Le Conseil National de la FSU du 12 juillet a débattu (en visio-conférence) du projet d’accord gouvernemental sur le « télétravail » dans la Fonction publique. Emancipation, avec d’autres militant.es, a combattu la signature de cet accord par les fédérations syndicales et notamment la FSU dans laquelle nous intervenons comme tendance. Nos positions n’ont pas été reprises par le Conseil national, qui a décidé de signer l’accord. Le débat doit continuer dans le mouvement syndical sur ces questions. Nous reproduisons ci-dessous des interventions de camarades d’Emancipation au cours du Conseil National.
Première intervention Emancipation
Il y a un débat à avoir sur deux plans :
– sur le contenu du projet gouvernemental lui-même
– sur comment la FSU doit apprécier et se positionner
Nous l’avons déjà dit en Bureau National, on ne peut pas faire abstraction de trois éléments qui cadrent ce texte gouvernemental :
– on ne peut faire abstraction de la politique générale de ce gouvernement, en particulier en matière de Fonction publique (de ce point de vue, le texte proposé par le secrétariat national réussit à analyser un accord Fonction publique sans le relier d’une quelconque façon à la politique macronienne, comme s’il s’agissait de quelque chose de hors-sol).
– on ne peut pas faire abstraction d’un second élément : comme on le voit, le gouvernement a largement usé et abusé de la notion de « circonstances exceptionnelles » pour imposer sa politique, notamment dans le domaine des libertés publiques mais aussi dans l’ensemble de la vie sociale. Et le risque qu’il pérennise des régressions mises en place pendant la période du Covid est réelle. De ce point de vue, le texte gouvernemental montre quelle est leur orientation : il y est indiqué que le télétravail est un mode d’organisation parmi d’autres (donc à égalité avec les autres), il s’agit donc de le développer. Les « circonstances exceptionnelles », quant à elles, restent à la seule appréciation du gouvernement et donc de la hiérarchie. De ce point de vue, le projet de texte donne globalement carte blanche au gouvernement pour avancer sur ce terrain : et de fait, les garde-fous qui sont affirmés restent des généralités qui n’engagent à rien, ce que le texte du secrétariat reconnaît lui-même.
– troisième élément : aujourd’hui quel est l’intérêt des travailleuses et des travailleurs à l’adoption d’un tel accord ? Le texte du secrétariat lui-même le reconnaît : la démarche gouvernementale c’est de signer des accords en imposant un calendrier et des modes de négociation, qui entravent toute possibilité pour les personnels d’être informé.es et a fortiori de se mobiliser. A Emancipation, nous ne pensons pas qu’il puisse exister d’accords valables en dehors de ceux qui résultent de la construction préalable d’un rapport de forces. On voit mal quel est l’intérêt de multiplier ce type d’accords pour les organisations et les salarié.es. En revanche on voit bien quel est l’intérêt de Macron et son gouvernement : se prévaloir d’accords avec les organisations syndicales en vue des prochaines élections nationales. Même si certains camarades commencent déjà dans telle ou telle réunion d’instance à tenir des propos faisant comprendre qu’il ne faudra pas se tromper d’ennemi, et donc ne pas hésiter à appeler à voter Macron au second tour, à Emancipation nous pensons qu’il ne faut pas aller dans cette logique politicienne et ne pas fournir à Macron quelque chose qui constituera d’une façon ou d’une autre un point d’appui.
Pour conclure, Emancipation est contre la signature de l’accord, et donc votera contre le texte du secrétariat. Je ferai une dernière remarque sur la conclusion du texte du secrétariat : il nous indique en substance que la FSU signe l’accord non parce qu’il est bon, mais pour pouvoir discuter aux discussions ultérieures, autrement dit des discussions pour obtenir d’éventuelles garanties ministère par ministère et secteur par secteur : nous ne souscrivons pas à cette démarche, pour nous si un texte global ne comprend pas les garanties nécessaires il ne doit pas être signé.
Seconde intervention Emancipation :
On pourrait à priori penser qu’un accord sur le télétravail dans la FP permettrait de mettre un terme aux dérives connues notamment depuis mars 2020, alors que sous prétexte de lutte contre l’épidémie, Macron décidait la mise en place d’un véritable « état d’exception. »
1) Le projet d’accord rappelle le « volontariat » comme principe essentiel du télétravail. Mais c’est pour ajouter immédiatement que de « façon exceptionnelle », il peut être mis en œuvre à la demande de l’employeur. Aucune définition n’est donnée de la notion de « circonstances exceptionnelle » ; cela signifie donc que la décision peut relever de l’employeur, du maire, d’une collectivité territoriale… Ce seul élément montre que ce texte entend se situer dans la continuité de la dérèglementation qui s’est développée durant les périodes vécues sous l’état d’exception. En effet, la continuité du service public (comme d’ailleurs la protection des agents), relève de la seule responsabilité de l’employeur.
Or, par exemple, dans les Hôpitaux, comme dans l’enseignement — le gouvernement refuse de satisfaire les revendications des personnels, notamment le recrutement de personnels soignants et non soignants (ce qui implique une véritable revalorisation du point d’indice), le manque d’équipement — Dans l’éduc, c’est aussi le refus de recruter du personnel : personnel enseignement pour dédoubler les classes, du personnel de service pour assurer l’hygiène des locaux,
Or, ce n’est pas aux agents qu’incombe d’assurer la continuité du service public dans des situations exceptionnelles, c’est à l’État d’investir et de mettre en place les mesures nécessaires
2) Le projet d’accord stipule que l’employeur doit fournir aux agents l’accès aux outils numériques nécessaires. (point 1)
Mais le texte ne donne aucune prescription précise :
– L’employeur va-t-il équiper le domicile de l’agent d’une connexion spécifique : une live box, une adresse IP de l’entreprise, un ordi, un logiciel VPN pour protéger les informations ?
Si l’agent se voit équipé d’un ordi portable, il devra le transporter au bureau, avec quelles garanties ?
– Si l’agent utilise sa propre connexion : l’employeur va-t-il entrer dans sa maison pour sécuriser l’accès ? qui paye ? quelles garanties contre les hackers ?
Autant d’exemples de risques qui en cas de problème peuvent donner à des procédures.
3) D’autres aspects montrent que le télétravail est conçu comme un facteur d’économies. Par exemple,
– S’agissant des « aidants » : l’agent travaillera à la maison et s’occupera en même temps de la personne dépendante. Ce sera donc une double journée de travail, et les fonctionnaires femmes seront les premières visées, exonérant l’État de mettre en place une véritable loi d’aide à la personne, une véritable revalorisation de l’APA, une véritable loi sur l’autonomie…
– S’agissant des grossesses : le télétravail, dans ce cas exonère l’État d’allonger le congé mat (revendiqué par nombre de femmes), de faciliter l’arrêt pour « grossesse pathologique », de plus en plus difficile à obtenir.
Et c’est encore sur les femmes que pèse la tâche de se substituer aux responsabilités de l’État employeur, lequel multiplie les mesures d’économies
L’ensemble du texte vise à favoriser le travail hors du lieu de l’entreprise.
Le flou de ce texte qui effectivement s’apparente plus à une charte de principes qu’à un accord prescriptif montre qu’il s’agit pour le gouvernement de mettre en œuvre, pas à pas, la loi de TFP qui selon un communiqué FSU « fait voler en éclats une série de dispositions statutaires qui organisaient notamment des garanties collectives »
Cette loi vise à mettre en œuvre le programme de Macron qui veut « une société sans statut »
Conscient de l’attachement des personnels à la défense des acquis statutaires dont le caractère national unifie les personnels face à l’état patron, le gouvernement veut utiliser la négociation d’accords à tous les niveaux, y compris de l’entreprise pour émietter les garanties nationales selon les situations locales.
Ainsi les conditions de travail seront soumises aux conditions locales, aux rapports de forces locaux, avec de multiples différences selon les territoires, les établissements, voire les services…
L’ordonnance du 17 février 2021 issue de la loi TFP soumet ainsi à des accords, non seulement le télétravail, mais « les conditions de travail », les « modalités de déplacement entre le domicile et le travail », « le temps de travail », « le déroulement de carrière et la promotion professionnelle », « l’apprentissage », « l’action sociale », « la protection sociale complémentaire », « la gestion prévisionnelle des emplois », etc.
Autant de mesures qui font éclater le cadre national de garanties statutaires.
Combattre la mise en œuvre de la loi TFP, c’est commencer par refuser de signer cet accord et cesser de participer au dialogue social sur lequel compte le gouvernement pour mettre en pièces les garanties statutaires nationales.
Troisième intervention Emancipation :
La première question que l’on peut se poser à la lecture de ce protocole d’accord fonction publique sur le télétravail est : quel intérêt à modifier une réglementation qui existe déjà et qui concerne à ce stade une infime partie des agents ?
- S’agirait-il pour le gouvernement de mieux protéger les fonctionnaires qui télé-travaillent ? Assurément non ! Tout ce qui touche aux droits et aux mesures de protection des agents relève de la simple déclaration d’intention, y compris sur l’équipement, l’indemnisation, la prévention des risques ou le droit à la déconnexion. Bref, sur ce terrain, et pour le dire clairement, il n’y a que du vent !
- En fait, ce projet d’accord est issu d’ordonnances prises en application de la loi de transformation de la fonction publique : il s’agit bien ici de poursuivre les « réformes » et les attaques contre le statut !
– Que peut-on ainsi penser d’un protocole réduit à un socle, avec des déclinaisons variables suivant les versants, les ministères et les services ? On trouve ainsi a minima dans le texte une dizaine de renvois au dialogue social local ou de proximité. C’est une indication claire sur les motivations profondes de ce protocole : s’en prendre au statut et aux droits collectifs nationaux des fonctionnaires. D’ores et déjà, des syndicats ou des intersyndicales se plaignent des déclinaisons locales, par exemple aux finances publiques ou aux douanes.
– De manière générale, le projet traduit la volonté du gouvernement, instrumentalisant à cette occasion la situation sanitaire, de développer le télétravail dans le contexte des « réformes » destructrices des métiers et statuts. Ainsi, la CGT des finances publiques dans les Bouches du Rhône explique que « le télétravail apparaît comme un amortisseur- voire un facilitateur- du démantèlement du réseau (NRP) et du ras-le-bol des agents face à la dégradation des conditions de travail dans les services. La fameuse « opportunité » de la crise sanitaire pour atteindre les objectifs du contrat de moyens de notre administration explique aussi cet empressement ».
Indéniablement, le télétravail est un moyen supplémentaire aux mains du gouvernement pour fermer des services et inciter à la mobilité.
– Ce texte crée également de nouvelles opportunités pour le management, c’est à dire de nouveaux outils de pression, les collectifs de travail n’étant envisagés par le gouvernement que comme une manière de mettre les agents en concurrence. Le projet crée également des possibilités de contrôle plus grandes (le protocole demande seulement qu’il ne soit pas trop « excessif »).
- Ajoutons à cela que ce projet d’accord entend stabiliser et aggraver le sens des « circonstances exceptionnelles » permettant d’imposer le télétravail à un agent, ouvrant la voie à une liste non limitative de cas. On peut ainsi penser aux grèves ou occupations de sites qui pourraient rentrer dans ce cadre.
- Enfin, il est clair que la signature de ce protocole fournirait par ailleurs un point d’appui important au gouvernement pour avancer vers l’imposition du télé-enseignement et de nouvelles obligations pour les enseignants.
Ainsi, le ministère Blanquer entend utiliser dans le cadre du grenelle, et sous couvert de la continuité pédagogique (qui rappelle ici la continuité du service public dans le projet d’accord), les cours en ligne pour remplacer les professeurs absents, permettant ainsi des économies importantes.
En parallèle, l’assemblée s’est dotée d’une mission parlementaire sur « le cadre de l’enseignement hybride et à distance » avec l’objectif affiché de rendre l’enseignement à distance obligatoire dans le code de l’éducation voire même de l’inscrire dans les obligations de service des enseignants.
Ce texte constitue une menace pour l’ensemble des agents, c’est pourquoi la FSU ne doit pas signer ce protocole d’accord.