Transition énergétique :
Pourquoi s’opposer au photovoltaïque dans les espaces naturels, agricoles et forestiers sans pour autant accepter le nucléaire ? La “crise” de l’énergie est posée au détour d’une guerre et d’un dérèglement climatique dont on prend brusquement conscience. Après avoir nié pendant des décennies ces problèmes dont ils sont co-responsables, les décideurs se présentent subitement comme les sauveurs, avec des projets destructeurs. Notre camarade Agnès Bernard a rencontré des militant·es du collectif Elzéard-Lure en Résistance1, qui s’emploie à démasquer les véritables enjeux des projets en cours pour mobiliser la population.
L’Émancipation : Qui êtes-vous ?
Collectif Elzéard : Suite aux épisodes des Gilets jaunes sur les ronds-points et leur interdiction dans notre belle région des Alpes-de-Haute-Provence, quelques personnes se sont dit qu’on ne pouvait pas en rester là. Elles et ils ont pris l’initiative d’organiser toute une série de réunions-rencontres dans les villages au pied du massif emblématique de la Montagne de Lure, pour définir ensemble les thématiques qui préoccupaient les participant.es. L’énergie en était une parmi d’autres, avec les questions de la dépendance à un réseau très complexe, approvisionné pour une part importante par la cinquantaine de centrales nucléaires, et alors quoi mettre en face comme alternative ?
En même temps, nous avons découvert une multitude de projets d’installations de centrales photovoltaïques plus ou moins avancés, voire aboutis. Peu à peu nous nous sommes rendu compte que plus de 500 ha de forêts ou de zones naturelles, soit en propriété communale, soit privés, allaient être victimes d’une logique purement marchande pour le dire gentiment. Les impacts de cette vingtaine de centrales PV envisagées, sur la biodiversité, le climat, le micro-climat, sur une zone humide concernée, étaient soit complètement méconnus par une grande part des habitant·es, ou acceptés avec l’argument que les communes manquaient d’argent, que les taxes allaient augmenter autrement, et de toute façon on ne pouvait pas être contre tout.
Choqué·es par le préalable manque de concertation et de transparence réelle, nous, quelques habitant.es des petits villages ruraux d’horizons divers, avons créé fin 2019 le collectif Elzéard-Lure en Résistance.
L’Émancipation : Pourquoi vous opposez-vous à la construction de centrales photovoltaïques ou d’éoliennes dans la montagne de Lure ?
Collectif Elzéard : La vocation des espaces naturels, agricoles et forestiers est de garantir le maintien de la biodiversité, la captation du carbone, la reproduction du cycle de l’eau et aussi de garantir la production alimentaire au plus proche des consommateur/trices. Les doctrines régionales en matière photovoltaïque au sol sont de privilégier les zones déjà “anthropisées”, les toitures, etc. L’ADEME, agence de l’État, a recensé des centaines de milliers d’hectares de toitures disponibles. On constate, dans les zones artisanales, industrielles, commerciales situées dans les grandes et moyennes agglomérations et métropoles, très peu de photovoltaïque sur toiture. Que l’État fasse appliquer ses propres recommandations. Quelle logique à produire l’énergie dans les arrières-pays, loin des centres principaux de consommation ? Même RTE, le réseau de transport d’électricité français, se pose cette question.
L’Émancipation : S’opposer n’est-il pas, en fait, accepter la construction de nouvelles installations nucléaires ?
Collectif Elzéard : Cette transition énergétique, cette conversion soudaine à l’écologie, représentent plutôt une opportunité financière pour les multinationales et leurs actionnaires, grandement aidés par les fonds publics.
L’acceptation de la destruction et/ou l’artificialisation de milliers d’hectares d’espaces naturels, agricoles et forestiers dans toute la France est un non-sens, voire une catastrophe écologique. Ce n’est pas pour autant une acceptation du nucléaire, tout aussi dangereux et polluant pour d’autres raisons. On constate qu’aucune énergie n’est verte ni décarbonée, elles s’ajoutent les unes aux autres, et de nouveaux besoins sont créés continuellement pour nous donner, à ceux et celles qui ont les moyens, une illusion de bonheur par la consommation frénétique.
L’Émancipation : Les propositions du gouvernement répondent-elles à la gravité de la situation ?
Collectif Elzéard : Les propositions du gouvernement sont une fuite en avant catastrophique pour l’environnement. Tout en critiquant le Brésil pour sa déforestation de l’Amazonie, la France s’apprête en toute impunité à couper des milliers d’hectares de forêts au nom de la transition énergétique, alors qu’elle devrait tout faire pour les protéger, par exemple en redonnant plus de moyens humains à l’ONF. L’Europe elle-même refuse maintenant d’importer des produits qui impliquent une déforestation ailleurs.
L’Émancipation : Qu’en pensent la population et les municipalités concernées ?
Collectif Elzéard : La prise de conscience est très lente à s’élargir. La lutte se construit tout aussi lentement et se radicalise à la hauteur de l’autisme du gouvernement et de ses représentant·es2. La population locale, de plus en plus connectée à internet et à l’inverse, de plus en plus déconnectée du vivant et de son environnement proche, est peu encline à accepter des augmentations d’impôts. Le porte-monnaie l’emporte.
Notre but est d’informer, d’alerter la population locale et de mettre en garde face au démarchage insistant et opaque des multinationales auprès des communes et propriétaires privés, fait de manière insistante et opaque par des multinationales. Nous voulons aussi faire connaître in situ les espaces concernés avec tout ce qui y vit, la faune, la flore, la partie invisible du vivant, qui sera détruit si on n’arrive pas à empêcher ce rouleau compresseur. Rouleau compresseur qu’aucune enquête publique, qu’aucun avis défavorable des organismes consultés n’est capable d’enrayer sans une opposition solide en face. Les municipalités pour leur part, voyant les dotations de l’État diminuer, sont prêtes pour un grand nombre à privatiser les biens publics que sont leurs forêts communales en se tournant vers des opérateurs privés. Notre combat, autant écologique que politique, est pour les générations futures et veut démystifier cette transition écologique, qui n’en est pas une, mais qui va accélérer les bouleversements climatiques. Nous ne croyons pas au capitalisme vert et ne pouvons que faire des propositions de bon sens3.
L’Émancipation : Que proposez-vous comme alternative ?
Collectif Elzéard : Le gaspillage alimentaire, la gabegie de l’habillement, l’obsolescence programmée, le stockage dans les data center de nos données personnelles et de toutes nos activités sur le web, la fabrication et la vente des objets connectés, et plus généralement de toute cette technologie qui, au nom de l’innovation nous rend de plus en plus dépendant de cette soi-disant “intelligence” artificielle, ont un impact considérable sur nos émissions de CO2 que personne ne comptabilise et qui n’apportent rien que du faux confort, de la fausse sécurité, de la beauté artificielle… “L’illusion du bonheur”. Il faut s’en passer.
Il n’y a pas d’énergie propre. On ne sait pas aujourd’hui transformer une énergie naturelle ou fossile sans préjudice pour la nature qui est notre habitat.
La seule énergie propre est celle que nous ne transformons pas. Le vent qui fait avancer un bateau, ou fait tourner les pales d’un moulin, le soleil qui chauffe directement un four ou de l’eau ou un liquide caloporteur comme dans le solaire thermique. Mais cela ne nous suffira pas.
Il faut donc continuer à produire de l’énergie de la façon la moins préjudiciable possible pour notre environnement.
Combien ? Comment ? Où ?
Par qui : l’État ? Les collectivités ? Les particuliers ? Probablement un peu tous, sauf le secteur privé, et surtout pas des multinationales – comme Qénergie filiale de la société coréenne Hanwa, Engie, Boralex, etc. – dont les sièges sociaux sont bien souvent hors Union Européenne, ce qui les met hors de notre juridiction en cas de procès.
Nous, le collectif ELZÉARD, ne proposons pas de solution miracle, mais des propositions de bon sens :
- supprimer le gaspillage ;
- -que les centres commerciaux qui consomment surtout le jour produisent leur électricité, sur les toits et sur les parkings ;
- que les zones industrielles fassent de même ;
- que l’on produise au plus près des lieux de consommation en règle générale ;
- mais qu’on interdise les panneaux solaires sur les zones naturelles, forestières ou agricoles.
Posons-nous la question : de quoi avons-nous réellement besoin, pour quels besoins essentiels ? Combien d’énergie nous faut-il pour ces besoins essentiels, et comment la produire de façon la moins préjudiciable ?
L’Émancipation : Quel type de combat menez-vous ? Pour qui ? Comment ?
Collectif Elzéard : Nous soutenons les projets citoyens et raisonnables de production. Nous soutenons l’agriculture paysanne, de proximité et biologique. Nous sommes pour des forêts aux essences diversifiées productrices de biodiversité, de fraîcheur et de pluie. Nous réfléchissons à comment réduire notre consommation, individuellement et collectivement. Nous nous opposons aux projets industriels qui détruisent le vivant donc ne peuvent qu‘aggraver la situation dramatique qui va s’accentuer les prochaines années.
Nous essayons d’expliquer et de convaincre ceux et celles qui sont dans la confusion entretenue par les médias et les lobbies et ne savent pas quoi en penser.
Propos recueillis par Agnès Bernard
- D’après la nouvelle L’homme qui plantait des arbres de Jean Giono, qui se déroule dans la Montagne de Lure. ↩︎
- Une membre de notre collectif a été blessée lors de l’occupation d’un site en cours de destruction, et une plainte déposée auprès du procureur. ↩︎
- Texte intégral “Démystifier la transition écologique”, 7 pages sur le site de www.lureenresistance. ↩︎