Il en est ainsi depuis toujours. L’être humain balance sans cesse entre une aspiration à la liberté et la peur de la liberté. Son rêve se résume à concilier liberté et sécurité.
Louable mais pas simple. Freud parlait à ce propos d’équilibre névrotique qui, comme tous les équilibres, s’avère fondamentalement instable.
Il en est ainsi depuis très longtemps, les êtres humains n’arrivent pas à faire société autrement que dans le cadre de la loi de la jungle. Jadis, brutale, à coups de massue. Aujourd’hui de manière plus sophistiquée, les plus forts se contentant de mettre les chaînes de l’aliénation (consumériste, médiatique, valeurs…) dans la tête des masses qu’ils oppriment et exploitent désormais… avec leur consentement.
Il en est ainsi depuis toujours, quand malgré tout cela, trop c’est trop, ça pète et l’aspiration à la liberté, à l’égalité, à la justice… jaillit alors comme un geyser. Avant de…
Mais avant de quoi… ?
Là où il y a jacquerie, il y a confusion
Les jacqueries, ces révoltes sauvages contre trop d’exploitation, d’oppression, d’injustice…, surgissent toujours à un moment, lors d’un événement particulier. Elles auraient pu éclater avant comme après. Ou à propos d’un autre événement plus significatif. Mais c’est comme ça. C’est l’histoire de l’étincelle qui embrase soudain la savane. Et, bien sûr, cet embrasement est aussi soudain que confus. Il part dans tous les sens. Et, au fur et à mesure que l’incendie se propage, on voit s’entremêler le désir d’approfondir les choses et la peur d’aller trop loin. Et, généralement, au bout de quelque temps, la peur l’emporte sur le désir.
Pour l’heure, après le mouvement des Gilets jaunes qui a démarré pour une “simple” histoire d’augmentation du prix de l’essence, on assiste à une révolte tous azimuts contre la vaccination obligatoire, le manque de moyens de l’hôpital public, le contrôle social via le pass sanitaire instauré par un gouvernement de plus en plus autoritaire, la répression policière… Et cette révolte, comme celle des Gilets jaunes, agglomère tout et son contraire. Des anti-vaccins, des anti-contrôle social, des pour davantage de moyens pour l’hôpital public, des fachos, des gauchos, Mr et Mme tout l’monde…
Les révolutionnaires, c’est-à-dire ceux et celles qui ont compris que les problèmes du moment faisaient partie d’un TOUT social et politique et que dénoncer les effets d’un phénomène sans chercher à en comprendre les causes et ce qui les relient ne résoudrait rien, supportent mal, voire dénoncent, cette confusion.
Ils ont à la fois raison et tort.
Là où il y a confusion, il peut y avoir révolution
Est-il besoin de le préciser, nous autres révolutionnaires, avons raison de l’être et de ne pas nous contenter de rester dans l’émotion du moment. Nous savons pertinemment que la mayonnaise des révoltes retombe aussi vite qu’elle est montée. Et c’est notre rôle que d’essayer de les faire mûrir au soleil de nos analyses et de nos projets de société. Et pour cela, il est impératif de ne pas se contenter d’être SPECTATEURS, SPECTATRICES des évènements mais d’en être ACTEURS, ACTRICES. Et des acteurs, actrices humbles, car trop souvent, les masses en révolte ont à nous apprendre.
En 1789, lors de la prise de la Bastille, les futurs révolutionnaires comme Robespierre, Babeuf… auraient signé tout de suite pour une monarchie bienveillante.
En 1871, au début de la Commune de Paris, nombre de futurs révolutionnaires se seraient largement contentés de surfer sur la vague nationaliste et guerrière qui fit se lever le peuple.
En 1917, en Russie, l’écrasante majorité du Parti bolchevik se contentait d’une démocratie bourgeoise à la mode Kerenski. Et c’est Lénine, qui les a ralliés à refuser cette démocratie bourgeoise et à rejoindre l’aspiration populaire de “Tout le pouvoir aux soviets”. Bon, d’accord, on connaît la suite et le combat des anarchistes pour une troisième révolution.
En 1936, en Espagne, les masses anarcho-syndicalistes et leur désir de révolution sociale se sont fait rouler dans la farine de l’antifascisme à la mode de la défense de la république bourgeoise et de gagner d’abord la guerre avant de faire la révolution. Par les républicains bourgeois. Normal. Par les staliniens. Logique. Et par les “chefs” anars. Seigneur Jésus ! Malgré l’avertissement de C. Berneri qui disait : “Le dilemme guerre ou révolution n’a plus de sens. Le seul dilemme est celui-ci : ou la victoire sur Franco grâce à la guerre révolutionnaire, ou la défaite”.
En guise de conclusion
Toutes les jacqueries, comme toutes les révoltes, sont LÉGITIMES. Là est l’essentiel. Et leurs excès comme leurs confusions ne sont que les conséquences de l’incapacité d’une société à évoluer.
Les jacqueries sont à l’image de l’être humain. Elles sont porteuses du meilleur (une révolution sociale) comme du pire (le fascisme). Le meilleur comme le pire sont des tendances minoritaires. L’écrasante majorité, le marais de la révolte, hésite toujours entre aller plus loin et aller trop loin. Ça se joue toujours à pas grand-chose pour basculer dans un sens ou un autre.
Ce pas grand-chose est du ressort des révolutionnaires. C’est à eux de pousser à la roue pour transformer la révolte en révolution sociale. Et c’est possible.
À condition que…
À condition d’être acteur, actrice et non spectateur, spectatrice des choses.
À condition de se départir de cette morgue propre à tous ceux et celles qui, prétendant au savoir, prétendent à diriger les ignorants et ignorantes. Et de simplement, apporter leur concours aux coups de sang, rares, d’une fraction du peuple susceptible de rallier le peuple à son rêve insensé de révolution tout de suite, ici et maintenant.
À condition de ne pas se contenter de proclamer que l’émancipation des travailleurs et travailleuses sera l’œuvre des travailleurs, travailleuses eux et elles-mêmes et, comme la Première Internationale, de s’en donner les moyens. Dans l’unité et le non sectarisme.
À bientôt, donc, dans toutes les manifs et tous les espace-temps de la vie, pour réfléchir, s’unir et agir !
Jean-Marc Raynaud