Grève générale ?
Le terme est ressorti – pour mieux en conjurer le spectre – dans les médias : grève générale. La CGT aurait lancé un tel appel, pour réagir à la “réquisition” (en d’autres termes, l’action de l’État en collusion avec les grands capitalistes de Total pour casser la grève) de travailleur·es dans le secteur de la pétrochimie.
Alors, grève générale : oui ou non ?
Lisons-le tout de suite : la direction de la CGT, et celles d’autres organisations, ont eu tout à fait raison d’appeler à l’action. D’une part pour organiser la solidarité de classe contre la répression d’État. D’autre part, car la question qui est posée est la généralisation de l’action à tous les secteurs ; les revendications des travailleur·es des raffineries concernent en effet tous les secteurs : au capital de payer la crise plutôt qu’aux travailleur·es, rattrapage des pertes de pouvoir d’achat, indexation des salaires sur l’inflation, etc. On notera d’ailleurs que les travailleur·es d’EDF, qui étaient entré·es dans l’action, viennent d’obtenir 200 euros minimum pour tous et toutes !
Disons-le aussi : on pourrait se féliciter si la direction de la CGT reprenait la perspective d’une grève générale, notion remisée au placard voire brocardée depuis plusieurs années (tel dirigeant expliquant ainsi en 2009 : “Il n’y aura pas une grève générale. Le grand soir, c’est dans les livres”).
Disons-le enfin : telle n’était pas la question pour ce 18 octobre. Au mieux, nous avions la perspective d’une journée d’action – pas forcément de grève – interprofessionnelle. Elle a permis de premières convergences, mis en évidence des luttes importantes comme par exemple celle contre la liquidation des lycées professionnels qui appellent à continuer la lutte après les congés.
La grève générale, effectivement souhaitable et nécessaire, c’est autre chose. Elle pose des questions majeures. Elle suppose de ne pas se limiter à des grèves de 24h. Elle suppose de bloquer le fonctionnement de l’économie et de la société, c’est d’ailleurs cela qui a fait peur à la bourgeoisie ces derniers jours. Elle pose la question de la réappropriation, par les travailleur·es de leurs luttes et de leurs organisations syndicales : autrement dit, de l’auto-organisation et du contrôle de la base, des AG souveraines et comités de grève qui se coordonnent à tous les niveaux. Elle implique de s’appuyer sur les secteurs les plus en pointe, pour généraliser la grève.
Et, comme nous connaissons l’état de bureaucratisation et les aspects routiniers du syndicalisme actuel, elle nécessite de bousculer les calendriers des journées d’action, de prendre des initiatives autonomes, y compris étiquetées “minoritaires”. Ainsi, lors des grèves de 2019, c’est bien l’appel à la grève illimitée dans la RATP, venu de la pression de la base, qui a mis dans le paysage le date du 5 décembre… point de départ d’une lutte plus globale. Mais l’expérience de ces mobilisations montre aussi le risque : à savoir l’essoufflement des secteurs les plus mobilisés si la question de l’extension de la grève illimitée n’est pas posée.
Enfin, la grève générale suppose – et c’est fondamental – un objectif. L’objectif qui risque de bientôt se poser apparaît de plus en plus clairement : le retrait du projet de contre-réforme des retraites (allongement de la durée de cotisation, recul de l’âge de départ, ou les deux !) que Macron veut mettre sur les rails.
Quentin Dauphiné, le 21 octobre 2022