Instituteur laïque en Seine-Maritime depuis sa sortie de l’École normale de Rouen après 1968, Jean-Michel Sahut a longtemps enseigné dans une petite commune rurale du bord de la Basse-Seine où il a créé une amicale laïque très active. Retraité depuis une vingtaine d’années, il a prolongé son action militante en participant à la création d’une association de défense laïque : le CREAL 76 –Comité de Réflexion et d’Action Laïque– dont il fut le premier président.
Cette association active, unitaire, entendait et entend toujours défendre une laïcité intransigeante sans être sectaire, ouverte au débat et à la recherche de l’unité des laïques, une laïcité ni ouverte, ni fermée, ni inclusive, ni exclusive… Un ensemble de principes à appliquer et respecter.
« Barricade de livres de Luc Ferry devant le Rectorat de Rouen en mai 2003 (Photo J.-P.Levaray) » ean-Michel, fils de maître d’école, fut lui-même un instituteur compétent, sérieux, les pieds sur terre, novateur dans le respect de la tradition républicaine, attaché à la promotion des enfants du peuple dont il avait la charge. En dehors de sa classe, il militait pour un syndicalisme dit “révolutionnaire” c’est à dire progressiste en même temps qu’opposé au favoritisme, à la hiérarchie, aux honneurs, dans la fidélité au “refus de parvenir” de ses prédécesseurs.
Membre de la vieille tendance des amis de l’École Émancipée, avec ses camarades de toutes les catégories de l’Éducation nationale, il luttait à la fois contre le cléricalisme, contre la bureaucratie et contre le capitalisme.
Militant au sein de l’important groupe de la Seine-Maritime, c’était un disciple de Michel Chauvet, instituteur connu par les uns comme un “éternel révolté”, et pour beaucoup d’autres comme un homme de conviction, chaleureux, fidèle à ses valeurs humanistes et sociales. Il avait constitué autour de lui un groupe de militants et militantes qui était aussi une bande d’amis. Ce groupe, soudé par l’amitié, se réunissait souvent chez Jean-Michel ou dans la salle des fêtes de sa commune, en toute convivialité. On militait alors dans la bonne humeur, sans que la forte personnalité de chacun ou chacune ne nuise à la cohérence du cœur de ce groupe convivial – une vraie famille.
Jean-Michel y tint sa place, plusieurs fois membre de l’équipe responsable de l’École Émancipée.
En 2001, l’École émancipée a éclaté, la cohabitation étant devenue impossible entre les adeptes d’un syndicalisme “apaisé” permettant de participer aux instances syndicales majoritaires avec les avantages afférents et ceux et celles qui étaient favorables au maintien d’un syndicalisme indépendant et sans compromission. Avec d’autres, Jean-Michel a lutté jusqu’au bout pour éviter la scission avant d’être contraint de fonder, avec d’autres, une nouvelle tendance autour d’une revue qui prit le nom de l’organe de la première fédération d’instituteurs syndiqués – L’Émancipation – qui se proposait de perpétuer l’esprit de l’ancienne École Émancipée qui avait réussi à maintenir depuis 1910 l’unité du syndicalisme enseignant radical non inféodé au PCF.
Jean-Michel considérait, à juste titre, que la laïcité s’appuyait sur un corps de principes et qu’elle n’avait pas à s’adapter au goût du jour du public. Il a ainsi participé activement au combat pour l’interdiction du port de signes religieux visibles à l’école. Ce ne fut pas une “mince affaire” car, au sein même du syndicalisme révolutionnaire, il y avait des adeptes d’un relativisme culturel dans la crainte de stigmatiser une population jadis victime du colonialisme.
Jean-Michel, militant érudit, construisait ses raisonnements pour bien expliquer dans ses articles et interventions que la stricte laïcité était un moyen de protéger toutes ces jeunes personnes que l’islamisme voulait soumettre à son dieu et surtout aux hommes.
Ce combat, parallèle à la lutte intransigeante contre l’école privée et le cléricalisme sous toutes ses formes, Jean-Michel, avec l’aide et le soutien constant de sa compagne, l’a mené sans faillir jusqu’à son dernier souffle.
Avec lui, nous perdons un ami et un camarade.
J.F. Chalot, en collaboration avec J.Mourot
L’hommage d’Émancipation |
Comme pour tout le monde ici l’évocation de Jean-Michel ravive de nombreux souvenirs personnels.
Mais c’est au nom d’Émancipation tendance intersyndicale, et de celui de l’équipe qui anime la revue, que je prends la parole.
Jean-Michel a commencé à militer à l’École Émancipée bien avant que je n’y milite moi-même. Lorsque la cohabitation est devenue impossible avec celles et ceux qui voulaient intégrer la bureaucratie et la direction du syndicat tout en y étant minoritaire, il nous a accompagné·es dans la scission et la création d’Émancipation, jusqu’à ce jour.
Nous en retenons le portrait d’un enseignant et syndicaliste intransigeant, portant haut ses convictions pour un syndicalisme de lutte, anticapitaliste, et pour une transformation radicale de l’école.
La laïcité a toujours été au cœur de son engagement militant. Depuis 2003/2004, Émancipation n’a pas été épargnée par les débats qui ont traversé les questions laïques et qui continuent d’avoir cours aujourd’hui. Jean-Michel y a pris toute sa part. C’était un rude débatteur, mais par la rigueur de son argumentation, sa connaissance très poussée des questions, la fidélité à ses principes, il avait l’estime et le profond respect de toutes et tous.
L’abrogation des statuts d’Alsace-Moselle et de Mayotte, des lois Debré, Guermeur, Carle, la nationalisation laïque sans indemnité ni rachat des écoles privées, mais aussi l’anticléricalisme, la critique de toutes les religions sans pour autant stigmatiser les croyant·es, la liberté de pensée, étaient autant de points qui nous rassemblaient, autant de combats qui nous rassemblent encore et qui restent à mener, tant les lobbies cléricaux sont à l’offensive en France et dans le monde.
Il y a seulement quelques mois, en février dernier, Jean-Michel intervenait encore sur notre liste interne à propos des grèves des enseignant·es iranien·nes contre leurs conditions de travail et contre l’intervention des religieux à l’école.
À Émancipation, nombreux et nombreuses sont celles et ceux qui perdent davantage qu’un camarade de combat, c’est-à-dire un ami. Jean-Michel, ta voix nous manque déjà.
Raymond Jousmet
pour l’Émancipation tendance intersyndicale
Je pense avec beaucoup d’affection à sa compagne de chaque instant, Françoise, et à tous ses camarades du 76 et d’au-delà. Le seul hommage qui vaille serait d’être en capacité de retrouver avec lucidité, vigueur et détermination le chemin des luttes laïques. Que Jean-Michel soit rassuré et puisse ainsi reposer en paix, même si, de son côté, il aura fait sa part de travail de façon exemplaire, et même bien davantage. Car, sans la laïcité, il ne saurait y avoir de projet émancipateur.
Mon Cher Jean- Michel, comme déjà tu me manques.
Jean-Michel Bavard, Oise
Pour ma part, j’ai rencontré Jean-Michel avec et grâce à la tendance, dans les années suivant la scission, lors d’un collège, c’était il y a 25 ans, et ce fut une rencontre inoubliable, essentielle : sa pugnacité sur la laïcité (qui ne se confond pas avec l’islamophobie) et cet humour, qui permet de penser, de se décaler, d’avancer, et puis cette phrase dite dans dans un sourire : le/la professeur·e professe, l’instituteur, l’institutrice institue ! Cela m’a toujours accompagnée dans ma pratique pédagogique, tout comme cette ténacité, cette rigueur, ce sourire malicieux cela nous accompagne. Merci Jean-Michel.
Emmanuelle, Loire-Atlantique
Jean-Michel adorait provoquer. Il s’amusait ainsi à tenir des propos douteux, de plus en plus sexistes… jusqu’à ce que Françoise pousse un “Sahut !” tonitruant. En réalité, il était profondément féministe.
Il a quelque temps représenté le CREAL au Collectif pour les Droits des Femmes de Rouen. Pour moi qui ai repris cette tâche difficile il y a quelques années, il a toujours été d’un grand soutien car il se tenait très au courant des débats actuels.
Le billet qui suit témoigne de ce qu’il défendait : un féminisme universaliste dans lequel la laïcité constitue un point d’appui indispensable pour l’émancipation de toutes et tous.
Ce combat, nous le continuerons.
Catherine Dumont, pour les camarades de Seine–Maritime
Mode politique |
Quoi de plus futile que la mode qui prête à toutes les fantaisies ?
La mode islamique fait son entrée dans les grandes marques et promeut la “modest fashion”, la “mode pudique”. D’autres inspirations confessionnelles (chrétiens évangéliques, israélites orthodoxes, catholiques intégristes…) entendent apporter leur contribution artistique à ce new look consistant à “renouer avec une certaine retenue”. La coalition anti “mariage pour tous” est passée par là !
Ainsi les femmes qui ne se convertiront pas à cette mode passeront ipso facto pour des impudiques, indécentes et provocatrices et n’auront alors qu’à s’en prendre à elles-mêmes si elles sont importunées dans la rue… ou pire encore.
Une mode conforme aux injonctions religieuses ? Vous n’y pensez pas, protestent les tartuffes, il ne s’agit là que pudeur, humilité, modestie.
L’essentiel étant que des femmes reconnaissent par leur vêture leur statut subalterne.
Jean-Michel Sahut, 11 avril 2016