“Si Montale et Corbucci avaient eu une fille, c’est à Boccanera qu’elle ressemblerait !” Patrick Raynal a le sens du blurb 1. Et Michèle Pedinielli de la chance d’être ainsi adoubée par un parrain du noir.
Il faut dire que Boccanera, son héroïne, a tout pour séduire. Nous faisons sa connaissance dans le roman éponyme quand elle se réveille d’un rêve avec Paul Newman et ses yeux bleubleubleu […] un filet de bave qui coule à la commissure de [ses] lèvres en jurant comme un poissonnier, la faute à monsieur Bertolino Amédée, dont la photo de mariage tombe et retombe et qu’il raccroche, raccroche et raccroche. À l’aide d’un marteau.
Dans un roman noir mainstream, l’héroïne déborderait de seins, se réveillerait coiffée, les lèvres purpurines et irait décoller la tête du voisin d’une répartie cinglante. Mais nous ne sommes pas dans un roman noir quelconque, nous sommes avec Michèle Pedinielli et Boccanera : “Amédée, vous savez, il est cinq heures du matin. C’est très tôt pour […] planter un clou”.
Ghjulia Boccanera, Diou pour les intimes est une quinquagénaire sans enfant, qui ne boit plus, ne fume pas et a besoin de somnifères pour dormir. Le passé ne passe pas. Elle est détective privée, avec un e au bout. Elle enquête quoi. Moitié corse, moitié niçoise, moitié ivoirienne, elle colloque avec un ami, Dan, homosexuel et photographe. Elle a été mariée avec un flic, Joseph Santucci, avec qui les liens sont encore attachants mais qui n’a pas accepté son désir de non désir de descendance. Célibataire, mais pas seule, elle circule la semaine en vespa et hait les dimanches. Elle défend encore l’idée qu’un service public doit rendre service au public, qu’une ville comme Nice doit garder ses quartiers à sa population, qu’un livre 2 doit permettre de se recaler sur la voie et qu’une caméra a sa place dans les mains d’un réalisateur, pas d’un maire. Elle exècre les salopards au pouvoir et recherche la transcendance […] quelque chose de plus grand qu’elle. Elle constate ainsi souvent la non-existence de Dieu dans les actes des humains.
Elle fouille dans les chantiers de la ville (Boccanera, Sans collier), tente de redonner un nom, une histoire, une dignité à un migrant ou à un oublié de l’histoire (Après les chiens, Sans collier) et un coup de main à un collègue, Philippe Clerc 3 (Après les chiens) ou s’immerge dans un drame familial corse (La Patience de l’immortelle).
Elle a le corps qui grince, le sommeil qui fuit, les seins qui enflent et le fil rouge mensuel en déshérence. Cette ménopause café, pas de quoi en faire une ménopause party mais Boccanera n’avait pas prévu cette cuisson à l’étouffée permanente. Elle a envie de lire autre chose que La ménopause pour les nuls. Et ça l’emmerde : “J’emmerde la nature […] Je l’ai toujours détestée […] ses principes, ses lois immuables, ses « c’est juste comme ça on n’y peut rien, c’est la vie ». La nature, c’est l’injustice érigée en norme. C’est le plus fort qui écrase le plus faible, c’est les vieux et les malades qu’on laisse traîner à la fin du troupeau pour qu’ils se fassent bouffer en premier, c’est les femelles qu’on se partage pour perpétuer l’espèce. La nature, à la base, je la vomis, mais là, avec l’invention de la ménopause, je la conchie” (Sans collier).
Diou est spécialiste du café et du mouron. Elle aime envoyer valser ses docs quand la vie ressemble à un film en VO non sous-titré ou à un humain dont le polo rassemble autant de logos de marques de luxe que de petites mains qui l’ont fabriqué et que ses chaussures doivent coûter deux bras : “Rien que son sneaker gauche doit coûter l’équivalent d’un Smic”.
J’oubliai : elle a de l’humour, ce qui ne l’empêche pas de pleurer sur ce monde lourd comme une putain de croix à porter juste pour pouvoir vivre dans une vallée de larmes. Mais vous vous en étiez aperçu ?
Je n’ai rien lu de mieux depuis longtemps, depuis Bruen, en fait. L’auteure est de la veine de Block, de la trempe de Burke, du cercle d’Izzo et de Raynal, dans la lignée de Sjöwall et Wähloo, marche sur les pas de Mo Hayder. Lire Pedinielli, c’est se donner l’envie de la relire.
Je considère Michèle Pedinielli comme de la famille du noir et Boccanera comme de ma famille. Depuis que je la connais, elle me manque.
François Braud
- Boccanera, Michèle Pedinielli, L’Aube noire, 2018, 215 pages, 17,90 e.
- Après les chiens, Michèle Pedinielli, L’Aube noire, 2019, 254 pages, 17,90 e.
- La patience de l’immortelle, Michèle Pedinielli, L’Aube noire, 2021, 224 p., 17,90 e.
- Sans collier, Michèle Pedinielli, L’Aube noire, 2023, 253 pages, 18,90e.
- Les deux premiers tomes sont parus en poche (Mikros noir, 11€e.)
- À commander à l’EDMP, 8 impasse Crozatier, Paris 12, edmp@numericable.fr