Nous publions ci-dessous le texte d’un document réalisé par le collectif Bassines Non Merci distribué à l’occasion de la table ronde organisée à Niort le 28 novembre, en soutien aux militants jugés ce jour-là pour leur implication dans la manifestation de Sainte-Soline le 25 mars 2023. Il éclaire de manière pédagogique les enjeux de la construction des méga-bassines et des usages de l’eau.
Bassines ? Non merci !
Le bassin versant de la Sèvre Niortaise est classé en Zone de Répartition des Eaux depuis son apparition dans le code de l’environnement il y a 30 ans. Cela signifie qu’il est en déficit chronique d’eau : les prélèvements sont, chaque année, supérieurs aux ressources.
L’irrigation agricole représente 80 % des prélèvements estivaux et le niveau des nappes chute drastiquement chaque année au mois de juillet, quand commence l’irrigation intensive. Le changement climatique et les sécheresses de plus en plus fréquentes montrent l’importance d’une gestion équilibrée de la ressource en eau. Or les méga-bassines sont une fausse solution à la carence en eau sur notre bassin versant. Celles-ci permettront de sécuriser l’irrigation pour certains exploitants en prélevant l’eau par anticipation avant que la sécheresse ne se déclare. Chaque année le dépassement des seuils de crise entraîne des arrêtés d’irrigation en été. Les méga-bassines sont dimensionnées sur la base des volumes théoriques autorisés. Les volumes réellement prélevés, n’atteignent jamais ces volumes autorisés à cause des arrêtés sécheresse. Les irrigants raccordés aux méga-bassines pourront donc consommer plus d’eau (l’ensemble des volumes autorisés) que ce qu’ils avaient l’habitude de prélever. D’autre part, le volume de ces réserves n’étant plus pompé l’été, alors les irrigants non raccordés pourront à leur tour pomper d’avantage, jusqu’à atteindre à nouveau les seuils de crise. Nous aurons donc une augmentation de 27 % des volumes d’eau pompés.
La sécheresse de 2022 l’a illustré, la ressource en eau ne cesse de diminuer. Même en hiver, elle n’est plus aussi abondante et la quantité d’eau globale disponible ne permet pas de satisfaire tous les usages. Autoriser les stockages pour l’irrigation de moins de 5 % des exploitations agricoles du département, revient à privatiser une part très importante de la ressource pour des pratiques écologiquement contestables au détriment des autres usagers qui devront s’adapter aux restrictions.
La pyramide des usages de l’eau
En France, la pyramide des usages est régie par ordre de priorité. Depuis plus de trente ans, la troisième priorité est passée devant la seconde. Les conditions de prélèvement imposées aux méga-bassines sont largement inefficaces et ne réduisent en rien l’impact sur le milieu. Le seuil de remplissage de la SEVI7 dont les trois pompes impactent directement le Mignon par leur proximité, est à un niveau inférieur au lit du Mignon. Les niveaux de seuils ont de fait été fixés uniquement pour s’assurer du remplissage des méga-bassines, en aucun cas pour préserver les milieux.
L’eau qui sera pompée l’hiver pour les méga-bassines est une eau qui ne viendra pas réalimenter les zones humides. Or ces zones se reconstituent l’hiver pour répondre aux besoins du milieu naturel. Sans rechargement suffisant des zones humides et des sols, ce sont de nombreuses espèces végétales, animales terrestres et aquatiques qui sont impactées par l’irrigation intensive et les méga-bassines.
Dans ce contexte, il est indispensable de penser une nouvelle gestion quantitative et qualitative de la ressource en eau. Celle-ci concilierait les usages, accompagnerait l’activité agricole vers des pratiques plus respectueuses de l’environnement et laisserait un peu de répit aux milieux naturels surexploités.
Des solutions existent
De vraies solutions existent pour lutter contre les sécheresses présentes et futures. Ces solutions sont basées sur la nature :
• Réimplanter des haies qui ralentissent le ruissellement des pluies, facilitent l’infiltration, protègent des vents desséchants et du lessivage des sols.
• Favoriser le retour aux sols vivants riches en matière organique et privilégier certaines pratiques comme l’agroforesterie.
• Cultiver des plantes adaptées aux types de sols, au climat et à la topographie, utiliser des variétés non OGM résistantes au stress hydrique, remplacer les cultures de maïs par des espèces moins gourmandes en eau l’été.
• Arrêter l’agriculture intensive des sols très superficiels et réhabiliter les prairies
• Ne pas faire de cultures hivernales en fond de vallée, pour laisser les zones humides et le marais poitevin s’ennoyer l’hiver.
• Renaturer les cours d’eau pour réduire la vitesse d’écoulement et l’impact des inondations.
• Arrêter le drainage des sols qui réduit la recharge des nappes.
Ces mesures bénéficieraient à tou·tes et amélioreraient le stockage du carbone, le paysage, la biodiversité, la qualité de l’eau et la lutte contre les inondations.
L’irrigation, une longue histoire
La politique productiviste d’après-guerre a encouragé le remembrement. Il consiste en une re-distribution puis au regroupement des parcelles, permettant de tirer de meilleurs profits de la mécanisation des exploitations. Depuis les années 50, ces remembrements successifs ont affecté les paysages et supprimé, entre autres, 70 % des haies indispensables à l’infiltration des eaux.
Depuis les années 70-80, l’assèchement volontaire des champs au printemps, le drainage des prairies et des tourbières, le décaissement et le recalibrage des cours d’eau, l’ouverture des pelles du Marais Poitevin, ont bouleversé en profondeur l’équilibre hydraulique du territoire et des zones humides.
Depuis les années 80, l’État a encouragé, sans encadrement et à grande échelle, les prélèvements d’eau par forage, accentuant la décharge des nappes. Les rivières, qui coulaient en permanence, même en été, il y a quelques décennies, ne sont plus que des cours d’eau intermittents. Tous les ans, les Deux-Sèvres recensent en moyenne 500 km d’assecs sur 2700 km de cours d’eau (1000 km lors de l’été 2022).
L’abandon, depuis les années 70, de l’élevage à l’herbe au profit d’un élevage hors sol plus lucratif, la surproduction de maïs destinée à l’élevage et à l’exportation, l’industrialisation de l’agriculture, sont autant de pratiques encouragées par les subventions de la Politique Agricole Commune (PAC). Ces évolutions ont transformé en profondeur le modèle agricole dépendant de l’irrigation et des intrants chimiques. La mort biologique des champs, le tassement et la surexploitation des sols, imperméabilisent et réduisent l’infiltration.
Une vérité hydrologique
Dans le bassin versant de la Sèvre niortaise, la situation des cours d’eau est depuis longtemps catastrophique. L’été, les étiages (périodes où le niveau des rivières est le plus bas) sont de plus en plus précoces et durent de plus en plus longtemps.
Durant l’hiver 2022, le Mignon, rivière emblématique du Marais, ne s’est remis à couler que mi-décembre après plus de six mois d’assec. Selon le niveau des eaux, les nappes alimentent les rivières ou les rivières alimentent les nappes, en interaction directe et toute l’année. Si les prélèvements dans les nappes excédent le réapprovisionnement hivernal, progressivement les nappes s’assèchent, les rivières et zones humides avec.
L’hiver, les précipitations et la mise en dormance de la végétation permettent d’initier une recharge des nappes. Cette recharge dépend de la pluviométrie, de plus en plus incertaine, mais aussi de la capacité d’infiltration de l’eau dans les sols peu perméables (voir encart infiltration ci-contre).
Au début du printemps, certains exploitants agricoles drainent les sols de plus en plus tôt, afin de mettre en culture leurs champs. Par le biais des drains, des fossés et l’ouverture des pelles, l’eau est évacuée et les sols asséchés.
Usages et cycle de l’eau sur le bassin versant de la Sèvre niortaise
Évapotranspiration
Processus de transfert d’une quantité d’eau vers l’atmosphère, par l’évaporation au niveau du sol et par la transpiration des plantes. Composant essentiel du cycle hydrologique, cette humidité dans l’air est indispensable à la vie sur terre et correspond au 2/3 des quantités d’eau tombées sur notre bassin.
Infiltration
Processus par lequel l’eau pénètre le sol par gravité, atteignant ainsi le sous-sol géologique, une couche rocheuse, poreuse et perméable, affleurant à la surface et de très faible profondeur (l’aquifère). L’eau traverse les roches où elle sera filtrée puis retenue par une couche de roches imperméables formant ainsi la nappe. Un sol sec est hydrophobe, c’est-à-dire qu’il aura tendance à rejeter l’eau, alors qu’un sol humide est hydrophile, c’est-à-dire qu’il capte facilement l’eau. Les épisodes brefs de fortes pluies ne permettent donc pas la recharge de la nappe alors qu’ils sont et seront de plus en plus fréquents.
L’imperméabilisation des sols par l’agriculture industrielle, l’artificialisation, l’urbanisation, la suppression des haies et les sécheresses favorisent le ruissellement au détriment de l’infiltration.
Continuum Terre-Mer
L’eau douce qui s’écoule en surface, dans les rivières, ou en profondeur, dans les aquifères, fait pression sur l’eau de mer. Maintenir un écoulement des rivières jusqu’à la mer et un niveau des nappes supérieur au niveau marin empêche l’eau salée de rentrer dans les terres. Dans le cas contraire, des incursions marines se produisent et les eaux de surface ou souterraines deviennent saumâtres. Les cultures non tolérantes “brûlent” et l’eau destinée à la consommation n’est plus potable.
Consommation ou prélèvement ?
Le prélèvement d’eau est la quantité soustraite au milieu à un instant donné. La consommation d’eau est la différence entre la quantité prélevée et la quantité restituée dans le milieu. C’est la consommation qui traduit donc véritablement la pression exercée sur le milieu.
Ruissellement et drainage
Le ruissellement est le phénomène d’écoulement des eaux à la surface des sols, favorisé par imperméabilisation du sol et l’intensité des précipitations. L’écoulement des rivières n’est en rien de l’eau “perdue”, elle constitue la solidarité amont-aval. L’eau sortant d’un territoire en amont est la source indispensable du territoire aval. Cette eau abondante n’est pas “en trop” elle doit alimenter nos réserves naturelles, tourbières et zones humides. Cette eau douce est vitale pour le Marais Poitevin et le littoral,
Le drainage agricole est un écoulement des eaux qui résulte d’une intervention humaine (drains enterrés et fossés). Celui-ci permet l’assèchement prématuré des parcelles afin d’y intervenir avec des engins agricoles pour y installer des grandes cultures. Le drainage agricole évacue l’eau au plus vite vers les rivières en transportant avec lui sol, polluants et engrais.