Emmanuel Macron déclarait le 2 mars dernier à Libreville que l’ère de la Françafrique était “révolue”. À Paris, on entend de toute part le même refrain : “La Françafrique est morte et enterrée !” Pourtant, de Ouagadougou à Libreville, de Dakar à Yaoundé, de Bamako à Abidjan, la jeunesse se révolte contre ce qu’elle perçoit comme une mainmise française sur son destin. Pourtant, le chiffre d’affaires des entreprises françaises en Afrique n’a jamais été aussi élevé (même si leurs parts de marché diminuent). La Françafrique n’est pas morte, et Survie continue le combat (voir survie.org).
Survie est une association de 850 adhérent·es, créée en 1984, qui dénonce toutes les formes d’intervention néocoloniale française en Afrique et milite pour une refonte réelle de la politique étrangère de la France en Afrique. Elle rassemble les citoyen·nes qui désirent s’informer, se mobiliser et agir. Survie, via ses groupes de recherche, produit une analyse régulière de la politique française en Afrique et publie des livres, des brochures et le mensuel d’information Billets d’Afrique et d’ailleurs. Fin 2021, quatre auteurs dont deux membres de Survie publiaient L’empire qui ne veut pas mourir, une histoire de la Françafrique, ouvrage de référence de 1 000 pages, dont le bandeau de couverture – Guerres, pillages, racisme, coups d’État, corruption, assassinats – donne la nausée.
Petit florilège subjectif de quelques thèmes portés actuellement par Survie.
Génocide des Tutsis au Rwanda
En soutenant les auteurs du génocide, les autorités politiques et militaires françaises se sont rendues complices de ce crime. Cette complicité est attestée par de nombreux documents et témoignages, et pourtant aucun responsable français n’a été jugé. Raphaël Doridant et François Graner, membres de Survie auteurs de L’État français et le génocide des Tutsis au Rwanda, ont été interviewés par L’Émancipation (numéro d’octobre 2020).
En 2005, plusieurs rescapé·es du génocide des Tutsis de Bisesero au Rwanda portaient plainte contre des militaires français de l’opération Turquoise pour complicité de génocide. Le 7 septembre 2022, les juges décident de clore l’enquête par un non-lieu, sans avoir mené toutes les investigations nécessaires. Survie dénonce une instruction à décharge, un profond mépris vis-à-vis des victimes et décide, face à ce déni de justice, de faire appel de cette décision, avec d’autres parties civiles. Éric Nzabihimana, rescapé et plaignant, explique dans une vidéo en ligne sur le site de Survie ce qui s’est passé en 1994 dans les collines de Bisesero.
Survie dénonce également toutes les complicités, actives ou tacites, dont la diaspora des extrémistes hutus a bénéficié en France pendant un quart de siècle. Par exemple, Survie soutient actuellement la journaliste Maria Malagardis dans son combat contre Aloys Ntiwiragabo, hutu suspecté d’avoir une responsabilité personnelle dans le génocide des Tutsis. Actuellement en cavale en France, il tente de faire taire la journaliste scandalisée par la bienveillance des autorités françaises à l’égard de Aloys Ntiwiragabo. Sur le même thème, le groupe local Survie Nord a co-organisé avec l’Atelier d’histoire critique une soirée à Lille le 23 mars dernier intitulée : “Rwanda : comment juger les génocidaires réfugiés en France ?”
2024 sera une année de commémorations importantes du génocide, et Survie se prépare à contrer la probable édulcoration par l’État des messages de ces commémorations.
Présence militaire française au Sahel
À l’occasion de la fin de l’opération Barkhane, Survie a publié en janvier 2023 la brochure Sahel : De Serval à Barkhane, 10 ans d’intervention militaire, 10 ans de déni de démocratie.
Il y a 10 ans en effet, le 11 janvier 2013, la France déclenchait au Mali l’opération Serval. Celle-ci allait être intégrée l’année suivante à l’opération Barkhane, dont Emmanuel Macron a officialisé la fin en novembre 2022.
Dix ans d’intervention militaire massive avec jusqu’à plus de 5 400 soldat·es des forces conventionnelles et des forces spéciales positionnés au Sahel en même temps, entre 8 et 10 milliards d’euros de budget supplémentaire d’opérations extérieures (Opex), 59 soldats français et des milliers de soldats maliens, burkinabè, tchadiens morts – le chiffre officiel n’est pas connu –, plus de 12·000 civil·es mort·es, trois millions de personnes déplacées à la fin 2022 alors que les groupes djihadistes que l’on prétendait éradiquer n’ont cessé de s’étendre et de gagner en puissance… Quelques chiffres qui en disent beaucoup sur l’ampleur de cette intervention française – la plus importante depuis la guerre d’Algérie, et sur l’ampleur de son échec prévisible.
La réalité de cette intervention, ce sont aussi les mensonges, la propagande, l’opacité et l’absence de débat qui en sont constitutives depuis le début. En cela aussi, elle est parfaitement exemplaire de la politique néocoloniale de la France en Afrique.
Outre la brochure, on trouve sur le site de Survie la vidéo Opération Barkhane, c’est quoi le problème ? qui déconstruit les contre-vérités propagées jusqu’à aujourd’hui par les autorités françaises : “La France a envoyé ses soldats en 2013 à la demande des Maliens. La France intervient pour défendre la Liberté et la Démocratie. La « guerre contre le terrorisme ». Le bilan de Barkhane est globalement positif”.
Survie demande la fin de l’ingérence française en Afrique, le départ des forces armées françaises d’Afrique, opérations et bases militaires, et un débat public sur le bilan de Barkhane.
TotalÉnergies et le projet EACOP en Ouganda et en Tanzanie
EACOP (East African Crude Oil Pipeline) est un méga-projet pétrolier sur le point d’être construit en plein cœur de l’Afrique par TotalÉnergies. Une catastrophe pour les populations ougandaises et tanzaniennes, la biodiversité locale et notre avenir à toutes et tous sur cette planète. Malgré l’adoption le 15 septembre 2022 d’une résolution d’urgence du Parlement européen dénonçant les violations des droits humains et les risques majeurs pour l’environnement et le climat causés par les projets Tilenga (extraction pétrolière) et EACOP, les travaux commencent.
Quatre associations ougandaises – AFIEGO, CRED, NAPE et NAVODA –, associées à Survie et aux Amis de la Terre France poursuivent Total devant les tribunaux français depuis 2019 ; c’est la première procédure sur le fondement de la loi sur le devoir de vigilance des multinationales, promulguée en 2017, qui permet enfin d’inquiéter une multinationale dont les filiales violent les droits humains ou détruisent l’environnement à l’étranger. Le 28 février 2023, le tribunal judiciaire de Paris rendait enfin sa décision et les associations, déçues, écrivaient : “Plus de trois ans après son lancement et suite à une longue bataille procédurale, les juges ont considéré que le dossier était irrecevable en raison d’un nouveau point de procédure controversé. Les associations requérantes déplorent fortement cette décision et se réservent sur les suites à donner, en consultation avec les communautés affectées”.
Pour mener à bien les projets EACOP et Tilenga, Total doit trouver 10 milliards de dollars. La mobilisation citoyenne rend très difficile le financement et l’assurance du projet (l’entreprise pourrait éventuellement s’auto-financer, mais on peut supposer que ça ne serait pas considéré comme rentable pour ses actionnaires), fait inédit pour un projet pétrolier de cette ampleur. Déjà 24 banques internationales, dont les quatre principales banques françaises – Crédit Agricole, BNP Paribas, Société générale, Natixis – ainsi que 21 assureurs et ré-assureurs ont refusé de financer directement EACOP.
Pourtant Amundi, un des principaux gestionnaires d’actifs mondiaux, 1er actionnaire de Total (10 %, 14 milliards d’euros), filiale du Crédit Agricole, a voté les plans climat de Total ce qui constitue un soutien indirect du Crédit Agricole à la stratégie expansionniste de Total qui permet les projets EACOP et Tilenga. Survie est partie prenante d’une campagne menée depuis novembre 2022 qui vise à rompre le soutien financier du Crédit Agricole envers EACOP. La campagne vise également à ce que Amundi vote contre le plan Climat lors de l’Assemblée générale de TotalÉnergies le 26 mai 2023. Cette campagne se traduit par des actions d’information du public et l’interpellation des client·es, des employé·es et des directions du Crédit Agricole et d’Amundi. Des actions militantes ont lieu régulièrement devant des agences du Crédit Agricole à Bordeaux, Lille, Nancy, Nantes, Paris, Poitiers, Rouen, Saint-Nazaire, Strasbourg…
Pillage des objets d’art en Afrique
En 2017, Emmanuel Macron déclarait à Ouagadougou : “Je veux que d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique”. Six ans plus tard, nous en sommes quasiment au point mort… Le sujet est pourtant crucial comme le soulignait Aïssata Tall Sall, ministre des affaires étrangères du Sénégal, dans le très bon documentaire d’Arte Restituer sorti en 2021 : “Revendiquer la restitution [des objets d’art pillés] est aussi fort que revendiquer l’indépendance”.
En 2021, Survie publie une nouvelle édition de Un nouvel or noir : le pillage des objets d’art en Afrique, livre du journaliste Philippe Baqué qui propose un état des lieux du marché de l’art africain et nous montre que, par l’impunité dont il jouit et par ses conséquences, le marché des arts “primitifs” est à la fois le plus pernicieux des marchés et le plus symbolique des destructions que subissent les pays du Sud. Philippe Baqué, à l’invitation de groupes locaux de Survie, a donné plusieurs conférences en France mais le sujet n’est pas porteur et les salles furent difficiles à remplir. Difficulté à associer ces conférences à une action concrète ? Frilosité post-covid ? Persistance de l’imaginaire colonial ? Quoiqu’il en soit, Survie n’abandonnera pas cette thématique.
Le soutien d’Emmanuel Macron à la dictature tchadienne
Dès l’annonce du décès d’Idriss Déby Itno survenu en avril 2021 et dont les conditions restent opaques, la France s’est hâtée de saluer un “ami et allié courageux” et d’adouber son fils, Mahamat Idriss Déby, à la tête du Conseil Militaire de Transition. Quelques jours plus tard à N’Djamena lors des obsèques de son fidèle allié, le président français déclarait que : “La France ne laissera jamais personne menacer ni aujourd’hui ni demain la stabilité et l’intégrité du Tchad”. Toute honte bue, Emmanuel Macron était au premier rang assis aux côtés du général putschiste avec lequel il s’était entretenu la veille. En moins d’une semaine, le président français a légitimé la dérive dynastique du pouvoir et volé aux Tchadien·nes l’occasion de renouer avec un dialogue politique impossible sous le règne dictatorial d’Idriss Déby. Des manifestations ont réuni les partisan·es d’une transition constitutionnelle : neuf d’entre eux sont tombés sous les balles de la junte militaire qui ne souhaite pas voir son pouvoir contesté par la rue. La puissance de “l’homme fort de N’Djamena”, appuyé militairement par son allié français, reposait avant tout sur l’arbitraire et la répression des opposant·es.
La répression continue. Le jeudi 20 octobre 2022 a été une journée sanglante au Tchad : les chiffres annoncés par le gouvernement tchadien, plus de 50 mort·es et plus de 300 blessé·es, sont certainement sous-estimés. Depuis, règne un climat de terreur dans les principales villes.
Survie dénonce le soutien indéfectible de la France à la dictature au Tchad et pointe sa responsabilité dans la situation actuelle du pays et donc dans ce déferlement de violence. L’association organise en avril 2023 une tournée en France de la militante syndicale tchadienne Kamadji Demba Karyom, greffière, sociologue, impliquée dans la campagne Tournons La Page-Tchad.
Kanaky (Nouvelle-Calédonie)
Survie fait partie du Collectif Solidarité Kanaky qui écrivait fin 2021, au lendemain du troisième et dernier référendum d’auto-détermination, maintenu par le gouvernement malgré l’opposition des indépendantistes : “L’État colonial français a méprisé les forces associatives, syndicales, politiques et coutumières Kanak qui, depuis des semaines, avaient signalé qu’il n’était pas possible de tenir ce referendum dans des conditions normales. Le peuple Kanak est en période de deuil suite aux nombreux décès dus au Covid et les conditions sanitaires ne permettaient pas l’organisation d’une campagne électorale. L’État colonial français soutient les partisans de la Kanaky française qui veulent tirer un trait sur les Accords Matignon-Oudinot et de Nouméa. De fait, il provoque le peuple Kanak et va à l’encontre des processus de paix et de décolonisation qui sont liés. Dans son discours d’après referendum, Macron a confirmé. […] Le droit à l’autodétermination du peuple Kanak, colonisé depuis 168 ans, demeure !”
Avant le referendum, le groupe Kanaky de Survie a publié Kanaky Nouvelle Calédonie : une colonie en lutte pour son indépendance, une brochure pour comprendre et soutenir. Le groupe se déplace régulièrement en France pour faire connaître ce combat.
Faidherbe doit tomber !
L’association Survie Nord a été à l’initiative en 2018 de la campagne “Faidherbe doit tomber !”. Extrait du dossier de campagne : “Qui veut (encore) célébrer le “père de l’impérialisme français” ? Depuis la fin du XIXe siècle, Lille et le nord de la France célèbrent perpétuellement la mémoire du général Louis Faidherbe. Des rues et des lycées portent son nom. Des statues triomphales se dressent en son hommage au cœur de nos villes. Il y a là, pourtant, un scandale insupportable. Car Faidherbe était un colonialiste forcené. Il a massacré des milliers d’Africains au XIXe siècle. Il fut l’acteur clé de la conquête du Sénégal. Il défendit toute sa vie les théories racistes les plus abjectes”. Le combat pour déboulonner les statues de Faidherbe et débaptiser les institutions qui portent son nom continue.
Les Sénégalais·es sont en avance sur nous : la place Faidherbe de Saint-Louis du Sénégal a été rebaptisée Place Baya-Ndar en 2020 ; le lycée de la ville qui portait le nom de Faidherbe est devenu le lycée Cheikh-Omar-Foutiyou-Tall en 1984.
Jean-Philippe, Survie Nantes