Je m’apprête à quitter l’Allemagne et pensais ne plus rien écrire pour la rubrique “Vu d’Allemagne”.
Erreur ! J’ai encore des choses à dire.
Comme plusieurs fois par semaine, je regarde, il y a quelques jours, Al Jazzera en anglais et vois les images montrant des centaines de jeunes affamés prendre d’assaut les camions de ravitaillement. De la farine se répand par terre, des enfants la ramassent, il y en a qui se la mettent directement dans la bouche ou râclent de la farine mélangée à du sable.
Peu de temps après, je vois pour la première fois la réunion pendant laquelle le nommé Gallant dit “They are human animals. We will treat them like animals”. Il énumère avec les doigts de la main ce dont les Palestinien·nes de Gaza seront privés : “No food, no water, no fuel, no electricity…”
À ce moment-là, surgit de ma mémoire ce jour déjà lointain où mon beau-père, déjà très âgé, se met à parler de la Seconde guerre mondiale. Soldat de la Wehrmacht, il a été en Hollande, en Norvège et en Russie.
Après la guerre, comme beaucoup d’autres, il s’est muré dans le silence, mais ce jour-là il a rompu son silence pour des raisons que j’ai oubliées. Je retranscris ce qu’il a dit : “C’était dans une gare, en Hollande. On avait pour mission de monter la garde autour de trains de déportés juifs. Ils n’avaient ni eau ni nourriture. Des personnes ont lancé du pain dans les wagons, ils se sont jetés dessus. Ce n’étaient pas des humains, c’étaient des animaux”.
Quand je regarde les images transmises de Gaza, je pense aux camps de concentration. Serai-je accusée d’antisémitisme ?
En ce moment, il y a de nombreuses manifestations contre la montée de l’extrême droite. Il y a quelques jours, un manifestant a brandi, à Gießen, une pancarte : “Contre tous les racismes, que ce soit à Hanau ou à Gaza”. C’était le 4ème anniversaire de la tuerie de Hanau, ville proche de Francfort, où un fanatique d’extrême droite a tué dix personnes d’origine étrangère en février 2020.
Le représentant de la communauté juive de Gießen, qui devait parler, a pris le micro pour protester contre cette pancarte scandaleuse et dire que, dans un tel climat d’antisémitisme, il renonçait à parler.
Sarah Wagenknecht vient de fonder son parti BSK, “Alliance Sarah Wagenknecht”, les transfuges du parti Linke sont nombreux et nombreuses. Des sondages créditent ce nouveau parti de 7 % des suffrages lors des différentes élections de cette année. D’où viendront ces voix ?
Depuis quelque temps, la presse se livre à des exercices d’équilibriste. Si une page est consacrée à Gaza, avec, de façon incessante, le rappel qu’il s’agit d’une guerre entre l’armée israélienne et les terroristes du Hamas, la page suivante donne la parole à des Israéliens ou Israéliennes.
Dans un journal qui se veut de gauche, un journalitse israélien interviewé rappelle le massacre du 7 octobre, parle longuement des viols atroces commis lors de cette attaque et affirme que l’armée israélienne, elle, contrairement à ces monstres, ne s’attaque pas aux femmes en tant que telles. Ce serait toute la différence entre une armée morale et une bande de hors la loi.
Je viens de faire mes adieux à la seule personne de religion juive et de nationalité israélienne qui vive à Lich. Elle ne m’en a pas voulu de lui rappeler, publiquement, la différence entre antisémitisme et antisionisme. Elle venait, en réunion publique, d’affirmer que le monde entier, dans les manifestations, était contre les Juif·ves. Nous sommes restées en très bons termes.
Françoise Hoenle