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Féminismes dans le monde

Pauline Delage, sociologue au CNRS dans l’unité CRESPPA-CSU à Marseille, était invitée par l’assemblée générale de la grève féministe de Dijon le 7 février 2024 pour parler et débattre de son livre, coécrit avec Fanny Gallot et paru en 2020, Féminismes dans le monde, 23 récits d’une révolution planétaire. Pauline Delage a cofondé le réseau VisaGe pour fédérer les auteur·es de recherches en cours sur les violences fondées sur le genre.

Histoire des féminismes et la vague “Metoo” actuelle

Pour Pauline Delage, nous entrons dans un nouveau cycle de mobilisation à partir de Metoo, qui touche beaucoup les questions des violences sexistes mais aussi le travail salarié et la justice reproductive1. Elle se passe dans un cadre international avec des traits communs entre les différents mouvements et des spécificités locales.

Il existe un débat sur les périodes (ou vagues) de féminismes : la première vague a eu lieu au XIXe et début du XXe siècle avec les luttes pour le droit au suffrage ; vient ensuite une deuxième vague dans les années 60-70 avec le MLF qui revendique le droit à disposer de son corps (notamment avec le droit à l’avortement et à la contraception) et que le privé est politique. Certain·es historien·nes des mouvements féministes ajoutent une troisième vague dans les années 90-2000 qui interroge l’universalité de l’expérience des femmes avec des approches intersectionnelles (diversité socio-raciale et sexuelle) et queer (binarité des sexes et des genres). Cette troisième vague a des temporalités différentes suivant les pays. Enfin, dans la continuité de la troisième vague (ou dans cette troisième vague suivant les points de vue), se situe la quatrième vague Metoo.

Cette vague se situe dans un contexte particulier où de plus en plus d’États et d’organisations nationales ou supranationales reconnaissent l’égalité et l’accès aux droits, alors qu’il persiste des inégalités et l’absence de reconnaissance de(s) femme(s), des minorités de genre et que la diversité des femmes est niée. Les mobilisations prennent d’autres formes avec un renouvellement des militantes, l’arrivée de primo-militantes avec des usages des réseaux sociaux, qui ouvrent rapidement à l’international et intègrent encore plus les rhétoriques intersectionnelles. Les mobilisations se situent autour des enjeux des égalités de genre avec une juxtaposition et/ou une intégration dans d’autres mouvements sociaux. Cette intégration questionne aussi les mouvements sociaux eux-mêmes pour intégrer les luttes contre les inégalités dans les revendications mais aussi dans les pratiques militantes.

Présentation du livre

Dans le livre Féminismes dans le monde, Pauline Delage et Fanny Gallot ont regroupé 23 récits de militantes de tous les continents et font découvrir des luttes féministes locales ou nationales dans 23 pays sur différentes thématiques comme les violences sexuelles, les droits procréatifs, le travail salarié, l’anticolonialisme, le mouvements transgenres, et les grèves féministes.

Deux axes ont été développés au cours de la conférence : la grève féministe à travers le monde et le mouvement Metoo.

La grève féministe à travers le monde

Ce mode d’action est redevenu central avec le renouvellement militant, même s’il ne constitue pas le seul mode d’action féministe. Le 24 octobre 1975, 90 % des islandaises cessent le travail rémunéré et domestique, provoquant la quasi-fermeture du pays pour une journée. La grève oblige ainsi les pères à amener leurs enfants au travail, les femmes refusant la garde et les garderies étant fermées. Cette grève est accompagnée d’une large manifestation et oblige le parlement islandais à adopter une loi garantissant l’égalité des droits.

La grève féministe reprend le mode central du mouvement ouvrier pour rendre visible le travail des femmes dans le salariat, le travail productif et dans le non salariat, invisible, le travail reproductif. Plusieurs exemples plus récents de grève féministe émergent : en Pologne en 2016 contre un projet de loi bannissant l’avortement. À partir de 2015, en Argentine, dans un contexte de réduction des droits des femmes et d’oppression patriarcale, les Argentines s’organisent pour appeler à une journée internationale de grève féministe pour le 8 mars 2017, le “Paro International de Mujeres” (PIM), pour revendiquer le droit à l’avortement libre mais aussi dénoncer le manque de reconnaissance et de répartition du travail de soins non rémunérés, valoriser le travail invisible et construire des réseaux de solidarité. La grève est précédée d’actions menées le 25 novembre 2016 pour la journée internationale des violences faites aux femmes et le 21 janvier 2017 en solidarité avec la Women’s march de Washington. Le slogan de cette grève féministe est “la solidarité est notre arme”. La militante Celina Rodriguez souligne d’ailleurs : “il n’y a pas de faits magiques dans l’histoire des femmes, le PIM est un processus de lutte où deux éléments ressortent : la grève comme outil […] et l’internationalisme”.

La grève du 8 mars 2017 essaime de par le monde et permet la formation depuis de comités et d’assemblées pour organiser des grèves féministes avec le même type de mots d’ordre qu’en Argentine. Ainsi, le 8 mars 2018 constitue une journée importante de grève en Espagne, tandis qu’en Suisse, les femmes et les hommes sont appelé.es à faire grève le 14 juin 2019. Cette grève est menée par les syndicats dans lesquels les femmes ont mené la bataille pour l’appel à la grève mais aussi dans des comités locaux non syndicaux. Elle est massive et de très nombreuses actions sont menées pendant 24 heures, et autour de 15h24, heure à laquelle les femmes commencent à travailler gratuitement et aussi plus 60 000 manifestant·es à Lausanne qui s’est trouvée trop petite pour accueillir tant de monde. Les entreprises et plus généralement le monde capitaliste ont voulu s’approprier ce jour en proposant aux salarié·es de porter des badges de solidarité avec les femmes ou en proposant aux femmes de prendre un congé pour ce jour. En plus de ces exemples développés lors de la conférence, le livre reprend d’autres coordinations de grèves féministes en Belgique par exemple. Les témoignages du livre mettent en avant les différentes modalités de constitution des assemblées locales et l’organisation des grèves féministes le plus souvent en articulation avec des syndicats.

Place de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, de genre et masculines

En 2017, l’actrice américaine Alyssa Milano utilise sur twitter l’expression Metoo pour décrire les violences sexuelles subies lors de sa carrière, la libération de sa parole est la conséquence de la publication de l’enquête contre Harvey Weinstein par le New York Times. Elle provoque une déferlante sur le réseau social par des retweet de nombreuses femmes qui font part de leur solidarité et/ou de violences similaires. Le mouvement perdure d’autant plus sous la présidence de Donald Trump avec ses propos sexistes réguliers. Pourtant, la travailleuse sociale afro-américaine Tarana Burke avait fondé l’association “Metoo” plus de 10 ans auparavant, en 2006, pour lutter contre les violences sexuelles commises contre les petites filles noires dans les quartiers populaires. Évidemment, la différence de traitement entre le témoignage d’une actrice blanche et riche contre une femme racisée et pauvre interroge sur le mouvement Metoo lui-même et sur ce qui est entendu dans l’espace public. Les réseaux sociaux façonnent et créent un cadrage narratif avec une reproduction des dominations car certaines expériences sont audibles et d’autres non.

De plus, la dénonciation des violences sexistes avait déjà commencé depuis plusieurs années de par le monde : en Égypte, lors de la révolution de la place Tahir en février-mars 2011, le mouvement féministe a joué plusieurs rôles, dont celui d’empêcher les viols et violences sexistes commises par l’armée lors de l’occupation de la place, celui de convaincre les militant·es que le combat contre les violences sexuelles faisait partie intégrante de la révolution et qu’intégrer la place des femmes dans la “théorisation” de la révolution était nécessaire. Ceci a été possible par l’investissement de nouvelles militant·es qui intégraient au cœur de leurs revendications les droits LGBTQ et les droits individuels et sexuels. Elles ont voulu contrer le discours dominant en utilisant des outils féministes tels que le journalisme citoyen, les initiatives pédagogiques ou assemblées générales.

En Amérique latine, la lutte contre les violences sexuelles, sexistes et les féminicides a aussi démarré avant 2017 avec le mouvement NiUnaMenos (Pas une de moins) qui rassemble dans la rue plus de 300 000 personnes le 3 juin 2015 et se poursuit ensuite. La chorégraphie féministe chilienne “Le violeur c’est toi !” fait le tour de la planète en 2019 : les femmes sont alignées, bandeau noir sur les yeux, foulard autour du cou, pointent du doigt en chantant : “Et ce n’est pas de ma faute, ni de l’endroit où je me trouvais, ni de comment j’étais habillée… le violeur c’est toi ! Ce sont les policiers, les juges, l’État, le président. L’État oppresseur est un macho violeur”.

Les deux exemples de mobilisations pour la grève féministe et “Metoo” montrent des points de convergence sur les revendications et les modes d’actions des femmes à travers le monde. Au-delà de ces mouvements transnationaux, il existe des mouvements locaux ou nationaux contre le colonialisme comme en Amérique latine, contre le racisme en Roumanie, sur les luttes indigènes pour les terres en Équateur. Le livre recouvre ainsi de nombreux sujets féministes et pour les luttes pour les minorités, en traitant à la fois des revendications, des modalités d’organisation et de mobilisation ainsi que des obstacles.

Marine Bignon

Féminismes dans le monde, 23 récits d’une révolution planétaire, Pauline Delage Fanny Gallot, Textuel, 2020, 208p., 15,50€.

À commander à l’EDMP, 8 impasse Crozatier, Paris 12, edmp@numericable.fr

  1. Le terme justice reproductive combine les droits reproductifs et la justice sociale. C’est un cadre créé par des militantes de couleur pour aborder les façons dont la race, le sexe, la classe sociale, les capacités, la nationalité et la sexualité s’entrecroisent. ↩︎