Lors de la conférence de presse du 16 janvier dernier, Macron a tenu un discours une nouvelle fois alarmant et se rapprochant de façon décomplexée de celui de l’extrême droite et des régimes totalitaires du XXe siècle.
Travail, fécondité, mérite, réarmement, Macron est en guerre contre tou·tes celleux qu’il considère comme les traîtres de sa nation : les travailleur·euses qui refusent de se tuer à la tâche jusqu’à 64 ans, les pauvres et les chômeur·euses, responsables de la dette, les immigré·es, qui ne respectent pas “les valeurs de la République”, les fonctionnaires et contractuel·les des établissements scolaires qui refusent de faire de nos enfants des travailleur·es naïf·ves et de bons soldats au service de notre société capitaliste et patriarcale, mais surtout, les grandes traîtresses à l’honneur de son dernier discours : les femmes, coupables de la baisse de la natalité de notre nation. En septembre 2022, plusieurs député·es RN avaient déjà déposé une résolution à l’Assemblée nationale, visant à faire de l’année 2024 “une année dédiée à la relance de la natalité française”. Macron aurait pu s’inspirer de l’Allemagne, plus dynamique économiquement mais moins fertile depuis la fin du XXe siècle, mais c’est sur un tout autre chemin qu’il a choisi de marcher, celui du RN et des politiques menées par Meloni en Italie et Orbán en Hongrie, reprenant la rhétorique martiale et fasciste du “réarmement démographique” et de la “régénération”. Pour rappel, lors du premier conseil des ministres quelques jours plus tôt, Macron s’exprimait ainsi devant sa nouvelle armée : “Votre mission est d’éviter le grand effacement de la France face au défi d’un monde en proie au tumulte. Si vous ne vous en sentez pas capable, quittez cette pièce à l’instant. Vous n’êtes pas seulement des ministres, vous êtes les soldats de l’An II du quinquennat”. Bienvenue dans la démocrature 1 jupitérienne !
Une natalité choisie
Endiguer la baisse des naissances et le vieillissement de la population française donc, mais pas n’importe comment : avec une natalité choisie. Alors que le Conseil Constitutionnel a rendu son avis sur la loi Immigration ce jeudi 25 janvier, loi qui prend racine dans la peur d’une invasion migratoire fantasmée, Macron s’attaque désormais à la question de la natalité et témoigne ainsi de son obsession sous-jacente du “Grand Remplacement”. Qui peut s’en étonner ? Aujourd’hui, on humilie, on criminalise, on enferme et on tue des enfants français·es,“mais” racisé·es, sans s’inquiéter que des cagnottes soient créées pour soutenir leurs assassins. Alors que la loi Immigration entend fermer encore les frontières, elle entérine également un traitement différencié et abject des enfants. Selon l’article 44 (non censuré), un·e jeune placé·e à l’ASE de nationalité étrangère n’a plus les mêmes droits, à sa majorité, qu’un·e enfant placé·e français·e. Dès demain, des milliers de jeunes seront livré·es à elleux-mêmes. Aujourd’hui, on traite déjà sans égards les nourrissons des exilé·es sans papiers, souvent mis·es à la rue sans solution d’hébergement au bout d’un mois de vie. Les femmes sans papiers sont pourtant un public à risques, leurs pathologies associées étant peu prises en charge avant la grossesse et l’accouchement. Alors que 49 % des bénéficiaires potentiel·les de l’AME n’en font pas la demande actuellement et que la suppression de ce déjà maigre dispositif reste à l’agenda politique de 2024, qu’adviendra-t-il de ces mères et de leurs enfants ? À Mayotte, on exclut déjà de l’AME les Comorien·nes et les Centres de Protection Maternelle et Infantile ont été sommés de refuser toute prise en charge aux femmes comoriennes. À Mayotte, on nie déjà le droit du sol depuis 2018, rendant l’accès à la nationalité plus difficile encore aux enfants né·es de parent·es étranger·es dans ce 101ème département français. À Mayotte, la promotion de la ligature des trompes auprès des femmes, majoritairement noires et musulmanes, apparaît plutôt comme une impérieuse injonction face à la pénurie de pilules abortives qui sévit depuis 2022 sur l’île. Dans Le Ventre des femmes (2017), Françoise Vergès a montré comment, à la Réunion, l’État français a encouragé, dans les années 1960-70, les femmes blanches à procréer, tout en menant une politique de stérilisation des femmes racisées et en fermant les yeux sur des avortements forcés. Peut-on encore tolérer cette violence et supporter le cynisme d’un appel paternaliste au réarmement démographique “pour que la France reste la France” ? Macron mène une politique nataliste réactionnaire qui révèle toute son idéologie : totalitaire, eugéniste, coloniale et raciste.
Nous ne nous tairons pas
Nous ne pouvons nous taire sur les menaces envers nos droits reproductifs :
Nous voulons une prise en compte du désir d’enfants, et pas seulement la mise en place d’un plan de lutte contre l’infertilité. Le contexte dans lequel nous vivons peut, à bien des égards, dissuader de faire des enfants : conditions économiques précaires, cumul de petits boulots, difficultés à trouver un emploi stable avec des horaires de travail compatibles avec la vie de famille, des conditions environnementales alarmantes… Mais, encore une fois, on stigmatise les femmes qui ne souhaitent pas avoir d’enfants, plutôt que de fournir de meilleures conditions aux personnes qui le souhaitent.
Nous soulignons le fait que la PMA n’a toujours pas été ouverte aux personnes trans qui désirent avoir des enfants. De même, les personnes handies subissent encore des stérilisations forcées (parfois obligatoires pour être admis·es en institution), et lorsqu’elles souhaitent devenir parent·es, elles sont infantilisées et privées d’autonomie sur leur corps. S’ajoute le maintien dans la précarité qui rend l’accès à la parentalité d’autant plus difficile. Les objectifs de Macron sont d’augmenter la natalité, mais pas n’importe laquelle : blanche, valide, malléable…
Nous dénonçons également l’hypocrisie totale de Macron qui parle du “fléau de l’infertilité” contre lequel il faudrait lutter alors qu’il a lui-même réautorisé l’utilisation du glyphosate et d’autres pesticides connus pour être des perturbateurs endocriniens.
Nous alertons également sur les risques pour les droits reproductifs et l’accès à l’IVG de tels discours. Nous pourrions nous réjouir de la constitutionnalisation de l’IVG, mais n’oublions pas qu’il s’agit d’une victoire en demi-teinte : le 17 janvier dernier la commission des lois a approuvé “la liberté garantie pour les femmes de recourir à l’IVG”. Or, le projet formulait : “Nul ne peut être privé du droit à l’interruption volontaire de grossesse”. Après un amendement déposé par Aurore Bergé (ministre des Solidarités et des Familles), ce “droit” s’est transformé en “liberté”, qui ne garantit donc plus l’accès à l’IVG pour toutes, puisque les moyens ne seront pas assurés pour son accessibilité. De plus, en utilisant le mot “femmes”, les personnes trans sont bien évidemment écartées de ce projet de loi. Les femmes sont de nouveau essentialisées à leur fonction reproductive. Ne nous laissons donc pas berner par cette “constitutionnalisation de la liberté d’IVG” qui cache, en fait, des relents transphobes et sexistes.
Nous ne pouvons nous taire sur les défaillances de notre système de soins :
Pour que les personnes qui souhaitent avoir des enfants puissent le faire dans de bonnes conditions, il s’agirait d’abord d’agir sur les violences gynécologiques et obstétricales. Jusqu’ici, malgré une demande du HCE (Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes) en 2017 et des préconisations claires, aucune étude et aucune action n’ont été menées.
À l’heure de la privatisation de notre santé, il parait essentiel aussi d’agir sur la question des hôpitaux et maternités surchargés, vétustes, aux équipes restreintes et éreintées, seuls accueils possibles des femmes précaires. En 2019, les soignant·es de Lariboisière, n’étant plus en mesure d’assurer la sécurité des patientes et de leurs bébés, annonçaient dans leur communiqué “un craquage”. La tribune révélait notamment qu’il existait une pièce dédiée à l’hébergement d’urgence pour les mamans sans-abris. Cet été, plusieurs sage-femmes d’établissements de Seine-Saint-Denis et du Val-d’Oise, départements parmi les plus pauvres de France, dénonçaient la saturation des services. Selon l’ARS, jusqu’à 50 femmes étaient hébergées chaque semaine dans les maternités d’Île-de-France.
Tout cela dans un contexte où la mortalité infantile augmente et est supérieure à la moyenne européenne. Plutôt que de demander aux femmes de “faire des bébés”, peut-être est-il plus que temps d’améliorer les conditions de vie des parent·es, mais aussi celles des enfants ?
Nous ne pouvons nous taire sur l’accueil déplorable réservé aux enfants :
Au motif de “lutter contre l’éloignement des femmes du marché du travail”, Macron propose un raccourcissement du congé parental en le remplaçant par un congé de naissance. En proposant de modifier ce congé, devenant possible pour les deux parent·es, sans pour autant en faire une obligation, Macron ne fait que rendre la parentalité plus difficile encore. Les parent·es auront alors le choix de prendre leur congé de six mois ensemble, ce qui serait un réel soulagement pour les personnes venant de mettre un enfant au monde, mais ne soyons pas dupes. La précarité toujours en hausse et la difficulté de trouver des modes de garde vont mener à se partager les congés pour atteindre les un an de l’enfant et retarder la dure et angoissante recherche d’un mode de garde. Partage temporaire de la charge éducative peut-être mais surtout moins de temps en famille, plus de temps au travail alors que son enfant grandit auprès d’autres… Les coûts de cette garde sont parfois équivalents au salaire d’un·e parent·e, notamment dans les familles modestes. Les femmes racisées, occupant très majoritairement les emplois de garde d’enfants, doivent donc retourner s’occuper de celleux des autres.
Les places en crèche municipale sont tellement rares et les conditions de travail si difficiles que des postes ont été ouverts en 2023 à des personnes non formées. Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales d’avril 2023 mettait d’ailleurs en lumière de nombreux cas de maltraitances et de négligences terribles d’enfants dans ces structures d’accueil du fait de la pénurie de personnels et du manque de moyens.
Nous demandons également des moyens pour lutter contre l’adultisme : rendre la société plus accessible pour les enfants et les protéger des biais et violences des adultes.
Aux vues des conclusions du rapport de la CIIVISE, nous ne pouvons que constater que la France ne sait pas protéger les enfants de l’inceste et de la pédocriminalité. Tant que de vraies actions n’auront pas été effectuées dans ce sens, il nous parait bien mal intentionné d’exiger de nous de “faire des bébés”.
Nous exigeons aussi des moyens dans l’Éducation nationale. Celle-ci est à bout de souffle, ses professeur·es sont épuisé·es, ses locaux délabrés, mal équipés et mal chauffés… à quoi bon faire des enfants dans ces conditions, si ce n’est pour qu’iels deviennent de bons petits soldats en uniforme chantant La Marseillaise avant de se rendre au SNU ?
Nous refusons d’être perçu·es et utilisé·es comme des utérus-machines appartenant à un État autoritaire et totalitaire, mettant au monde des bébés-machines du capitalisme, élevés sur une planète en péril et en guerre perpétuelle. Constanza Spina dans son Manifeste pour une démocratie déviante (2023) écrit : “Lutter contre le fascisme, contre l’extrême droite et ses dérives, c’est prendre la mesure de ce que le patriarcat peut devenir s’il reste au pouvoir dans nos démocraties”. Alors ne nous laissons plus faire, réarmons-nous face à ce gouvernement !
Si Macron dit “réarmement démographique”, nous répondons grève féministe ! Tant que notre liberté sera remise en question, notre féminisme sera toujours dans la résistance et l’affirmation d’autres choix possibles. ✊
Collectif Féministes Révolutionnaires Nantes
- Le journaliste italien Paolo Berizzi qualifie de démocrature les démocraties dysfonctionnelles dans lesquelles fascisme et populisme prennent le pouvoir. ↩︎