Émancipation


tendance intersyndicale

Victoire des travailleurs sans-papiers de Chronopost à Alfortville !

après 220 jours d’un combat exemplaire 

Après plus de sept mois de lutte, les travailleurs sans-papiers grévistes de Chronopost (filiale privée détenue à 100 % par La Poste) viennent d’obtenir leur régularisation par la préfecture du Val-de-Marne, à la suite d’une occupation devant l’agence Chronopost d’Alfortville (Val-de-Marne).

Commencée le 11 juin 2019, cette occupation s’est conclue le 16 janvier 2020 après l’obtention de la régularisation des ‘‘Chrono’’ et le dépôt à la préfecture du Val-de-Marne de plus de cent demandes de régularisation de travailleurs sans-papiers. Ces travailleurs, appartenant à d’autres entreprises, soutenaient depuis le début leurs camarades de Chronopost en participant à l’occupation et aux nombreuses actions organisées pendant ces 220 jours. Cette solidarité active de travailleurs appartenant à différentes entreprises et différents métiers, organisés dans le Collectif des Travailleurs Sans-Papiers de Vitry (CTSPV) est un trait marquant de la lutte.

Quand les patrons organisent la dissimulation de l’exploitation

C’est le véritable système d’exploitation mis en place par La Poste-Chronopost, non seulement dans le Val-de-Marne mais à l’échelle nationale, qui est à l’origine de cette mobilisation.

Chronopost emploie ces salariés via la sous-traitance en cascade : elle sous-traite à la société Derichebourg leur embauche et même leur encadrement dans les locaux de l’agence Chronopost. Derichebourg passe par Mission Intérim pour procéder au recrutement de ces travailleurs. Ce dispositif permet évidemment de diluer la responsabilité, y compris juridique, de La Poste et de préserver l’image qu’elle aime promouvoir ‘‘d’entreprise citoyenne’’ (sic !). Cette sous-traitance en cascade permet aussi de faire oublier que c’est quand même l’État, propriétaire de La Poste, qui exploite ces sans-papiers en tant qu’État-patron et les pourchasse et les expulse en tant qu’État-gendarme !

La Poste-Chronopost sait que ces travailleurs sont sans papiers puisqu’elle ne leur attribue pas le badge d’entrée dans l’agence d’Alfortville dont les autres salarié·es du site sont porteur·euses. Elle les emploie aussi systématiquement sur des durées de mission qui ne leur permettent pas d’entrer dans les critères de régularisation posés par la circulaire Valls en vigueur. La Poste-Chronopost, contrairement à d’autres employeurs, refuse de remettre aux travailleurs sans-papiers qu’elle emploie les documents (CERFA et certificats de concordance) qui permettraient leur régularisation.

Forte de la situation hyper-précaire de ces salariés, constamment sous la menace d’expulsion du territoire, La Poste-Chronopost les exploite sans vergogne pour maximiser ses profits dans le domaine très concurrentiel du colis (l’un des deux secteurs stratégiques de développement, avec la banque, selon les patrons de La Poste) : temps partiel imposé pour des salaires de misère (600 euros mensuels en moyenne), embauche à trois ou quatre heures du matin, ignorance totale de leurs droits élémentaires (pas de paiement des heures sup., pas de droit aux pauses réglementaires, pas de droit à l’arrêt maladie sous peine d’être viré sans formalités etc.).

On comprend davantage l’intérêt pour les patrons de perpétuer ce système en rappelant que l’activité des sans-papiers à Chronopost (déchargement des camions, tri des colis) était autrefois confiée à des postières et postiers titulaires, et la plupart fonctionnaires, dans des centres de tri que La Poste a fermés brutalement et sans ménagement pour ces personnels. Remplacer des fonctionnaires par des intérimaires sans-papiers : les patrons l’ont rêvé, La Poste le fait !

C’est contre ce système que les travailleurs sans-papiers occupant le site de Chronopost se sont battus.

L’organisation de la lutte pour durer

Le 11 juin 2019 au petit matin, les salariés sans-papiers grévistes de Chronopost, accompagnés de soutiens, envahissaient le parking de l’agence d’Alfortville. Pendant deux semaines, ces travailleurs sans-papiers ont occupé jour et nuit et sans le moindre abri ce parking, harcelés par les chefaillons, vigiles et maîtres-chiens aux ordres de La Poste.

Dès le 11 juin, une autre occupation s’établissait devant les portes de l’agence Chronopost d’Alfortville, à l’extérieur de celle-ci, sous des tentes, avec plus d’une centaine de travailleurs sans-papiers d’autres entreprises venus soutenir leurs camarades installés sur le parking.

Après 15 jours d’occupation, Chronopost obtenait l’évacuation du parking par une ordonnance du TGI de Créteil, mais le juge déboutait les patrons de leur demande d’expulsion du camp établi devant le site de l’agence. En conséquence les travailleurs sans-papiers de Chronopost occupant le parking rejoignaient le piquet devant l’agence : celui-ci pouvait s’installer dans la durée avec le soutien du CTSPV, de SUD-PTT et de l’Union syndicale Solidaires, du président PCF du Conseil départemental du Val-de-Marne, du député PS de la circonscription, de la mairie d’Alfortville ainsi que d’autres élus du Val-de-Marne (FI, Générations…), de partis (en plus des partis cités au travers de leurs élus : PRCF, LO, NPA, UCL…) et d’associations locales. L’occupation allait durer plus de sept mois.

Un sacré défi à relever que de faire vivre pendant 220 jours cette occupation : des tentes pour seuls abris, de jour comme de nuit, sans eau courante, dans la canicule en été puis, à mesure qu’approchait l’hiver, dans le froid, la pluie et la boue.

C’est grâce au courage et à la force des camarades sans-papiers – affrontant le risque permanent d’expulsion du territoire, la haine et la morgue patronales, les conditions éprouvantes de l’occupation – qu’un grand mouvement de solidarité, organisé par SUD-PTT, Solidaires et le CTSPV s’est déclaré, secondé par des habitant·es et associations du quartier et des environs. Il a été ainsi possible d’approvisionner quotidiennement le camp en eau, nourriture, produits d’hygiène, tentes, bâches et charbon contre le froid. Cet effort logistique, cette organisation matérielle de la lutte et cette présence tous les jours sur le piquet d’Alfortville de soutiens ont mobilisé au premier chef les syndicalistes de Solidaires 94.

Ce soutien militant très exigeant au vu des forces de Solidaires dans le Val-de-Marne a accompagné l’auto-organisation permanente de leur lutte par les sans-papiers qui géraient la vie quotidienne d’un camps regroupant souvent 150 à 200 personnes, organisaient les autres travailleurs sans-papiers venus les rejoindre et déposant leurs dossiers, prenaient en AG les décisions sur la conduite de leur lutte, désignaient leurs porte-paroles, organisaient le service d’ordre et l’animation des manifestations etc.

L’occupation du site, regroupant en permanence ces travailleurs, bien que menée dans des conditions physiques difficiles pour ces camarades, a joué un rôle déterminant pour la cohésion du groupe et l’organisation de nombreuses actions tout au long de ces 31 semaines :

– manifestations devant la direction de La Poste à Créteil, aux sièges nationaux respectifs de Chronopost, de la Banque Postale et du Groupe La Poste à Paris ;

– envahissement de Mission Intérim à Corbeil-Essonnes, manifs au siège national de Derichebourg à Paris ainsi que sur des entreprises (hors Chronopost-Derichebourg-Mission Intérim) employant des travailleurs sans-papiers venus soutenir leurs camarades de Chronopost sur le piquet d’Alfortville ;

– manifestations à Alfortville et Créteil, rassemblements devant l’inspection du travail à Créteil, le Ministère du travail à Paris, la préfecture à Créteil ;

– co-organisation d’un meeting à la Bourse du travail à Paris regroupant plusieurs centaines de travailleurs sans-papiers d’Île-de-France ; soutien régulier aux femmes de ménage en lutte à l’Hôtel Ibis Batignolles ; présence à la Fête de l’Huma, à la marche ‘‘Justice pour Adama’’ à Beaumont-sur-Oise et aux manifs/AG contre la casse des retraites (les travailleurs sans-papiers sont aussi des travailleurs) à Créteil et Ivry-sur-Seine.

Une leçon de lutte et de vie

Les militantes et militants qui ont soutenu pendant plus de sept mois les camarades travailleurs sans-papiers du piquet d’Alfortville, même les plus expérimenté·es et notamment celles et ceux de Solidaires 94, ont énormément appris à leur contact. Peu de luttes menées ces dernières décennies auront autant marqué nos existences et c’est à eux que nous le devons.

Sur le plan humain aussi c’est une immense chance d’avoir rencontré les camarades sans-papiers du piquet d’Alfortville, qui ont révélé des ressources de courage, d’intelligence, de générosité et de cohésion impressionnantes dont il existe peu d’exemples et qui leur ont permis de se révolter, de s’organiser, de tenir et de gagner.

Aujourd’hui encore, après la régularisation des ‘‘Chrono’’ et la levée du camp d’Alfortville, ces travailleurs conservent intacte leur capacité à se mobiliser, leur vigilance et leur unité pour le suivi des dossiers des salariés sans-papiers ‘‘hors Chronopost’’ qui ont été déposés en préfecture en janvier 2020 et dont l’examen se poursuit.

Alors que les patrons, dont les profits se fondent sur leur exploitation sauvage et leur maintien dans la situation de sans-papiers, voulaient les rendre invisibles et muets à jamais, ces travailleurs ont affirmé de façon exemplaire leur droit à la parole et à une existence digne.

Félix Fénéan, le 1er février 2020


Publié

dans

Étiquettes :