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De quoi le sport est-il imbibé ?

Le sport, emblème du dépassement de soi ? Référence morale pour la jeunesse ? La réalité de ce que doit absorber un “sportif de haut niveau” tord le cou à ces affirmations.

En août 2023, Paul Pogba surnommé “La Pioche”, un footballeur international français est contrôlé positif aux métabolites de testostérone. Sous contrat avec la Juve, il a été suspendu à titre provisoire par l’Agence italienne antidopage (Nado) en attente de son jugement par le Tribunal national antidopage, à l’issue duquel il risque quatre ans de suspension.

Les gens sont surpris du dopage dans le foot. Mais ça fait partie intégrante du sport de haut niveau1. Ces propos de Tibo InShape postés sur YouTube ont provoqué la colère de nombreux sportifs français.

Rappelons que l’article paru dans le numéro précédent de L’Émancipation syndicale et pédagogique a fait une claire distinction entre “sport” et “activité physique”.

Une grande imposture

Spécialisé dans le domaine de la musculation, Tibo InShape vend des produits nutritionnels, notamment des boosters pour augmenter les “performances sportives”, “maintenir la masse musculaire”, et qui “vous aideront à vous surpasser chaque jour un peu plus”. Il connaît parfaitement le milieu sportif.

Suite aux propos de Tibo InShape, la ministre des Sports Amélie Ouedéa-Castéra a aussitôt réagi :

Oui, le dopage existe dans le haut niveau comme dans le monde amateur. Mais respectons l’immense majorité des athlètes qui, à l’entraînement comme en compétition, respectent les règles et qui, à chaque instant, sont susceptibles d’être contrôlés […] Respectons nos institutions indépendantes qui réalisent de nombreux prélèvements et analyses pour garantir un sport propre. Ces contrôles, et les moyens qu’on y consacre, sont d’ailleurs en hausse continue : rien qu’au niveau national, l’Agence française de lutte contre le dopage va réaliser cette année plus de 12 000 prélèvements, contre moins de 8 000 il y a cinq ans » 2.

Or, en matière de lutte contre le dopage, l’Agence Mondiale Antidopage, (AMA) et ses affidés, l’Agence Française contre le Dopage (AFLD), l’Agence de contrôle international (ITA) et autres “institutions” ne sont pas crédibles.

Le docteur Jean-Pierre Mondenard, médecin du sport, spécialiste des questions relatives au dopage précise que les médicaments de la performance “nécessitent une connaissance approfondie de tous leurs aspects”. Pourtant, “les personnes nommées à la présidence de l’Agence n’ont jamais fait d’étude de physiologie, de pharmacologie ou de médecine leur permettant de diriger efficacement cette institution hyper-technique”.

Or, “tout le milieu de la compétition le sait, certaines substances illicites sont encore indétectables à ce jour”, ou “sont absents de la liste”.

Des mesures qui libéralisent le dopage

Le code mondial anti-dopage distingue : les substances interdites en et hors compétition et les substances prohibées uniquement en compétition . Ces dernières peuvent donc être consommées à l’entraînement jusqu’à deux jours avant la compétition suivante afin que les substances prohibées ne soient plus détectables.

Parmi ces substances autorisées hors compétition, on trouve des stimulants du système nerveux comme la cocaïne, la Carphédon…, des narcotiques (la morphine…). “Ces substances lèvent les inhibitions mentales et physiques tout en boostant la motivation. Elles favorisent la rage de s’entraîner plus longtemps de flirter avec ses limites”, et “l’ensemble des avantages acquis à l’entraînement sera parfaitement exploitable en compétition” 3.

Depuis 2004, sous la pression de Coca-cola (sponsor aux JO et sur le Tour de France), l’AMA autorise le dopage à la triméthylxanthine. La caféine appartient à la famille des xanthines. Elle est utilisée sous forme de chewing-gums énergisants, de maté, de guarana de comprimés… Elle a un réel pouvoir d’amélioration de la précision du tir et de la détente verticale des footballeurs.

Le cannabis et les glucocorticoïdes sont aussi utilisés. Des études montrent que les corticoïdes “potentialisent les effets de l’EPO”. “Ils permettent de réduire les doses d’EPO et donc de rendre plus difficile sa détection lors des contrôles antidopage”.

Dans un autre article titré “L’inefficacité des contrôles dans la lutte antidopage. La preuve par les témoignages et les enquêtes judiciaires”, le Dr Mondenard met en évidence le fait que “seuls les imbéciles, les maladroits, les mal conseillés ou les simplets se font prendre par les radars analytiques”. Par contre, “les pros de la dope franchissent les tests le sourire aux lèvres4.

La réalité, c’est que, contrairement aux assertions de la ministre AOC, comme le montre Christian Godin, les contrôles réalisés dans le cadre des JO n’ont pas pour finalité l’éradication dopage dans le sport de compétition mais la diffusion d’un message bien déterminé : les Jeux sont essentiellement “propres”, et lorsqu’il y a dopage, c’est le fait de quelques tricheurs qui seront durement sanctionnés.

Le pire est à venir

Si une compétition était simplement une affaire de jeu, il n’y aurait pas ce recours effréné aux techniques et technologies extrêmes. Mais le sport est un spectacle avec la fabrique de champions et de championnes, de stars, de dieux du stade. La recherche permanente à atteindre des résultats meilleurs, conduit à l’utilisation de produits et de technologies pour tenter de dépasser les limites humaines.

D’ores et déjà, les champions sportifs ne présentent plus en général l’apparence physique ordinaire qu’ils avaient auparavant. Et aujourd’hui, c’est le recours à la thérapie génique par les athlètes qui est au cœur des débats.

Un article de Sciences et Avenir – La Recherche considère qu’une “nouvelle stratégie de fraude potentiellement indétectable devient possible”. Cela est possible grâce aux “techniques de thérapie génique et autres façons de modifier l’expression des gènes, telle l’injection d’ARN utilisée par les vaccins à ARN contre le Covid-19”. “Des séquences d’ADN ou d’ARN sont introduites dans des tissus spécifiques pour altérer l’activité de certains gènes et l’expression des protéines […]. Ce matériel génétique constituerait des séquences codantes pour des protéines associées à la performance physique telle que l’érythropoïétine (EPO), une hormone qui augmente le nombre de globules rouges et donc la teneur en oxygène du sang. La respiration devient plus aisée et la récupération est plus rapide” .

La loi dite olympique, adopté par le Parlement le 12 avril 2023, a légalisé les tests génétiques jusqu’à présent interdits en France, dans le cadre de la lutte contre le dopage. Et ce, de façon pérenne et pas seulement de façon expérimentale.

Ainsi, au nom de la transposition du code mondial antidopage dans le droit français le Laboratoire antidopage français (LADF) pourra comparer les empreintes génétiques des sportifs pour détecter des substitutions d’échantillons ou des transfusions sanguines. Il pourra également mettre en œuvre des techniques plus intrusives d’examen de caractéristiques génétiques visant à détecter des mutations génétiques naturelles ou le recours à des techniques de dopage génétique.

Or, les experts craignent pourtant que cette fraude persiste à rester indécelable.

EE-LV et La France insoumise ont dénoncé “la possibilité de procéder à l’examen de caractéristiques génétiques sans le consentement de la personne”. Le Conseil constitutionnel a néanmoins validé la loi.

Les prélèvements et les analyses qui pourront être effectués sans l’accord des personnes concernées ouvrent ainsi la voie à ce que ces tests soient pérennisés rapidement. Se profile ainsi une profonde atteinte aux libertés fondamentales.

La vraie solution : abandonner la compétition

Le dopage est indispensable pour produire des champions, de la performance et du spectacle. Il est au service d’une fuite en avant pour dépasser les limites humaines : toujours “plus vite, plus fort, plus haut”.

Même si la santé du sportif est prise en compte, même si “l’esprit du sport” est respecté, “l’individu est ravalé au statut de machine à battre des records”. “Il est donc presque impensable qu’on puisse empêcher des athlètes de se doper pour se dépasser, quand l’exigence de ceux qui les font vivre (sponsors, spectateurs…) est qu’ils battent des records et qu’ils gagnent5.

Les auteurs considèrent que la véritable alternative au dopage, c’est “l’abandon de la compétition, de la guerre de tous contre tous. Une telle lutte souvent considérée comme inhérente à la nature humaine pourrait être avantageusement remplacée par la coopération. Cela demandera des changements de valeurs, de normes sociales, qui ne se produiront pas aisément”.

Cela impose l’organisation d’une autre société, d’un autre système économique où la production et la science seront mises au service de l’ensemble de la population et dont le moteur ne sera plus la recherche du profit maximum pour une minorité, celle qui détient les moyens de production, et qui vit de l’exploitation du travail humain de l’immense majorité de la population.

Le combat pour y parvenir est d’autant plus nécessaire qu’au-delà du sport, cette course à la performance au profit des firmes mondialisées, inhérente au capitalisme, touche tous les domaines. Elle accroît notamment les possibilités de la marchandisation des corps.

Hélène Bertrand, 18 février 2024

  1. ↩︎
  2. ↩︎
  3. Docteur Jean-Pierre Mondenard, dans L’affairisme capitaliste des cartels du sport, Quel Sport ? n° 37/38 mai 2022. ↩︎
  4. Christian Godin L’empire olympique. ↩︎
  5. J.F. Bourg, J.J. Gouget, La société dopée, Seuil. ↩︎