Émancipation


tendance intersyndicale

De l’antisémitisme des années 30 à l’islamophobie d’aujourd’hui

Débat

Il n’est plus possible de faire semblant de ne pas voir. Tous les jours des politicien·nes injurient ou stigmatisent les musulman·es. Toutes les semaines les “unes” de Valeurs actuelles, Le Point, Marianne et bien d’autres insistent sur l’incompatibilité entre la “République” (laquelle ?) et l’islam.

Les violences, les attaques meurtrières se multiplient et pas seulement en France. Enlevez le mot “musulman” et mettez le mot “juif” dans ces diatribes incessantes : la similitude avec ce qui s’est passé dans les années 30 est flagrante. Et ce conditionnement idéologique a permis Auschwitz.

Des termes impropres, mais qui se sont imposés

Le terme “antisémitisme” est totalement impropre. Il n’y a bien sûr pas de race sémite, pas plus que de race aryenne. Il n’y a pas de race. Cette tentative d’essentialiser et de hiérarchiser “scientifiquement” les humains selon leur origine réelle ou supposée et selon leur culture est une de ces abominations que nous a léguée la fin du XIXe siècle. Le mot “antisémite” a été inventé par l’Allemand Willelm Marr (1819-1904), un des théoriciens du racisme biologique, précurseur du nazisme. Parfois des amis arabes me disent : “Comment peut-on nous traiter d’antisémites puisque nous sommes sémites ?” Eh bien non, les races n’existent pas et il n’y a pas d’homogénéité dans ce qu’on appelle juif ou arabe : les Juives et les Juifs sont largement descendant·es de converti·es de différentes époques et de différentes régions et dans ce qu’on appelle “Arabes”, il y a des Berbères ou des Égyptien·nes qui n’ont rien à voir avec ceux et celles qu’on a la mauvaise habitude d’appeler des Sémites. Ce terme est une invention de l’ennemi et pourtant le terme “antisémite” s’est imposé. Les antisémites veulent, dans le meilleur des cas chasser les Juives et les Juifs et cette haine paroxystique a pu aller jusqu’à l’extermination au moment du génocide nazi.

Et le terme “islamophobie” ? Certains pensent que c’est une invention de Tariq Ramadan, des ayatollahs ou de je ne sais quel barbu. Il n’est pas difficile de voir que le terme existait dès le début du XXe siècle. Plus sérieusement, beaucoup rejettent le terme en disant qu’il fait l’apologie de l’islam et interdit la critique de cette religion. C’est bien sûr faux. L’auteur de ces lignes reste farouchement attaché à “Ni Dieu, ni maître” et au droit d’attaquer les religions. Sauf que… Dreyfus avait une religion dont le corpus est largement archaïque, patriarcal et comprenant des textes qui sont des apologies du meurtre de masse. Il était militaire dans une armée coloniale et ultranationaliste. Et pourtant, ceux qui, dans le mouvement ouvrier, n’ont pas compris qu’il était fondamental de le défendre, se sont lourdement trompés.

Lutter contre l’islamophobie, c’est pareil. Les “musulman·es” ou, pour parodier Sarkozy, les “musulmans d’apparence” sont aujourd’hui massivement des “dominé·es” qui servent de boucs émissaires dans un monde capitaliste de plus en plus féroce. À ce titre, les défendre est une obligation, quoi qu’on puisse penser ou ne pas penser de leur religion comme de toute autre religion. Avant tout, respect, solidarité, égalité des droits, fraternité, droit à la différence, enrichissement mutuel avec eux et elles.

Le retour du refoulé raciste

Parmi les moteurs de l’explosion du racisme biologique en Europe après 1850, il y a une forme de “nationalisme identitaire”, un rêve meurtrier de pureté, l’idée que le/la Noir·e, le/la Rom·e, le/la Juif/ve, l’Arabe, le/la Musulman·e souillent notre société. Dans L’actualité d’un archaïsme. La pensée d’extrême droite et la crise de la modernité (1999), Alain Bihr analyse dans les textes d’écrivains antisémites (Barrès, Drieu la Rochelle, Brasillach) cette quête de pureté.

Aux États-Unis, le Ku Klux Klan utilise les flammes pour purifier l’Amérique. Les nazis reprendront cette symbolique, ils défileront aux flambeaux, brûleront des livres et finiront par brûler ceux qu’ils ont exterminés.

Rien de nouveau avec ce qui se dit sur les musulman·es. Quand Zemmour parle d’invasion et demande aux musulman·es de “choisir entre l’islam et la France”, il y a cette idée de souillure, d’obstacle à la pureté et d’obligation d’allégeance. Quand le “journaliste” de LCI Olivier Galzi compare le “voile islamique” à l’uniforme SS, il y a avant tout une obscénité, les SS évoquent les pires dominants, la pire intolérance meurtrière. Comme si les femmes issues de l’immigration post-coloniale appartenaient à cette catégorie ! Mais il y a cette constante du racisme : déshumaniser l’autre, annoncer par la parole que tout est permis. Cette stratégie a été utilisée contre les Juif/ves dans les années 30 et elle a ouvert la voie à l’extermination. Quand, à chaque numéro, des journaux (Marianne, Le Point, Valeurs Actuelles) font l’amalgame islam = islamistes = terroristes, il s’agit d’expliquer que les musulman·es sont un corps étranger en France comme on l’a fait dans la France de Vichy contre les Juives et les Juifs en les chassant de la Fonction publique dès 1940.

Certains peuvent penser que l’islamophobie n’existe pas et qu’il ne s’agit que d’un classique “racisme anti-arabe”. Bien sûr, après Auschwitz, il est moins “politiquement correct” de pratiquer le racisme biologique. Mais on se trompe en pensant que cette sinistre explosion raciste ne serait qu’une revanche coloniale après la perte de l’Algérie même si cet aspect est très important (voir plus loin). Ce n’est pas seulement cela. Une telle interprétation n’explique pas les massacres dans des mosquées au Québec ou en Nouvelle-Zélande, ni le fait qu’un politicien néerlandais (Gert Wilders) a construit sa popularité sur la proposition d’interdire le Coran aux Pays-Bas. Encore moins qu’un “ancien” du Front National s’imagine venger Notre-Dame de Paris en attaquant la mosquée de Bayonne.

L’islamophobie, comme l’antisémitisme autrefois, est devenue le dénominateur commun de tout ce que le monde compte de partis et d’idéologies racistes et xénophobes. Ne pas le comprendre rend inopérant le combat antifasciste. Les deux racismes ont aussi en commun d’être des racismes d’État qui édictent des lois discriminatoires sur fond de stigmatisation au plus haut niveau.

La question coloniale

Les empires coloniaux européens vont soumettre de nombreuses populations musulmanes. Aujourd’hui, le sinistre Zemmour, après avoir fait l’éloge de Pétain, fait celui du criminel de guerre Bugeaud (“Quand le général Bugeaud arrive en Algérie, il commence par massacrer les musulmans, et même certains juifs. Eh bien moi, je suis du côté du général Bugeaud, c’est ça être français”).

Le colonialisme, et avant lui l’esclavage ou le Code noir, sont des périodes fondamentales de l’histoire humaine. Il y aura une croyance majoritaire chez les peuples colonisateurs que “nos” civilisations, “nos” valeurs, “notre” religion sont “évidemment” supérieures à celles des populations colonisées. Et celles-ci, dans une situation d’exploitation et de domination, conserveront ce qu’elles peuvent de leur mémoire et de leur identité, en particulier l’islam pour les peuples du Maghreb et du Sahel.

Le colonisateur essaiera de domestiquer l’islam et d’en faire un relais. Mais il n’y a pas vraiment de clergé sunnite. Cette domestication ne réussira que dans les pays du Golfe. Les colonisateurs s’allieront dès 1920 avec le courant le plus obscurantiste de l’islam, le Wahhabisme. Le deal est simple : “on vous aide à vaincre le courant nationaliste et à conserver le contrôle des lieux saints et vous nous garantissez le pétrole à bas prix et à volonté”. Cet islam toléré et complice de la colonisation est celui qui a engendré Al Qaïda ou Daesh. Cet islam féodal, esclavagiste, patriarcal et meurtrier est l’ami de l’Occident qui lui fournit armes et protection. L’islamophobie ne le concerne pas.

Le colonialisme français en Algérie n’est pas seulement une histoire d’enfumades de Bugeaud, de confiscation des terres et des richesses ou de surexploitation de la main d’œuvre autochtone. Royaliste, impérial ou républicain laïque, le colonialisme français va séparer les “musulman·es” des “européen·nes” et des “juif/ves” avec le “Code de l’indigénat” qui durera de 1865 à 1946. Pendant toute la durée de la colonisation, seuls 7 000 “indigènes musulman·es” seront naturalisé·es français·es. Et en 1954, quand l’insurrection éclate, à peine 10 % des “musulman·es” savent lire et écrire. Moins qu’en 1830 quand la colonisation a commencé.

Jusqu’à 1961, période où l’opinion française bascule, traumatisée par les nombreux conscrits qui trouvent la mort contre le FLN, il y aura un assez large consensus en France pour dire que l’Algérie, c’est la France et que “nous” apportons la civilisation à une population arriérée. C’est ainsi que, le 13 mai 1958, date du coup d’État qui installe la Cinquième République, des pieds-noirs en liesse manifestent à Alger en dévoilant de force toutes les femmes algériennes rencontrées sur leur passage.

Le colonialisme, ça aura été aussi l’utilisation massive des colonisé·es à la fois comme main-d’œuvre bon marché et comme chair à canon. Qui sait dans ce sud de la France qui vote fortement pour la famille Le Pen que le Général de Montsabert, censé avoir libéré Marseille, était un des très rares blancs d’une armée essentiellement musulmane ?

Certains regretteront que l’Algérie indépendante soit un pays où la majorité de la population est croyante. Pourquoi en aurait-il été autrement ? Ce pays n’a pas connu l’équivalent des luttes anticléricales du pays colonisateur. Il y a eu des oulémas aux côtés de marxistes et de nationalistes dans la lutte pour l’indépendance. Et des partis laïques français (à l’instar de la SFIO) ont montré qu’on pouvait être laïque et colonialiste, voire soutien des tortionnaires.

Pour les colonialistes, l’utilisation de la religion ne posait aucun problème. C’est ainsi qu’on aura en France un Jules Ferry voulant limiter l’influence de l’Église en France et envoyant en même temps les missionnaires sur les pas des soldats dans la conquête de l’Indochine. Le même Ferry aura des discours sur les races supérieures et les races inférieures révélant un suprématisme décomplexé.

Il serait faux de croire que le colonialisme, c’est du passé. C’est totalement du présent dans les DOM-TOM français et avec la Françafrique. Comme le chantait si bien le regretté François Béranger en 1979 dans Mamadou m’a dit : “Les colons sont partis. Ils ont mis à leur place une nouvelle élite de noirs bien blanchis”.

L’Occident, l’islam et les Juifs

La diabolisation du “mahométan” remonte au haut Moyen-Âge. La Chanson de Roland attribue aux Sarrasins une embuscade clairement faite par des Basques. La première Croisade commence par un massacre de Juifs dans la vallée du Rhin et s’achève par celui des “Infidèles” de Konya ou de Jérusalem. Le Moyen-Âge est une période où on “construit” l’ennemi : le lépreux, la prostituée, l’hérétique, la sorcière, le Juif, le nomade, le Musulman.

Quand l’Espagne devient un État moderne, elle massacre ou expulse simultanément ses Juif/ves et ses Musulman·es. Elle poursuivra même les descendant·es des converti·es. La “Reconquista” en Espagne s’accompagnera d’une tentative d’effacer la mémoire et la trace de l’Espagne juive ou musulmane. Les synagogues deviennent des églises (Tolède) et les mosquées des cathédrales (Séville, Cordoue).

L’antisémitisme et l’islamophobie modernes puisent leurs racines dans cette histoire.

Quand le colonialisme s’emparera de pays musulmans, ce sera avec un immense sentiment de revanche et de supériorité de l’Europe chrétienne face à des pays qui restent archaïques.

Ce sentiment est écrit noir sur blanc par la Société des Nations après la guerre de 14-18. Alors que les Occidentaux avaient promis l’indépendance aux peuples arabes vivant sous le joug de l’empire ottoman, cette noble institution va créer les “mandats” permettant à la Grande-Bretagne et à la France de dominer la quasi-totalité de la région. Prétexte invoqué par la Société des Nations : ces peuples ne sont pas assez mûrs et développés pour pouvoir s’administrer.

Cet incroyable sentiment de supériorité par rapport à un islam forcément archaïque et obscurantiste est hélas largement répandu dans l’Europe aujourd’hui.

Racisme, religions et instrumentalisation de la laïcité

A-t-on le droit de critiquer les religions ? Oui, mille fois oui ! Une des pancartes en tête de la manifestation contre l’islamophobie à Paris le 10 novembre disait : “oui à la critique des religions, non à la haine des croyants”.

Dans tous les textes religieux, on va trouver des horreurs sans nom. Mais on va trouver aussi des messages d’égalité ou de justice. Dans la religion juive orthodoxe, on prie en remerciant Dieu de “n’être né ni goy ni femme”. On comprend pourtant que dénoncer ce genre d’horreur vers 1940 n’avait rien d’une légitime critique rationaliste, et ne pouvait qu’apparaître comme un appui à l’extermination qui se préparait.

Il y a clairement dans l’islam des idées inacceptables et pas seulement sur les femmes, il y en a aussi sur la liberté de conscience. Il y a des conceptions insupportables dans le christianisme, la femme ayant pour seul “choix” celui d’être putain ou mère.

Remarquons quand même que les religions ne sont pas les seules à véhiculer l’ignoble. Le nazisme n’a pas eu besoin de la religion et celle-ci n’a pas joué de rôle fondamental dans les génocides de la fin du XXe siècle.

Critiquer les religions, dénoncer la place qu’elles prétendent prendre pour gérer l’enseignement, la santé, l’espace public est plus que légitime. Défendre les droits des athées et de toutes les croyances minoritaires est un devoir. Il faut rappeler que l’obligation de porter le tchador dans l’espace public iranien est une ignominie qui démontre le caractère dictatorial de la République islamique ou que la quasi interdiction de l’avortement dans une Pologne dominée par l’Église est une atteinte inacceptable aux droits des femmes de choisir.

Mais l’interdiction du voile voulue par Estrosi et Blanquer ou l’expulsion d’élèves portant le turban sikh dans des lycées de Seine-Saint-Denis, sont aussi inacceptables.

Vivre ensemble dans l’égalité des droits”, c’est accepter l’autre. C’est considérer qu’on peut s’enrichir mutuellement dans la rencontre des différences. C’est refuser l’idée absurde et terriblement dangereuse que le seul choix possible, c’est soit de s’assimiler et de faire disparaître sa différence, soit de se séparer. Il y aujourd’hui un certain consensus en France pour penser que l’époque du “il est interdit de cracher et de parler breton” fut une profonde erreur. L’injonction que les musulman·es deviennent invisibles est du même ordre.

Quant à la volonté d’interdire à des mamans voilées d’accompagner les sorties scolaires, certain·es la défendent encore, au nom d’une interprétation de la loi très largement contestée, y compris par le Conseil d’État. Ils/elles refusent de voir que cette exigence dénuée de la moindre base légale, heurte les premières concernées, les mamans accompagnatrices et renforce objectivement les adeptes d’une forme de mépris de classe : celle d’une société néocolonialiste et inégalitaire qui veut imposer ses “normes” à une population dominée. Celles et ceux qui hurlent avec les loups sur cette question ne peuvent pas prétendre “aider des femmes dominées”. La première domination, c’est celle d’un colonialisme et d’une société capitaliste raciste.

Si un jour on fait la révolution, on n’interdira pas la cravate, même si elle peut être considérée à juste titre comme un symbole du capitalisme et du patriarcat.

La laïcité est un outil fantastique pour s’opposer aux tentatives des cléricaux d’imposer leur pouvoir et leurs normes. En France, elle a permis de contenir les velléités d’une Église catholique dont la hiérarchie a été systématiquement dans le mauvais camp (contre-révolutionnaire, contre le socialisme, contre les droits des femmes, dans l’Union sacrée, avec Pétain). La laïcité, c’est le libre débat, c’est un outil fondamental pour le “vivre ensemble” dans nos différences.

Mais la laïcité, ce n’est pas l’obligation d’être athée. C’est certes la défense de la mixité, ou celle d’un enseignement qui combat l’obscurantisme, mais ce n’est pas le fait d’attaquer ou de stigmatiser les croyant·es.

Le camp laïque, tellement affaibli par l’amoncellement des lois anti-laïques n’a pas pu ou su dénoncer ce qui s’est fait en son nom : des racistes, des suprématistes et des politiciens ont prétendu défendre la laïcité en tapant sur une seule cible : l’islam. Des féministes prétendent défendre les femmes voilées, surtout pas en leur donnant la parole, mais en parlant à leur place et en les stigmatisant. Ces attaques teintées de mépris postcolonial et de suprématisme n’ont rien à voir, ni avec la laïcité, ni avec le féminisme.

Universalisme, communautarisme… Sortir de l’injonction et de l’hypocrisie

Il y a une croyance fréquente, celle que la notion d’universel est uniquement issue des “Lumières” en Europe.

Il y aurait un vrai travail à faire sur ce que les “Lumières” ont amené de fondamental et sur leurs limites. Cette période de l’histoire européenne met certes en question l’absolutisme  et met au premier plan les idées de liberté ou d’égalité.

Elle est restée vague sur l’esclavage. Les premiers abolitionnistes se sont réclamés des “Lumières” mais avec des ambiguïtés certaines. Avec les “Lumières”, la bourgeoisie a remplacé l’aristocratie comme classe dominante et le capitalisme a fait un saut qualitatif incroyable. Clairement les “Lumières” étaient nécessaires mais pas suffisantes pour l’émancipation.

Des périodes comme la révolte des esclaves de Haïti ou les révoltes anticolonialistes du Vietnam ou d’Algérie ne puisent pas leurs références dans ce cadre. On doit donc être modeste sur la notion “d’universel”.

La construction de ce qu’on considère comme “universel” reste donc liée à des choix politiques. Personnellement, le refus de toute forme d’inégalité (selon le sexe, la couleur de la peau, les choix sexuels, les origines, les croyances, la culture) fait partie de mon “universel”. Le droit à avoir les enfants qu’on désire et à ne pas avoir ceux qu’on ne désire pas, aussi bien sûr. Le droit à un niveau de vie décent, à l’éducation, à un travail épanouissant, à un logement digne est tout aussi fondamental. Le droit à une maîtrise collective des moyens de production fait également partie de mon “universel”.

L’obligation de s’assimiler à un modèle dominant n’a rien d’universel. L’idée qu’une société doit être “homogène” non plus.

On accuse la population postcoloniale d’être “communautariste”, de ne pas adhérer aux “valeurs républicaines”. De quoi parle-t-on ?

Dans notre chère République laïque, des millions de personnes sont discriminées au travail, au logement, à l’éducation. Ils/elles sont stigmatisé·es en permanence, insulté·es et méprisé·es, soumis·es aux pires violences policières et à une justice complice. Il est impensable d’avoir un discours vis-à-vis de ces personnes du genre : “on va vous défendre, mais à condition que vous soyez invisibles, que vous nous ressembliez”. Cette assignation et ce discours paternaliste sont inaudibles. Des associations antiracistes professant ce que j’appellerais gentiment un antiracisme moral ont perdu le contact avec les victimes du racisme parce qu’elles refusent de leur donner la parole. L’idée qu’il est moralement inacceptable d’accepter la moindre idée ou le moindre comportement raciste ou suprématiste est fondamentale. Elle ne suffit pas.

La seule attitude à mes yeux acceptable c’est : “nous allons lutter tou.tes ensemble pour défendre les droits de tou·tes, la dignité et l’égalité”.

Sur l’islamophobie, même certain·es qui reconnaissent qu’il s’agit d’une forme majeure de racisme reculent sur le fait d’accepter que les musulman·es puissent s’organiser. On a pu constater de fortes réticences des partis, des syndicats et des associations défendant la Palestine quand les “musulman.es” sont descendu·es dans la rue.

En finir avec les faux prétextes

Qu’entend-on souvent :

“Soutenir les femmes voilées, c’est faire la promotion du voile !” Ah bon ? Et soutenir Dreyfus, c’était promouvoir une religion archaïque et misogyne ou c’était soutenir une armée coloniale ? Non, c’était soutenir une victime emblématique du racisme et de la haine.

“La religion ne doit pas apparaître dans l’espace public, sinon on brade la laïcité”. Erreur : la religion n’a jamais disparu de l’espace public. Ce que la laïcité a combattu, c’est la prétention des religieux à vouloir gérer nos vies. La laïcité s’impose d’autant plus qu’elle apparaît comme la garantie du “vivre ensemble”. Si elle apparaît comme une idéologie coercitive voulant imposer un modèle unique, on tire contre notre camp.

“Les femmes qui portent le voile sont soumises et font du prosélytisme”. J’invite celles et ceux qui croient en cette légende urbaine à discuter avec ces femmes, à identifier leur “domination” qui ne sera peut-être pas celle qu’on imagine.

– “On ne peut pas manifester avec des islamistes, des Frères musulmans…”. De quoi parle-t-on ? Il existe en France des associations musulmanes. Certaines collectent de l’argent pour la Palestine. D’autres assurent la défense juridique des victimes de l’islamophobie. On accuse le CCIF (Collectif Contre l’islamophobie en France) d’être une émanation des Frères Musulmans. D’où sort cette accusation (qui sent particulièrement mauvais quand on sait que notre cher pays soutient et arme la dictature de Sissi qui a multiplié contre les Frères Musulmans les pires atrocités) ? Elle vient de la presse pourrie raciste, celle pour qui islam = islamiste ou Hamas = terrorisme. Celle qui a approuvé dès le départ la “guerre du bien contre le mal” chère au président Bush, le mal étant évidemment l’islam.

“Quand on dialogue avec des organisations musulmanes, on leur donne une légitimité”. Les organisations musulmanes ont leur place dans notre société. Si on a des convictions, on ne doit pas avoir peur de confronter leur discours au nôtre. J’ai été invité au Bourget par l’UOIF (association pour laquelle je n’éprouve aucune sympathie particulière) à une table ronde sue le thème : “Les Musulmans ne sont pas responsables de l’antisémitisme”. L’imam de Bordeaux a expliqué que rien dans le Coran ne poussait à la haine des Juif/ves et moi, j’ai développé mon discours : juif athée, défendant les droits du peuple palestinien et le vivre ensemble, expliquant que c’est le christianisme et l’Europe qui ont développé l’antijudaïsme. Beaucoup de gens ont découvert avec plaisir un discours non communautaire, antiraciste, laïque et à mon sens universaliste.

Alors il est peut-être temps pour tous les gens de “mon” camp de sortir d’un discours qui se croit progressiste mais qui stigmatise une bonne partie du prolétariat de notre pays. Continuer à s’aveugler ne mène nulle part, sauf à renforcer les fachos.

Le 10 novembre à Paris, beaucoup criaient “le problème, c’est pas le voile, c’est la misère sociale” avec la variante “c’est le grand capital”. Ils/elles avaient raison.

Pierre Stambul


Publié

dans