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Israël-Palestine

Vu d’Allemagne

15 novembre 2023. Je commence seulement à écrire. Depuis le 7 octobre, la page est restée blanche.

Il y a bien longtemps que je dispose de plus d’informations sur la situation en Palestine que la majorité des personnes que je peux fréquenter ici. Lors de rencontres avec des personnes de confession juive, j’ai cependant toujours évité de prononcer ces noms.

9 novembre

Tous les ans, j’ai participé aux cérémonies du 9 novembre 1. En ce 9 novembre 2023, une centaine de personnes étaient réunies à l’église protestante de Lich, dont l’un des pasteurs est le petit-fils d’un pasteur, juif converti, assassiné à Auschwitz. Cette année, une jeune femme nouvellement arrivée ici était chargée du service religieux du 9 novembre. Elle n’a pas arrêté de parler de l’antisémitisme qui se déchaînerait en Allemagne et dont on devrait avoir honte. Pas un mot de compassion chrétienne pour les victimes des bombardements à Gaza. Ensuite, après une quinzaine de minutes autour du monument érigé à la mémoire des familles juives de Lich anéanties pendant le IIIe Reich, on a pu se rendre dans une galerie d’art proche où un artiste turc avait préparé une exposition : des barbelés descendant du plafond arrivaient dans une mare de sang en étoffe, des pierres tombales en stéropore étaient brisées ou inclinées dans tous les sens. C’est lui, Hakan, fils d’émigrés turcs, qui a su créer un espace de rencontre. C’est là que j’ai pu m’exprimer, en privé, sur ce que je pense de l’état d’Israël et de ses dirigeants actuels. J’étais, là encore, d’une extrême prudence vis-à-vis de personnes qui pensent que l’Allemagne doit apporter un soutien inconditionnel à Israël. C’est un sujet quasiment tabou ici. Être antisioniste, c’est être antisémite, point final !

Une dizaine de jours après le début des bombardements sur Gaza, le président de l’Union des Palestiniens de la région a osé à Giessen, lors d’une manifestation dont les participant·es étaient presque tous et toutes originaires du Moyen-Orient, critiquer Israël. Il est l’objet d’une plainte pour diffamation de l’état d’Israël (!) et antisémitisme. Il avait osé parler de génocide en cours. Le journal à grand tirage Bild a titré “Hamas Barbaren”, “Hamas Monster”, ou bien encore “Gaza Hamas Monster”. Maintenant, ils ont trouvé quelques célébrités (que je ne connais pas) qui maltraitent leur femme ou divorcent, Gaza a disparu des titres.

L’entente entre les peuples

Je suis, depuis 30 ans, membre d’une association “Pour l’entente entre les peuples” qui s’efforce, dans notre petite ville, de faire connaître les pays dont sont originaires beaucoup de nos concitoyens et concitoyennes, leur culture, leur musique, leurs religions. Nous venons de fêter nos trente ans avec l’orchestre multiculturel de Giessen dirigé par un génial violoniste issu de la communauté tzigane de Bulgarie. Une jeune fille originaire de Turquie a chanté en Yiddish et en kurde, la boulangère turque de mon quartier a été ovationnée pour ses chants traditionnels turcs. Tout s’est terminé par “Les feuilles mortes”, version jazz, sans paroles. C’est notre façon de rapprocher des personnes de milieux très différents. Un professeur de sciences politiques de l’université de Marburg a fait un exposé sur la montée de l’extrême droite. Il reviendra pour qu’on puisse faire un débat sur le sujet. Le parti AfD, fondé pas très loin d’ici il y a dix ans, a obtenu, à Lich et ailleurs, 20 % des suffrages lors des élections pour le parlement du Land de Hesse du 5 octobre.

Peut-on encore être pacifiste aujourd’hui ?

Le 24 novembre, notre association, en collaboration avec l’église protestante et un organisme d’éducation populaire très implanté en Allemagne, organise une conférence-débat sur la question suivante : “Peut-on encore être pacifiste aujourd’hui ?” L’idée est née de l’absence de débat sur les fournitures d’armes à l’Ukraine, sur la militarisation de la société, du vocabulaire, des postures. Entre temps, le 7 octobre et la destruction de Gaza sont venus ajouter une autre dimension à cette réunion. Le mot “pacifiste” aurait-il à nouveau une connotation négative, serait-il devenu synonyme de lâcheté, voire de trahison ? Les partisan·es de la paix au Moyen-Orient seraient-ils/elles des antisémites qui s’ignorent ? Ceux et celles qui soutiennent la Palestine sont l’objet d’attaques en règle. Au centre de toutes les polémiques : Greta Thunberg. Elle fait la une du Spiegel, hebdomadaire à grand tirage. Sa relation avec Israël serait problématique, elle n’aurait exprimé aucune compassion pour les victimes du Hamas, elle serait devenue un handicap pour le mouvement Fridays for future en Allemagne.

Le gouvernement allemand a déclaré à plusieurs reprises que le soutien à Israël était doctrine d’état.

Le président de la CDU, Friedrich Merz, a dit et répété que les personnes qui veulent acquérir la nationalité allemande devraient, au préalable, signer une déclaration de soutien à Israël. “Qui ne signe pas, n’a rien à faire en Allemagne” !

Un restaurateur turc interrogé dit que chaque fois qu’il parle de la détresse de la population de Gaza, ses amis allemands ripostent que c’est le massacre perpétué par le Hamas qui doit être au premier plan.

Se taire ?

Le 24 Novembre, le débat sur le pacifisme a lieu dans le cadre de “journées pour la démocratie”. Avec une autre personne d’origine turque interrogée dans le Spiegel, je me pose la question suivante ; “Est-ce que je peux vraiment dire ce que je pense ?”

Toujours dans le cadre des commémorations autour du 9 novembre, le cinéma de Lich présentait un documentaire sur la communauté juive de Mannheim, remarquable à bien des points de vue : la synagogue a été reconstruite, elle se trouve dans un quartier à 80 % turc, les contacts entre les deux communautés sont importants. Des mariages turcs ont lieu dans la synagogue, le club des jeunes est commun. Après la projection, la metteuse en scène et une petite délégation venue de Mannheim discutaient avec le public, pas très nombreux. Un membre éminent de cette communauté a parlé du 7 octobre et déclaré que personne n’avait exprimé de compassion pour les Juif/ves, qu’ils/elles étaient seul·es, que leur souffrance était ignorée, qu’ils/elles vivaient, en Allemagne, dans la peur. Je me suis tue. J’en ai parlé à un exilé afghan, engagé comme moi au conseil des étrangers, il m’a dit qu’il ne s’était jamais autant autocensuré.

À Lich, on commémore en ce moment la mémoire des familles juives disparues et on fête également la “Démocratie”, fondement de la société depuis 1949.

Quelle Demokratie ?

Françoise Hoenle

  1. Commémoration de la “Nuit de cristal” ↩︎