Mettre à plat le budget

40 % des couples ne parlent jamais de l’organisation de leur budget. Ne pas parler argent, organisation financière, ne pas faire les comptes dans le couple, profite à la personne qui a le plus gros salaire, le plus souvent l’homme. Gwendoline et son amoureux Richard ne réfléchissent pas vraiment à la question de leurs dépenses qui sont communes et de leurs rentrées d’argent qui sont individuelles ; comme dans beaucoup de couples parler d’argent apparaît délicat, limite mesquin, presque tabou. Or, en cas de séparation, les conséquences pourront être extrêmement lourdes pour la femme mais Gwendoline ne l’envisage pas encore.

La naissance des enfants apporte des modifications importantes, entre-autre un appauvrissement des femmes. Les inégalités qui sont de 7 % chez les couples sans enfant, passent à 23 % après le premier bébé. En effet alors que le salaire des pères connaît une légère hausse (3 % en moyenne), le salaire des mères baisse. Le passage au temps partiel (80 % des personnes à temps partiel sont des femmes), est responsable en très grande partie de leur appauvrissement. Ce travail à temps partiel est surtout un outil de flexibilité pour les entreprises, il est souvent subi et il ne permet pas forcément aux mères de profiter de leurs enfants, bien au contraire. Et même quand il est choisi, il peut passer pour du désinvestissement et risque d’influencer négativement le déroulement de carrière.

Avec la venue des enfants, apparaissent souvent de plus gros achats comme une nouvelle voiture. À première vue, il peut sembler logique que ce soit le plus gros revenu qui rembourse le gros crédit mais au final cela creuse les inégalités. Le plus faible revenu (la femme en général), va avoir tendance à vouloir compenser en prenant en charge plus de courses. Son salaire va constituer la base de l’argent collectif du foyer, l’homme complètera éventuellement mais cela lui permet de garder le reste de ses revenus pour lui. Et toujours en cas de séparation, il a payé la voiture, il va repartir avec et comme le dit avec humour Titiou Lecoq, elle a payé les courses, il lui reste les pots de yaourt vides…

Ce que valent les heures de ménage

Le travail domestique, plus qu’un “don”, déjà explicité plus haut, est perçu comme un “dû” dit Christine Delphy qui explique que la société pense que c’est normal que les femmes se chargent de tout ça. Il est constitué de séances de ménage bien entendu mais inclut aussi une multitude de petits gestes “invisibles” de ramassage, de rangement. Ce côté invisible, explique la sociologue Maud Simonet, fait qu’on parle de travail gratuit, c’est un déni de travail. Mais, ces mêmes gestes quand ils sont effectués par une autre personne (une femme le plus souvent) sont rémunérés et sont donc considérés comme du travail. Pourquoi à partir du moment où c’est Gwendoline qui nettoie les toilettes, ne serait ce plus du travail aux yeux de Richard ?

Dans le couple, le travail domestique majoritairement pris en charge par la femme,  fait faire des économies, à l’homme. Il économise des frais de travail ménager et de garde pour ses enfants pendant que sa compagne subit une perte de salaire, et de droits sociaux, moins de droits au chômage, moins de cotisations pour la retraite. Cela renforce l’inégalité économique au sein du couple.

Titiou Lecoq donne les éléments chiffrés (tarifs des heures de ménages, avant crédit d’impôts et nets) pour permettre d’évaluer précisément la monétisation des tâches ménagères que nous effectuons, par semaine, par mois, par année. La prise de conscience du temps passé et de l’argent en jeu, est vertigineuse mais salutaire pour aller vers le rééquilibrage pour lequel les féministes luttent depuis longtemps.

Le système fiscal défavorable aux femmes

En France, les couples mariés ou pacsés sont obligés de faire une déclaration commune. Cette conjugalisation permet une baisse d’impôts et nous est présentée comme une « bonne chose ». Là encore, si on y regarde de plus près, cela favorise les gros revenus, donc le plus souvent les hommes et particulièrement les ménages les plus aisés. Si dans le couple, les deux revenus ne sont pas équivalents, le taux personnalisé, appliqué par défaut, sera préjudiciable au plus faible revenu, majoritairement donc aux femmes qui voient leur revenu surtaxé.

Des enquêtes “Patrimoines”, datant de 2020 attestent de l’inégalité de patrimoine entre les femmes et les hommes ; elles montrent que cette inégalité entre 1998 et 2015 est passée de 9 à 16 %, elle a presque doublé. De moins en moins de gens se marient et d’après l’INSEE, quand il y a mariage, les marié·es choisissent de plus en plus le régime de la séparation de biens. Encore une pénalisation des femmes.

Le pourquoi et le comment de la question “pourquoi les hommes sont plus riches que les femmes” est vraiment décortiqué tout au long de l’ouvrage de Titiou Lecoq. De nombreuses propositions et des conseils découlent de ses constats basés sur des études, toujours citées en note de bas de page : par exemple des propositions pour une politique fiscale plus juste pour les femmes, l’ouverture d’un compte commun pour les dépenses courantes, et d’un autre compte commun pour les remboursements de crédit. Ne pas rester dans l’ignorance de ce qui touche à l’argent, n’est-ce pas ce qu’ont fait les femmes qui avant nous, ont lutté pour obtenir des droits économiques ? Alors à notre tour, luttons.

Joëlle Lavoute

  1. ) n° 8 de L’Émancipation syndicale et pédagogique, avril 2022. ↩︎
  2. Rapport du ministère chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chance  , Vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, 2021. ↩︎