Catherine Garnier-Davey est enseignante de français langue seconde dans des dispositifs UPE2A en collège en Côte-d’Or. Ces dispositifs ont été allégés à la rentrée 2023.
L’Émancipation : UPE2A, FLE, FLS, MNA, l’Éducation nationale adore les sigles ! Qu’est-ce que ça signifie ?
Catherine Garnier-Davey : Les dispositifs d’accueil pour élèves migrants (UPE2A : Unité Pédagogique pour Élèves Allophones Arrivants) permettent aux jeunes allophones arrivant en France de suivre entre 12h et 18h de cours de français par semaine (FLS, Français Langue Seconde et Flsco, Français de Scolarisation) pour s’insérer progressivement dans le système scolaire français. C’est le cadre que pose la circulaire de 2012 (n° 2012-141 du 2/10/2012) qui stipule l’inclusion en classe ordinaire comme modalité principale de fonctionnement. En clair un emploi du temps d’un élève allophone comporte 12 à 18h de FLS complété progressivement jusqu’à hauteur de 26h par des cours ordinaires dans différentes matières. Les cours sont assurés par des professeur·es formé·es ayant la certification FLE/FLS (Français Langue Étrangère, c’est à dire le français LV1 ou LV2 apprise à l’étranger). Ces derniers s’occupent aussi de l’accueil, du positionnement et de l’intégration de ces élèves à leur arrivée ainsi que de leur orientation et aiguillage social ultérieur (vers l’aide sociale, l’infirmière, les psychologues). Ils/elles sont aussi en lien avec les éducateur·trices lorsque l’élève est un MNA (Mineur Non Accompagné).
L’Émancipation : Quelle est la spécificité de la prise en charge pédagogique de ce public ?
C . G-D : Notre objectif est que les élèves aient les outils linguistiques, didactiques pour suivre en classe ordinaire, qu’ils et elles aient les codes. Ça passe par la désignation du matériel scolaire, l’organisation du cahier, la mise en page d’une copie, des choses aussi simples que la marge à gauche ou le sens de la lecture gauche-droite !
On travaille aussi beaucoup les consignes propres à chaque matière, ce qui fait qu’on est en lien avec les équipes pour être au plus près des besoins de chacun·e.
On les habitue rapidement à l’écrit, ce qui n’est pas le cas dans d’autres systèmes surtout dans l’apprentissage des langues reposant davantage sur l’oralité. On s’aperçoit qu’en France, on doit tout rédiger dans toutes les matières. C’est une difficulté supplémentaire. C’est un changement important même pour les élèves qui ont été scolarisés dans leur pays d’origine.
Concrètement, on est une sorte de sas, on prépare l’inclusion complète qui est un peu un saut dans le vide pour les élèves. L’UPE2A est perçue souvent comme un cadre rassurant, un cocon au sein duquel les élèves développent des amitiés fortes et durables.
L’Émancipation : Sur quels types de savoirs repose l’enseignement en UPE2A ?
C. G-D : Ce qui fait l’intérêt et la difficulté de cet enseignement, c’est qu’il demande des savoirs variés, savoirs linguistiques, bien sûr mais aussi disciplinaires. Il faut de plus faire passer des savoir-être et des compétences interculturelles. Cela demande une bonne dose de psychologie ! Tout·e enseignant·e tient compte des émotions de ses élèves, a fortiori avec un public fragile, déraciné, venant de zones de conflits ou ayant vécu des situations traumatiques. On doit être d’autant plus vigilant·e et à l’écoute. Aborder des souvenirs heureux de leur passé peut être un support efficace et peut libérer la parole en français mais il faut le faire avec délicatesse. Décrire son jardin, son plat préféré, partir du vécu des élèves, de documents authentiques, autant de situations d’échanges souvent riches et forts.
L’Émancipation : Avec qui travailles-tu ?
C . G-D : L’arrivée d’un allophone, ça n’est pas anodin dans un établissement et ça déstabilise beaucoup de monde. On doit être là pour répondre aux questions de chacun·e à tous les niveaux. On est en lien aussi bien avec la direction, les secrétaires, les collègues de toutes matières – qu’il faut parfois rassurer – qu’avec les familles, les éducateur·trices, l’assistante sociale, les équipes en charge d’un éventuel suivi psychologique. On est de fait le réceptacle de toutes sortes de demandes, y compris personnelles. On est souvent le/la premier·e interlocuteur·trice, on représente beaucoup pour l’élève, malgré nous. Sans vouloir être intrusif, on est parfois confronté à des réalités intimes, perte d’un logement, manque d’argent pour la cantine, maladie, OQTF, qu’on ne peut pas ignorer. Le/la jeune, démuni·e, ou sa famille se tourne souvent vers nous. Il s’agit alors de trouver la bonne distance et la bonne réponse qui ne relève pas toujours du pédagogique.
L’Émancipation : Est-ce que tu perçois des évolutions dans ton travail ces dernières années ?
C. G-D : Dans un contexte de loi d’immigration qui considère les migrant·es comme des délinquant·es et des coupes budgétaires qui rigidifient les dispositifs voire les mettent en danger, l’ambiance est morose.
Depuis cette rentrée, les dispositifs UPE2A en collège de l’académie sont tous passés à 9h, en deçà de la circulaire nationale, sous prétexte d’ouvrir de nouveaux dispositifs. La logique qui préside à cette évolution est purement comptable. À moyens constants on veut afficher des UPE2A vitrines en augmentation mais qui sont en réalité dépouillées de moyens viables pour assurer l’intégration des élèves.
Il faut qu’il y ait une vraie prise de conscience de tou·tes, collègues comme personnel administratif : le nombre de migrant·es ne va pas diminuer et la réussite de leur intégration passe par une prise en charge de qualité par des personnels compétents et formés.
L’Émancipation : Mais pour être plus précise, quelles sont les conséquences sur le suivi des élèves ?
C. G-D : Du fait d’une prise en charge allégée, les élèves se retrouvent perdu·es, à la recherche d’une salle de classe, de quelqu’un·e qui leur explique les démarches d’orientation ou un papier administratif, les emplois du temps, les démarches de stage.
Normalement le rôle de suivi devrait être désormais assuré par les professeur·es principaux des classes d’inclusion. En réalité ils/elles ne connaissent pas les élèves d’UPE2A, méconnaissent les spécificités et les contraintes de l’orientation d’un élève allophone, n’ont pas le temps (ou ne le prennent pas) de se consacrer à ce public particulier. Pour information les élèves à besoins particuliers bénéficient d’une scolarité complète avec la présence d’un référent ULIS (Unité localisée pour l’inclusion scolaire) à 18h pour un dispositif à 12 élèves maximum. Comparaison n’est certes pas raison, mais une telle organisation serait bien plus adéquate pour les élèves allophones comme c’était le cas à l’origine lors de la création du dispositif. On en a perdu l’esprit et on n’a pas su faire face à l’afflux de jeunes allophones dans le système éducatif. Aujourd’hui, on gère la pénurie et les urgences. On divise par deux l’horaire alors qu’il faudrait au contraire renforcer le dispositif. La réduction du temps de cours à 9h contrevient à la directive de 2012. Concrètement il manque 3h de cours de FLS par semaine aux élèves, à charge pour chaque établissement de trouver le financement et le personnel ressource pour les assurer. On est loin d’atteindre cet objectif. Les établissements ont d’autres priorités budgétaires et le personnel compétent en FLS n’est pas si nombreux.
L’Émancipation : Quels sont les arguments du Rectorat sur le sujet ?
C. G-D : Les motifs principaux des changements de dispositif étaient qu’aucun ne fonctionnait de la même façon sur l’académie et que nous étions vus comme un dispositif fermé, comme une classe sans contact avec le reste de l’établissement. Or il fallait à tout prix inclure ! C’est pourtant ce que je fais depuis 2008 en intégrant systématiquement les élèves dès leur arrivée, dans des classes ordinaires. En général ils et elles sont affecté·es dans les cours d’EPS, d’éducation artistique et musicale. Puis viennent rapidement les cours de maths et ceux d’anglais. De fait j’ai toujours été en contact avec les équipes d’autant plus qu’on est dans de petites structures où il est facile de rencontrer les collègues. Cela devient plus difficile désormais quand on est à cheval sur deux établissements ! Et nous attendons toujours les orientations officielles du nouveau dispositif. Pour l’instant le Rectorat a surtout critiqué l’ancienne organisation sans donner un cadre précis à leurs attentes. On est toujours dans le flou. On agit pour le mieux bien sûr mais on tâtonne en permanence et c’est assez éprouvant ! On n’est pas fermé aux évolutions mais il faut que cela se fasse dans un cadre serein, à la fois pour les élèves, pour nous, pour l’administration et les autres collègues. Je viens de rencontrer une ancienne élève qui a maintenant un master euro média. Pas sûre qu’elle aurait acquis autant d’assurance avec seulement 9h de FLS ! Et c’est bien là l’enjeu du dispositif : intégrer ces jeunes, comme autant d’atouts pour notre société.
Interview réalisé par Nathalie Morel