Émancipation


tendance intersyndicale

Le choix du Noir, entretien avec Valentine Imhof.

Valentine Imhof a publié en 2022 son troisième roman noir aux éditions du Rouergue. Notre camarade a pu s’entretenir avec elle.

1-Vous semblez avoir fait le choix du noir. Pourquoi ? Et pourquoi au Rouergue ?

Je ne peux pas prétendre que le noir a été un choix délibéré, parce que cette classification noire/blanche ne correspond pas à grand-chose pour moi. Par ailleurs, lorsque j’ai écrit, très vite et l’un derrière l’autre, mes deux premiers textes, je ne me suis jamais dit que j’écrivais des romans… Il s’agissait alors de deux « histoires », que je n’avais pas envisagé de publier ni de faire lire à qui que ce soit et qui sont restées pendant une paire d’années dans un fichier de mon ordinateur. Pour en revenir aux étiquettes, quand je trouve un texte beau, s’il m’intéresse, m’émeut, me remue, s’il se distingue par une langue, un style particulier, alors peu importe qu’il appartienne à la noire ou à la blanche (c’est d’ailleurs une nomenclature assez récente). Effectivement, ce que j’écris propose une vision souvent sombre du monde, mais on peut en dire autant d’un certain nombre de romans des XIXe et XXe siècles, devenus depuis des classiques, et que personne n’aurait l’idée d’estampiller « noirs »…

Trouver un éditeur est souvent le fait du hasard. J’ai envoyé le manuscrit de Par les rafales à quatre maisons, l’une m’a manifesté son intérêt par mail et Nathalie Démoulin, éditrice de la collection noire au Rouergue, m’a, elle, téléphoné pour m’exprimer son enthousiasme à la lecture du texte et son désir de le publier. Et lorsqu’elle a su, lors de notre première rencontre en visio, que j’avais aussi bouclé ce qui s’intitulait déjà Zippo, elle a demandé à le lire et m’a dit dès le lendemain qu’elle le prenait aussi… Voilà, ça s’est passé comme ça.

« Ça prend des couilles, gamin, pour devenir un vrai chevalier du rail ! Et aussi une bonne couche de misère et de désespoir pour tout plaquer, tout laisser derrière soi, abandonner sa vie comme une toquante détraquée qui sait plus donner l’heure… » (Le Blues des phalènes, page 164)

2-Votre dernier roman, Le Blues des phalènes, vient d’obtenir le Trophée 813 du roman francophone. Ça a une importance pour vous, un prix ?

Oui. J’étais heureuse que Le Blues des phalènes reçoive un prix (après avoir été plusieurs fois en lice pour d’autres prix au cours de l’année 2022) et particulièrement ce Trophée 813, qui est un prix de lecteurs, ça compte, et pas n’importe quels lecteurs, puisqu’il s’agit de spécialistes et de passionnés du genre (ce qui permet à ce texte de s’inscrire dans une liste de lauréats déjà longue et particulièrement flatteuse). Un prix peut donner ou redonner un peu de visibilité à un roman et le signaler à des lecteurs qui souvent étaient/seraient passés à côté sans cela (même s’il y a finalement tellement de prix, dont beaucoup d’ultra-confidentiels, et que la plupart des gens ne connaissent que les trois ou quatre « grands » prix de l’automne, batailles d’éditeurs très médiatisées…)

3-Ce roman est sans doute le plus politique de votre bibliographie romanesque. Vous vous intéressez aux passagers transparents, à ces araignées d’eau humaines vivant un seul jour, à ces phalènes qui survivent jusqu’à ce que le « fanal fumeux d’un espoir illusoire » soit agité et qu’ils « viennent s’y brûler. » (p.293) Vous sentez-vous plus proche des « moutons » que des « loups » qui continuent « à tricoter [leur] bas de laine en la tondant sur le dos des autres. » p.275 ? Est-ce un constat ou un manifeste ?

Je ne prétends pas avoir écrit un manifeste. Il pourrait plutôt s’agir d’un constat désabusé dans lequel on voit combien l’histoire se répète, bégaie, est enrayée, et comment ce sont toujours les mêmes qui morflent, les mêmes qui subissent la brutalité aveugle d’un monde où tout se monnaie et sont les jouets d’évènements dont ils ne comprennent pas forcément les causes et face auxquels ils ne peuvent pas faire grand-chose. Je suis sans conteste plus proche des moutons, souvent terrassée par la violence du monde et impuissante face à ce qui me semble être, un peu plus tous les jours, l’inexorabilité du pire (mais je suis le genre à vivre le plus loin possible du troupeau, un mouton qui n’aurait pas l’instinct grégaire).

4-À l’origine de ce livre : l’explosion d’Halifax le 6 décembre 1917. Qu’avez-vous ressenti de cette déflagration ? Que symbolise-t-elle pour vous ? Pour le genre humain ? Et pour vos personnages ?

C’est finalement, au contraire, le fait de ne pas l’avoir ressentie, de ne pas même en avoir entendu parler avant de me rendre à Halifax, qui m’a sans doute fait m’intéresser de plus près à cette énorme déflagration. En effet, j’avais l’impression de connaitre plutôt bien la période, et cela depuis très longtemps, en fait depuis l’enfance, des balades dans des forêts lorraines dont les reliefs ont été bouleversés et remodelés par les pluies d’obus, et puis aussi de nombreuses lectures sur cette guerre, qui m’a toujours beaucoup émue. Il me semble donc que cet évènement, qui aurait pu changer l’issue de la guerre, a été peu documenté ou évoqué en Europe, et c’est sans doute ce qui m’a donné l’envie de le relater dans le roman. Par ailleurs, c’est aussi pour moi l’occasion d’évoquer cette région de l’Atlantique nord où je vis (Halifax est à 300 km de chez moi, et les infos régionales, ici, sont celles des provinces maritimes et atlantiques canadiennes). Et d’un point de vue romanesque, dramaturgique, il m’a paru cohérent et presque évident de faire de ce port très animé un point de convergence des protagonistes et du chaos généré par l’explosion, qui de fait devient le Big Bang de l’histoire, un creuset d’où sont projetés mes différents personnages vers leur destinées respectives. C’est, par ailleurs, une illustration, parmi tant d’autres, de la capacité qu’ont les hommes de créer des engins de mort, dont le contrôle leur échappe, et aussi des conséquences absolument disproportionnées que peut déclencher un évènement anodin et absurde (ici une incivilité, un refus de priorité dans le port, responsable de la collision de deux navires, dont l’un, chargé d’explosifs, est une mégabombe…).

« Parce qu’à chaque fois qu’il flambe une de ces filles, il sait qu’elle comprend clairement le message qu’il lui envoie. Que ces balises qu’il allume sont pour elle. Qu’elles l’aideront à retrouver son chemin jusqu’à lui… » (Zippo, page 32)

5-Au cœur de vos trois romans, Par les rafales (2018), Zippo (2019) et Le Blues des phalènes (2022), on trouve des femmes, de la folie et du sexe. La femme doit-elle se faire une place dans un monde bâti par et pour les hommes ? La raison est-elle cette lucidité, funambule en équilibre à la merci de la moindre péripétie ? Et le sexe a-t-il cette importance de ne pas être essentiel sauf quand il est absent ?

On trouve effectivement des personnages féminins dans les trois romans mais je ne pense pas que l’idée de « se faire une place » dans un monde qui serait dominé par les hommes soit réellement centrale dans ce que j’écris (du moins ça n’a jamais été une intention consciente). Si l’on pense à ce que subit Alex, dans Par les rafales, je suis persuadée qu’il serait arrivé exactement la même chose à un jeune homme qui se serait égaré dans le bayou et serait tombé sur Junior et son père (et alors j’aurais pu écrire un remake du Délivrance de James Dickey…). L’histoire de Zippo est celle d’une double emprise, et il est bien difficile de dire qui de l’homme ou de la femme a le dessus dans cette double dépendance (et j’aurais même tendance à penser que le personnage féminin est, des trois protagonistes, le plus trouble et celui qui a l’ascendant sur les autres). Et pour ce qui du personnage de Pekka dans le Blues des phalènes, même si l’on peut considérer que le monde d’alors (celui d’il y a un siècle) était sans doute davantage régi par les hommes, je n’ai pas l’impression de marquer une différence flagrante entre ce qui lui arrive à elle et le sort des personnages masculins. Tous souffrent, tous sont malmenés, tous subissent la violence des évènements, tous se débattent, chacun à sa manière, pour essayer de s’en sortir (la question du genre apparaît, me semble-t-il, davantage par le biais du personnage de Tsiishch’ili, dans l’épisode de la spoliation du cheptel des femmes navajo en plein New Deal)…

Ce que l’on peut appeler de manière un peu synthétique « la folie » est effectivement présent dans les trois romans. La raison des personnages est mise à mal par ce qu’ils subissent, par ce qu’ils commettent, et oui, certains dévissent, déraillent complètement… Et on le ferait à moins, vu ce qu’ils traversent (ils ne font qu’absorber une part de la folie du monde et en sont contaminés, parce qu’en fait, c’est tout le reste qui est dingue). Et oui, une trop grande lucidité peut parfois créer bien de la souffrance et, pourquoi pas, faire basculer…

Quant à la question du sexe… J’ai presque envie d’emprunter à Henry Miller ce qu’il répondait quand on lui demandait pourquoi le sexe était si présent dans son œuvre, à savoir que, au même titre que la nourriture que l’on mange ou l’air que l’on respire, le sexe fait partie de la vie… Et puisque je m’efforce de créer des personnages réalistes, incarnés, la sexualité est sans doute l’une des composantes qui contribue à les faire vivre et participe donc à l’effet de réel… Le sexe apparaît selon différentes modalités dans les trois romans, plus central dans l’histoire d’amour particulière qu’est Zippo ; destructeur dans Par les Rafales, puisqu’il y est question d’un viol ; alors que dans le Blues des phalènes, Pekka exploite les compétences qu’elle se découvre dans le domaine pour commencer à tracer sa route, en en évacuant, la plupart du temps, les aspects sordides… Je n’ai pas l’impression d’en faire usage au-delà de ce qui me semble nécessaire à la fois pour l’intrigue et pour l’ancrage des personnage dans la « vie »…

6-Le destin est, me semble-t-il, être un autre de vos thèmes. Alex (Par les rafales), Éva (Zippo), Pekka (Le Blues des phalènes) le fuient mais, comme Œdipe, en fait, elles y courent à grands pas. Est-ce à dire que tout est joué et que c’est pour ça que l’on joue ?

Effectivement, à la lumière des trois textes, il semble complètement illusoire de penser vouloir échapper à son destin… et malgré leurs gesticulations et leurs bifurcations volontaires et involontaires, les personnages sont souvent rattrapés par ce qu’ils pensaient avoir pu fuir… Ce qui est le propre de la tragédie, au sens classique du terme, et je pense que l’une des composantes majeures du roman noir est ce fatum implacable. Je ne suis pas certaine que tout soit joué d’avance, même si, dès le début, on sait qu’un jour tout se termine, et qu’on passe sa vie (et heureusement) à éviter d’y penser, voire à l’oublier, et à jouer, en attendant la mort, avec ce qui peut ressembler à l’illusion d’avoir une maîtrise quelconque sur les évènements de notre vie…

La question de l’identité et du masque, et celle du corps, souvent altéré, abimé, transformé, sont aussi des composantes récurrentes dans mes trois romans, aussi différents soient-ils…

7-Par les rafales est sans doute le roman qui se rapproche le plus du genre « policier ». Vous vous en éloignez avec Zippo dans lequel vous semblez vous dédouaner de tout suspense en donnant les clés au fur et à mesure que la lecture nous fait rencontrer des serrures. Avec Le Blues des phalènes, vous vous affranchissez encore davantage des codes (poncifs ?). Cette analyse vous paraît-elle juste ? Si oui, est-ce volontaire, naturel, inévitable ?

Comme je l’ai dit plus haut, au moment où j’écris je ne pense pas à m’inscrire dans un quelconque genre, je ne me dis donc pas que je vais écrire un polar ou un roman noir historique, parce que toutes ces étiquettes, tous ces codes, même s’ils sont suffisamment vagues pour que l’on puisse jouer avec eux, cloisonnent, enferment, et s’il y a bien une chose que je refuse ce sont les balises et les contraintes, et les attentes qui pourraient être liées à un genre spécifique. Je préfère envisager l’écriture avec la plus grande liberté possible, avoir les coudées franches, absolument, et laisser à l’histoire la possibilité de trouver sa forme, sa dynamique interne, sa tonalité propre, en dehors de références et de conventions préétablies.

Je dirais que les deux premiers romans pourraient sembler s’apparenter à des romans policiers, ne serait-ce que parce qu’on y trouve des personnages de policiers et des semblants d’enquêtes… Mais dans le premier le lecteur qui connaît tout de la trajectoire d’Alex en sait évidemment plus que les trois enquêteurs réunis pour qui le personnage et son odyssée meurtrière demeureront une énigme impossible à comprendre et à résoudre. De même, dans Zippo, comme vous le dites, aucun suspense s’agissant du meurtrier, et une enquête qui ne peut pas non plus en être vraiment une puisque les motivations qu’ont McNamara et Larström de retrouver le tueur n’ont rien à voir avec leur boulot de flics… Ce roman peut s’apparenter à un thriller, de par la contraction temporelle et le rythme, mais je pense que la ressemblance avec ce genre s’arrête là… Je m’y suis amusée à jouer avec un bon nombre de références, notamment à la pop culture américaine (les super-héros, par exemple) et aussi avec quelques poncifs, notamment ceux sur les rivalités et les petites mesquineries au sein du commissariat, ce qui fait de certains personnages des pendants bouffons des protagonistes, et instillent un peu de légèreté dans toute cette tension.

Avec le Blues des Phalènes, on est dans tout autre chose. Le fait de placer mes personnages dans des moments très chaotiques de l’Histoire et de les déployer sur tout le continent nord-américain me permettait de les faire échapper à toute poursuite éventuelle, quoi qu’ils puissent commettre, et cela tout en restant dans une veine réaliste. Et puisque cette période est tellement dense et impossible à embrasser dans sa totalité (surtout dans le cadre d’un roman de 500 pages), je ne pouvais en présenter que des visions fragmentaires, dans une narration elle-même fragmentée, reflet du chaos de l’époque.

Je crois que j’envisage l’écriture comme un vaste domaine d’expérimentation. Ce qui me semble intéressant, quand j’écris, c’est d’essayer des choses, et le plus souvent d’être en roue libre, de me laisser , certaine manière, porter par l’histoire, de la regarder se déployer, et de voir où elle m’entraîne. Je ne sais jamais le matin ce qui va sortir, et je découvre les pages du jour en les écrivant, ce qui est d’ailleurs souvent une source d’étonnement. Il me semble naturel, essentiel, de faire en sorte d’éviter les poncifs, ou de s’y référer pour les dynamiter ou s’en amuser.

« Ils la prennent vraiment tous pour une conne. Kelly fulmine et hurle sa frustration dans le commissariat déserté. Elle vocifère, agressive, le dernier couplet de « Red Right Hand » de Nick Cave. Une version inédite encore plus flippante et lourde de menaces que l’originale. » (Par les rafales, page 53)

8-Votre petite musique personnelle est incisive, ardente et tranchante. Comment écrivez-vous ? La musique est non seulement présente dans vos romans mais capitale pour vous. Elle vient avant, pendant ou après l’écriture ? Elle inspire, rassure ou confirme ?

La musique a toujours été très importante dans ma vie, que j’en joue ou que j’en écoute, et comme dans d’autres domaines, c’est l’éclectisme qui prime. Elle a accompagné l’écriture, à la fois vectrice d’atmosphères, mais aussi reflet des états d’âme des personnages. C’est particulièrement sensible dans Par les rafales, où, dans certaines pages du texte original, mes personnages entraient en dialogue avec les lyrics de certaines chansons (lyrics qui ont dû être supprimés pour des questions de droits dans le version définitive, mais cela illustre bien la relation intime que je peux entretenir avec certains morceaux). Lorsque j’ai décidé, arbitrairement et avant même d’en avoir écrit la première ligne, d’ancrer mon troisième roman dans les années 20 et 30 du XXe siècle, je me réjouissais, par anticipation, de la bande-son blues qui pourrait en animer les pages, mais finalement, à l’exception de certaines références, de-ci, de-là, la musique n’a pas une présence aussi marquée que dans les précédents (et les artistes que j’ai écoutés pendant la rédaction du Blues des Phalènes, notamment Nick Cave, 16 Horsepower, Neil Young et Les Claypool, que je mentionne à la fin, n’ont rien à voir avec l’époque de l’histoire, mais m’ont insufflé des émotions totalement en adéquation avec ce que j’écrivais). Par ailleurs, et de manière évidente, la musique et le rythme de la langue sont deux aspects auxquels je suis particulièrement sensible (une phrase bancale, désaccordée, s’entend tout de suite, même sans qu’il soit besoin de la lire à voix haute…). Et tout comme je pourrais le dire de la littérature, et pour reprendre vos mots, la musique inspire, rassure et confirme, tout à la fois.

9- Vous avez « fini » par poser vos valises à Saint-Pierre et Miquelon, dans les brumes (de Capelans – vous auriez d’ailleurs inspiré Olivier Norek1). Voyager, n’est-ce pas fuir pour retarder le moment où l’on reviendra au départ (à Nancy ? Place Stanislas ?) ?

Je ne suis pas (ou plutôt je ne suis plus) une voyageuse, et souvent je me dis que je n’aime plus voyager parce qu’un voyage étant très limité dans le temps (et cela qu’il dure quelques jours ou quelques mois) ne permet pas de pénétrer au-delà de la surface des choses et est, de ce fait, extrêmement frustrant, incomplet… J’aime au contraire m’installer quelque part, prendre mon temps, adopter des habitudes, une routine, une langue, être adoptée par les lieux et par les gens. Le retour au point de départ est effectivement inscrit dans la temporalité limitée du voyage, mais puisque je ne suis pas en voyage à Saint-Pierre-et-Miquelon, où je réside depuis 24 ans et où j’ai maintenant développé des racines, Nancy et la Lorraine ne sont plus des points d’ancrage ni les destinations d’un retour programmé (il m’arrive bien sûr d’y retourner, pour de courtes escales, puisqu’une partie de ma famille s’y trouve toujours). Et le jour où je quitterai SPM, ce sera pour un nouveau et complet dépaysement, un aller-simple vers un ailleurs, sans durée ni retour envisagés a priori

« Une femme toute écrite, une femme-livre, tout droit sortie d’une BD de Bilal, couverte d’un texte dense, calligraphié en lettres minuscules, à la manière d’un manuscrit médiéval, sans ponctuation, ni apostrophe, ni accent, un texte dont on ne peut distinguer ni le début ni la fin, qui serpente en une ligne têtue sur tout le haut de son corps, sur ses fesses et sur ses cuisses. » (Par les rafales, page 61)

10- Par les rafales pourrait faire frémir, Zippo choquer, Le Blues des phalènes interloquer. Cherchez-vous à mettre mal à l’aise le lecteur, dérouter la lectrice ? Ou est-ce, selon vous, la mission de la littérature : déranger les certitudes ? La littérature s’écrit-elle au fer rouge dans la peau : ça fait mal comme dans Zippo, ça protège dans Par les rafales et ça explose dans Le Blues des phalènes ?

Non je ne cherche ni à mettre mal à l’aise ni à dérouter qui que ce soit, puisque ces histoires je les écris avant tout pour moi sans penser à la manière dont elles peuvent être reçues, perçues, interprétées, et sans jamais donc penser aux lecteurs (si je le faisais je crois que je serais incapable d’écrire). Je ne sais pas si la littérature doit faire mal, et je n’ai surtout pas de prescription ni d’idées très arrêtées sur le sujet… Ce que je sais c’est qu’en tant que lectrice j’aime les textes qui ébranlent mes certitudes (même si j’en ai peu), qui me bousculent, pas forcément (et d’ailleurs généralement pas du tout) par leur violence (je fuis le graphique et le complaisant dans ce domaine), mais par leur force d’évocation, leur sensibilité, la densité des personnages, la présence de lieux forts, une narration sans trop de balises ni de garde-fou qui permette au lecteur de cogiter un peu (et ne lui donne pas à mâcher un truc déjà prédigéré ni ne l’assomme avec un didactisme et des évidences fanfaronnées), et surtout une langue qui sorte des poncifs et des platitudes… Mais oui, la littérature ça peut chahuter rude, et ça protège souvent aussi, et pas seulement quand on se l’encre à même la peau…

11-Êtes-vous en train d’écrire un quatrième roman ? Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

J’aimerais vous répondre que oui, et vous esquisser une trame, mais ce n’est pas le cas. Je n’écris pas du tout en ce moment, même si j’ai depuis un certain temps une idée en tête, et même une première phrase qui, si je me décide à la coucher sur la papier, en appellera sans doute bien d’autres… Mais je ne le fais pas. Je ne me suis toujours pas expliquée comment et pourquoi les trois premiers textes avaient surgi… Mais il y a eu quelque chose de presque impérieux et qui n’a pas été le fruit d’une décision ni la réalisation d’un désir d’écriture longtemps contenu… Donc le n°4 viendra quand il viendra…

12-Quelle est la réponse à la question que vous auriez aimé que l’on vous pose ?

Je suis très souvent étonnée de toutes les questions qui m’ont été posées depuis que j’écris et qui m’ont à la fois révélé certains aspects de mes textes dont je n’avais pas forcément conscience et aussi la manière, singulière, dont chaque lecteur se les approprie. Merci pour ce questionnaire qui, à nouveau, m’a fait me pencher sur mes textes et sur leur écriture, et je serais bien en peine de suggérer une question supplémentaire. C’est bien comme ça !

Merci Valentine de nous avoir donné un peu de votre temps et l’envie de vous lire.

François Braud

Bibliographie

* Par les rafales, Rouergue noir, 2018, 285 pages, 20€

* Zippo, Rouergue noir, 2019, 265 pages, 20€

* Le Blues des phalènes, Rouergue noir, 2022, 477 pages, 23€

Et aussi

* Henry Miller, la Rage d’écrire (2017), aux Éditions Transboréal.

  1. Dans les brumes de Capelans, Olivier Norek, Michel Lafon, 2022, réédité chez Pocket en 2023, 465 pages, 9€20 ↩︎

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