L’Émancipation syndicale et pédagogique a rencontré E., médecin généraliste qui travaille aussi au centre Simone Veil ou CIVG, centre de contraception et d’IVG du CHU de Nantes. Elle anime aussi des formations sur la contraception masculine à l’attention des médecins.
L’Émancipation : Qu’est-ce que le centre Simone Veil et comment travaillez-vous ?
E. : C’est un centre où sont pratiqués des IVG, mais qui est aussi dédié aux questions de contraceptions, et également de contraceptions masculines. Notamment nous réalisons des vasectomies sous anesthésie locale. Nous sommes actuellement quatre médecins généralistes et trois urologues – une majorité de femmes – l’équipe s’est étoffée, mais nous peinons malgré cela, à répondre à toutes les demandes dans des délais rapides.
L’Émancipation : À quoi est due cette augmentation des demandes selon toi ? Comment la contraception masculine est-elle médiatisée ? Y a-t-il encore des freins ?
E. : Il y a clairement un manque de volonté politique d’en parler : il y a des campagnes d’information sur les contraceptions féminines mais pas masculines.
Moi, seule, je ne peux rien y changer et je me sens impuissante. Une collègue fait partie d’un groupe de réflexion qui fait des propositions à l’ARS (Agence Régionale de Santé), donc en soi tu peux avoir un poids mais ça demande tellement d’investissement qu’il faudrait presque vivre pour ça. Mais je suis généraliste et je n’ai pas envie de n’avoir qu’un seul cheval de bataille.
Mais sur la vasectomie, il y a un changement de mentalité ces dernières années, qui ne vient pas des campagnes d’info, mais plutôt du bouche à oreille entre les hommes qui ont été vasectomisés. Cela s’accompagne d’une lente prise de conscience que ce sont les femmes qui sont en charge de la contraception et que cette charge est lourde. En tout cas, il y a des gens différents qui viennent de milieux divers se renseigner sur la vasectomie et les vasectomies ont été environ multipliées par 10 en 10 ans.
Au CHU, on peine d’ailleurs à répondre à cette augmentation : il y a actuellement neuf mois d’attente pour avoir un rendez-vous. Auxquels il faut ajouter les qutre mois de réflexion médico-légales, requis avant l’intervention. La vasectomie est ensuite efficace trois mois après l’intervention… la procédure est longue. Au Canada, la vasectomie est pratiquée par le généraliste en cabinet. Nous n’en sommes pas là en France… et du coup la vasectomie touche au Canada des milieux que nous touchons peut-être un peu moins ici.
S’ajoutent à cela les critères parfois décourageants des cliniques privées : si tu as moins de 37 ans et même si tu as trois enfants, on te refuse. On se retrouve au CHU avec les gens qui sont rejetés des cliniques.
Autre problème que la médiatisation et l’accès à la vasectomie : la sécurité sociale ne rembourse que 67 euros sur l’acte. Or, dans un système qui valorise la tarification à l’acte, la vasectomie n’est pas rentable sur cette base de la sécurité sociale, ce qui pousse beaucoup de cliniques à faire des dépassements d’honoraires… cela trie encore un peu plus les candidats.
L’Émancipation : Tu animes des formations sur la contraception masculine pour les médecins, comment procèdes-tu ?
E . : On a quelques choix à proposer en termes de contraception masculine, mais pas beaucoup et la question est de savoir jusqu’où on va en tant que médecin. La meilleure contraception c’est celle qu’on choisit, donc il faudrait ajouter les options de contraception masculine au panel de ce que l’on propose, mais il est difficile de présenter ces contraceptions masculines comme l’alternative par excellence. C’est pour ça que je fais des formations sur ça, pour que les médecins sachent que ça existe, et en informent les patients, les orientent, en fonction de toutes les possibilités.
Je commence ma formation par un débat mouvant sur la question : peut-on faire confiance aux hommes sur la contraception ? Il y a pas mal de “non” : en effet, quoiqu’il en soit, ce sont les femmes qui doivent gérer les conséquences d’une éventuelle défaillance de la contraception. D’où la nécessité de présenter les choses autrement, pour faire évoluer les mentalités.
Il y a également des initiatives locales avec par exemple à Nantes l’association, les “gonades” qui accompagne les hommes qui se questionnent et fabriquent du matériel de contraception masculine, c’est très artisanal.
L’Émancipation : Selon toi, que faudrait-il pour faire bouger les choses ?
E. : Une petite révolution en France c’est le principe de la remontée testiculaire, qui consiste à faire remonter les testicules pour bloquer la production de spermatozoïdes, par exemple avec un anneau. C’est une pratique de niche, qu’on retrouve plutôt dans les milieux militants pour le moment. Le Planning Familial de Nantes propose une consultation dédiée et le CHU aussi. Mais il y a peu d’infos qui circulent là-dessus. En plus, le créateur de l’anneau n’a pas breveté son invention, et il n’a pas été commercialisé comme dispositif médical, ce qui fait qu’il est vendu comme… talisman sur internet ! C’est difficile de présenter un dispositif qui n’est pas tout à fait dans les clous même s’il n’est pas illégal et qu’il fonctionne. En plus, c’est un dispositif contraignant : il faut le porter 15h par jour en journée. Si tu perds une heure, c’est un mois de contraception perdue. Il faut refaire un spermogramme. Les démarches sont lourdes.
Sur la contraception masculine hormonale (injections ou crèmes), il n’y a pas beaucoup d’études : ce n’est pas remboursé, il y a des effets indésirables pénibles (tout comme les pilules contraceptives pour les femmes d’ailleurs), et ce n’est prescriptible que pour un an et demi par des endocrinologues. C’est très contraignant, donc ça ne se pratique pas trop. Mais ce n’est pas impossible de trouver des solutions… On a réussi à faire la “prep” (prophylaxie pré-exposition) contre le VIH, c’est une révolution, mais on n’arrive pas à créer une contraception masculine moins contraignante ! C’est aberrant, c’est clairement un manque d’études sur le sujet.
Après il reste les contraceptions “classiques” mais efficaces : il faut savoir que pour les moins de 26 ans, les préservatifs sont gratuits en pharmacie sur présentation de la carte d’identité. C’est un droit. Pour les plus de 26 ans, les médecins peuvent prescrire des préservatifs sur ordonnance : deux marques sont remboursées.
Je prescris des préservatifs et la pilule d’urgence au cas où ils craquent, je la prescris aussi aux hommes au cas où et pour partager la responsabilité et la prise en charge des conséquences, et qu’ils puissent eux aussi aller la chercher en pharmacie pour leur partenaire. C’est intéressant, chez les ados notamment, pour montrer que les hommes ont aussi une part à jouer… On peut les conscientiser sur le préservatif et la pilule d’urgence.
Évidemment, cela pose aussi la question des cours – supposés être faits chaque année – à l’éducation sexuelle et affective : parler de la contraception et de la vasectomie, juste pour savoir que ça existe, serait important.
Propos recueillis par Karine